Chantiers pharaoniques : The Line, la dystopie saoudienne désertée
Nicolas Celnik
Plus haut, plus long, plus fou (1/5). Aujourd’hui, le naufrage du projet de ville futuriste au milieu du désert rêvée par le prince héritier saoudien.
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Comment prend-on la décision d’ériger l’immeuble le plus massif du monde, long de 170 kilomètres, haut de plus de 500 mètres, un bâtiment métropole conçu pour abriter neuf millions d’habitants au beau milieu du désert ? En consommant (trop) de (mauvaise) science-fiction : le chantier de The Line, la dystopique utopie du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), a été pensé comme une déclinaison de Blade Runner, du Cinquième Element et de Star Wars.
Afin de concevoir les contours de ce projet estimé à plusieurs centaines de milliards d’euros, MBS, qui se revendique fan de cyberpunk (un genre de science-fiction dans lequel l’humanité s’hybride avec la technologie) a recruté une fine équipe d’écrivains et réalisateurs de science-fiction cotés à Hollywood. Chris Hables Gray, écrivain anarchiste qui a accepté le chèque de plusieurs dizaines de milliers de dollars pour établir un guide des différents courants de la SF, a pu observer que « c’étaient surtout les images qui les intéressaient. Ils pompent l’esthétique de la SF pour gagner la compétition qu’ils se livrent avec les Etats du Golfe à qui construira le truc le plus bizarre», notait-il pour Libération. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil au site publicitaire du projet pour tomber sur une vidéo dans laquelle un avatar éthéré plane à travers une cité-jardin aux fontaines éternelles, dans ce qui ressemblerait sans doute aux plans de la ville idéale d’un enfant abandonné sur Minecraft.
Reste que la construction dudit caprice, à peine entamée, a déjà provoqué le déplacement d’environ 30 000 Bédouins. Le Wall Street Journal révélait, de son côté, que les quelque 100 000 employés du chantier ont dénoncé des situations de trafic de drogue, tentatives de meurtres et cas de viols. Le chantier pharaonique de The Line tient moins des pyramides que du Titanic : les retards et les critiques s’accumulent, le PDG du chantier a brutalement quitté l’affaire, les promoteurs accusent les maîtres d’œuvre, qui rétorquent en révélant des preuves de manipulation délibérées et de mensonges sur les coûts du projet. Au milieu des annonces contradictoires, la couronne saoudienne a notamment laissé entendre que le projet allait être réduit, de 170 kilomètres à seulement 2,4