Je rejoins Landry sur la stigmatisation de la Russie qui va jusqu'à l'absurde. Visiblement, nous n'avons pas intégré les leçons de l'Histoire, qui nous enseignent que l'humiliation d'un peuple et d'un pays sont des intentions qui n'augurent jamais rien de bon. Nous l'avons fait pour l'Allemagne en juin 1919, nous le faisons avec la Russie depuis la dislocation de l'ancienne superpuissance soviétique. L'action des Etats-Unis en Europe étant particulièrement néfaste à ce sujet.
Cependant, j'aimerais souligner l'hyper complexité du sujet que représente la destruction des juifs et l'antisémitisme dans l'ex-sphère soviétique, car nos intuitions nous trompent ! A juste titre, nous associons la Shoah à l'idéologie nazie, mais n'oublions pas que nombre des tueurs n'étaient ni nazis, ni même allemands, tandis que la quasi-totalité des Juifs tués pendant l’Holocauste l'ont été hors d'Allemagne. Le code est d'ailleurs ici intéressant (les "camps"), car, en vérité, peu de juifs assassinés purent en voir. C'est d'abord la déliquescence des États, en Europe de l'Est, qui a rendu possible le meurtre de masse. Nous nous souvenons des victimes, mais sommes enclins à confondre commémoration et compréhension. La destruction des États d'Europe de l'Est créa des zones où, surtout en Union Soviétique occupée, purent être inventées des techniques d'anéantissement. L'histoire du massacre doit être multifocale, offrant d'autres perspectives que celles des nazis, utilisant des sources de tous les groupes juifs et non-juifs, dans toute la zone de tuerie. Les Allemands ont reçu le concours très important de citoyens soviétiques. En outre, les "terres de sang" formulées par Timothy Snyder ont été, dans leur ensemble, le théâtre de massacres de masse de la part des deux régimes qui s'y affrontaient (on impute 10 millions de victimes au régime nazi et 4 millions à l'URSS de Staline, auxquelles il faut ajouter les victimes de la famine, du nettoyage ethnique et des séjours prolongés en camps). Il faut bien se représenter que ces territoires n'ont pas été soumis à une invasion, mais à deux ou trois. D'ailleurs, les populations à l'est de la ligne Molotov-Ribbentrop, soumise à une occupation allemande et à deux occupations soviétiques, souffrirent davantage que les populations de toute autre région de l'Europe. Dans cette perspective, on pouvait fourrer tous les morts de cette zone avec les pertes soviétiques, alors même que les victimes en question, à leur mort, n'avaient été des citoyens que l'espace de quelques mois, et que beaucoup avaient été tuées par le NKVD plutôt que par les SS. En outre, les Einsatzgruppen allemands ont su formidablement mobiliser les colères d'habitants, à la suite notamment des meurtres du NKVD. Les habitants locaux, qui associaient bolchevisme et judaïsme ont été des acteurs déterminants des massacres, mus par un antisémitisme exacerbé, qui n'a pas disparu ensuite comme par enchantement. Surtout pas après guerre, où les Soviétiques avaient tout intérêt à prendre leurs distances vis-à-vis des souffrances juives. Or, le sujet est évidemment très sensible en Biélorussie et...en Ukraine, d'autant plus actuellement. Le geste relaté par Isaac peut donc aussi, il faut bien le comprendre, être un ressort puissant pour ré-ouvrir des plaies qui n'ont jamais été guéries. (Sans parler de la famine ukrainienne de 1932, les cas de cannibalisme, toussa, toussa, mais c'est une autre histoire...)
_________________ L'histoire n'est pas la science du passé, mais la science des hommes dans le temps.
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