«est quelqu’un de très dangereux. Le fait qu’il ait défilé le jour de son élection dans un véhicule militaire en dit long. Il n’est pas descendu en DS, il est descendu en véhicule militaire avec des généraux à ses côtés… Le petit numéro qu’il a joué à Verdun, cette espèce de réhabilitation de Pétain, tout ça, c’est pour se mettre l’armée dans la poche. Je pense que ce mec est très dangereux et qu’il est d’autant plus dangereux qu’il est bête. Il sort de ces espèces de fabriques à crétins que sont les grandes écoles, ce qui explique entre autres pourquoi son analyse de la société est tellement idiote. La phrase que je préfère, venant de lui, c’est « On dépense un pognon de dingue et il y a toujours autant de pauvres » : ça mérite à minima le Nobel d’économie, une phrase pareille. Il a été ministre de l’économie, quand même… « On dépense un pognon de dingue et il y a toujours autant de pauvres ». Il faudrait que quelqu’un lui explique comment tout ça fonctionne, à un moment.» Ils ne comprennent pas que les gens disent clairement qu’ils en ont ras-le-bol. Je pense que le mépris de classe, voire même la haine de classe qu’ont représenté Macron et sa clique, la façon dont ils ont imposé la loi Travail de force, après tant et tant de mobilisations, ont fini par être perçu par tout le monde. Et là, l’augmentation du prix de l’essence a servi de catalyseur à toutes les colères et finalement, de détonateur. Ceux que j’ai vus sur les rond-points lorsque j’y suis allé expriment très bien une forme de ras-le-bol définitif. Ce qu’ils disent, c’est que le pouvoir politique, cette fois, a dépassé une sorte de point de non-retour. « Stop. Trop tard. Vous nous avez pris pour des cons, trop loin et trop longtemps ». En ce sens, l’allocution de Macron a été vraiment pathétique, pitoyable. Quel numéro de théâtre…
Est-ce que tu penses qu’il se rend compte de quoi que ce soit ? Il est totalement en roue libre. On n’a jamais été aussi méprisés collectivement : « Bossez pour vous payer un costard », « Les gens qui ne sont rien »… Je ne sais pas, je sais juste qu’il est totalement formaté. Il est aussi con qu’un con de droite. Lorsqu’il dit « Je vais augmenter le Smic sans que ça ne nuise aux entreprises », il ne semble pas comprendre qu’une entreprise, ce sont les travailleurs. Il ne sait pas ce que c’est, une entreprise. Il imagine qu’une entreprise, c’est le patron, le propriétaire de l’entreprise. Les travailleurs, ce sont des ressources humaines, comme les machines, pour lui. Lorsqu’il dit qu’il ne veut pas nuire aux entreprises, il dit en fait qu’il ne veut pas nuire aux propriétaires des entreprises.
Ce qu’il faut aussi comprendre, c’est que la France est un pays extrêmement répressif, probablement l’un des pays “développés” les plus répressifs. Un sociologue expliquait que ce n’est pas un hasard si on est la première productivité mondiale par travailleur, c’est bien parce que la France est un pays tout sauf cool, où la pression est énorme et constante. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les entreprises pour le comprendre. C’est ce qu’on entend sans cesse avec les copains des formations. J’ai une amie qui est médecin à l’hôpital de Paimpol – un médecin c’est pas un prolo, quand même – et elle pète les plombs. Ce qu’elle raconte de ses conditions de travail, c’est de la folie furieuse. Et ça, tu le retrouves partout, que l’on parle de ceux qui font de la recherche ou des profs…
Tu parles d’augmentation du Smic. Chez nous aussi, plusieurs choses ne sont pas claires. On voit encore et toujours des gens se réjouir de la baisse des cotisations sociales… Il y a un travail d’éducation populaire considérable à faire. On a fait une conférence sur le sujet, avec Gaël [Tanguy]. Trop de gens ignorent encore ce qu’est vraiment la fiche de paye, comment fonctionne la Sécurité sociale, voire, ce qu’elle est en soi. Ils imaginent que la Sécu, c’est l’État. La Sécu, c’est une association, c’est privé, c’est du droit privé, ce n’est pas l’État.
Il y a aussi un travail à faire sur les mots : ils parlent des cotisations comme de “charges”, par exemple. Ils parlent sans cesse de compétitivité… C’est un discours qui finit par rester dans les têtes… On peut aussi parler de la “dette”, qui n’est pas une “dette”. Les gens se disent que s’il y a une “dette”, alors, il faut bien la rembourser. Mais qui explique la dette ? Est-ce qu’on a accès à ce savoir, si on ne le cherche pas spontanément ?
On retrouve donc ça logiquement avec la fiche de paye. La fiche de paye, c’est le pognon qu’on me donne, et alors apparemment, les pauvres patrons doivent aussi payer des charges là-dessus, ce qui va engraisser l’État… Le travail d’éducation politique à faire sur ce sujet est considérable, je le répète. Et je pense que le mouvement des Gilets jaunes porte un peu ça : c’est une espèce d’intuition qui se nomme mal, qui s’analyse mal, du fait que ça va vraiment mal. Ce qui donne un mouvement de masse qui ne sait pas très bien encore où il va.
Ce que nous dit aussi le mouvement, c’est que les gens se rencontrent sur les rond-points, échangent, que les cloisons explosent… Tout ça médiatisé par le gilet jaune, qui est une sorte de référent commun. On entend parler de lutte des classes, de bourgeoisie… Il fait toute la différence, ce gilet. Il ne serait pas là, il n’y aurait que des gens habillés normalement sur un rond-point, ce serait totalement différent. Ils nous ont obligé, tous, à l’avoir, ce gilet jaune fluo. C’est formidable, ce retournement. C’est devenu un symbole maintenant, au même titre que le bonnet phrygien, c’est devenu un drapeau de la lutte des classes. Toutes les révoltes ont eu besoin de ça : les partisans de Necker, au début de la révolution française arboraient une feuille d’arbre pour se reconnaître. C’est le symbole d’une conscience de classe qui est en train de renaître. Quand je croise d’autres personnes qui comme moi, ont le gilet jaune sur le pare-brise, il y a une complicité chaleureuse qui s’installe. On se reconnaît entre nous.
_________________ L'histoire n'est pas la science du passé, mais la science des hommes dans le temps.
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