j'étais en train de me renseigner sur les piscines à Paris quand je suis tombé la dessus
un mec un peu bousculé dans la piscine s'est fendu d'une lettre à Mr le Directeur:
Cher Monsieur,
Je voudrais attirer votre attention sur le développement d'une forme grandissante de violence qui n'épargne plus personne dans les piscines de France, je veux parler du chauffard de ligne d'eau. Et votre merveilleux établissement, j'ai le regret de vous le dire, héberge un cas d'espèce, que j'aurai préféré ne pas rencontrer, hier à l'heure du goûter.
Pour des raisons d’immersion aquatique personnelles, je n’ai pu observer le début de l’incident mais des survivants me l’ont raconté. Le chauffard est apparemment entré dans l'eau avec en vieux slip couleur vert pistache, le genre dont on vient à prier que le cordon tienne juste une séance de plus. Il n'est pas rentré pas par l'échelle, non, non, ni n'a fait de plouf discret sur le bord, non, pensez-vous, il est rentré avec fracas et tumulte pieds devant, en visant entre deux mamies aux bonnets à fleurs, terrorisées. Il a regardé, m'a-t-on raconté, d'un œil perçant la ligne d'eau, afin de jauger qui à ce moment précis peuplait ce qui allait devenir son territoire: la nymphette en planchette, les mamies fleuries accrochées à la ligne d'eau en hyperventilation, le type qui prétend régler ses lunettes, mais qui en fait reluque en mode subaquatique les rondeurs flottantes alentour, le monsieur d'un certain âge qui, s'il n'avançait pas, reculerait, car il fait des battements de folie, mais ne bouge pas les bras, la rombière qui prend tout le milieu de la ligne avec son postérieur botérique et qui ne veut pas mouiller ses cheveux, le type qui s'évertue à faire du dos crawlé et qui part tout de travers car c'est pas facile de se diriger à l'envers, et l'étudiante en philo dont les lunettes se remplissent d'eau en continu et qui doit se demander si Schopenhauer a trouvé par hasard une réponse à ce problème-là.
Dès ce moment, m'a raconté un survivant, on a senti le fauve prêt à faire une bouchée de ces corps flottants innocents. Il a poussé des pieds le rebord, arraché un dernier cri aux mamies à fleurs, et fait sortir le régleur de lunettes, épouvanté. Et moi, ou étais-je dans tout ça, me diriez-vous, eh bien je nageais, tranquillement en méditation, plongée dans une étude profonde des divers tons de turquoise des carreaux du fond de la piscine, et fendant l'onde d'un rythme régulier et serein.
Et c'est là que le drame advint. Alors que j'étais en flottation physique et mentale, je fus sortie violemment de mon étant de semi-transe par un immense pain dans la tronche venant de ce que je pris sur l'instant pour un exercice de sous-marin nucléaire qui aurait mal tourné. C'est là que je l'aperçus et je dois vous le dire, malgré la violence de la situation, je restai pétrifiée par un étonnement sans bornes. Le type n'avait pas de lunettes et ses yeux de merlan mutant semblaient fous, son slip de bain était dangereusement en train de glisser vers le bas, mais ce qui me frappa, en plus du pain dans ma tronche, ce fut son style inouï.
D'abord, la tête. Hors de l'eau, entièrement, et, pour avancer, un mouvement de bras droite, gauche, droite, gauche, en mouvement de scie sauteuse autour de sa tête. Puis, ses pieds, un jet ski humain. Dans l'ensemble, il se dégageait de cette scène autant de vagues et de bulles, qu'on aurait dit un casting de requins pour Les Dents de la Mère III...et à la fin, il les a tous eus, les uns après les autres. Les promeneurs de ligne d'eau de ce jour là, à l'heure du goûter se sont tous pris un pain; c'était un atelier de boulangerie industrielle à lui tout seul. Bientôt, on n'entendit plus que le tumulte des flots, associes au pafs répétés et cris de douleurs des corps submergés. Quel carnage!!!
Que pensez-vous qu'il fit, fut-il sensible aux cris des nageurs? Non, il continuait, tel le lapin Duramachin sous crack frelaté, il avait un regard fier de guerrier cruel et imbécile. Devant tant de violence, d'incivilité et de fierté flottante, je m'inclinai et observai l'engin, fascinée par l'énergie perdue par ce style épouvantable dont il n'avait pas conscience et qui défiait toutes les lois nautiques répertoriées.
A la colère succéda la compassion pour un être qui avait dû apprendre à nager en regardant des films de guerre. Il n'avait visiblement jamais connu la douceur du glissement de l'onde sur sa peau, l'engueulade amicale du maître-nageur qui vous dit qu'il va falloir lâcher sa perche maintenant (mais, je m'égare), la fascination de découvrir que l'on pouvait faire des bulles dans l'eau en respirant. Une grande tristesse m'envahit. Il restera à jamais pour moi, le canard à la pistoche, (oui, il y a bien une contrepèterie, inspirée par la couleur de son slip de bain au cordon douteux).
Monsieur le Directeur, je vous prie d’ouvrir les yeux sur le monde sans pitié de la ligne d’eau numéro 2, du grand bain, hier, à l’heure du goûter, terrorisée pendant des minutes interminables par un être cruel et flottant, au cordon de slip improbable. Je vous en conjure, Oh grand maître Chloré, faites revenir la civilisation dans votre piscine, devenue par l’événement que je que vous narre ici, le symbole universel de la violence en milieu aquatique urbain ».