Je passais par là, donc voilà:
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Le festival Beauregard, entre bandes de potes et bouts de ficelle
Dessiner, puis ancrer l’identité d’un festival d’été est une gageure. Le festival normand de Beauregard, dont la septième édition s’est déroulée du 2 au 5 juillet à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), en a fait le pari. Il l’a plutôt réussi jusqu’alors, mais rien n’est jamais gagné. L’affiche est équilibrée, de la chanson (Etienne Daho) au hard rock (Scorpions), avec une touche de hip-hop (Cypress Hill). Le public est fidélisé (près de 80 000 spectateurs en 2015), mais le grain de folie qui avait présidé à sa création en 2009 s’est noyé dans le canal de Caen qui borde le site. Le lieu est un bonheur bucolique : nous sommes parmi les hêtres, chênes, pins, essences rares du parc du château de Beauregard, un édifice tout en tourelles, sculptures et tarabiscotages de façade, construit en 1864. L’ORTF y avait installé une colonie de vacances, avant que la mairie de la ville nouvelle d’Hérouville-Saint-Clair ne l’acquière en 1972.
Le festival de Beauregard a commencé par s’appeler I Love John, et a bâti son image de marque sur un pictogramme à l’esthétique autoroutière, un bonhomme noir sur fond jaune, John, personnage imaginaire destiné à attiser les désirs de rock. Les premières éditions soignaient les à-côtés : des graines de plantes sauvages étaient données aux artistes pour qu’ils les plantent, du coquelicot pour Iggy Pop, du Nepeta cataria (ou herbe-aux-chats) à Mika, de la digitale pourpre pour Brigitte Fontaine…
Mais l’époque est à l’économie, à l’efficacité. John est reparti dans son autre monde, les larges plateaux de fruits de mer, marque de la production locale, ont disparu des coulisses, et les artistes passent sans semer. En auraient-ils le temps, ces stakhanovistes des festivals d’été, que l’on voit parcourir on ne sait trop comment les 660 km qui séparent Caen de Belfort en une nuit (Etienne Daho) et enchaîner les dates comme perles au collier ? Christine & The Queens par exemple, omniprésente, et réunissant les foules autour d’un refrain, « Je ne tiens pas debout/Le ciel coule sur mes mains », reprenant du William Sheller de circonstance, égrenant la Côte Fleurie (« Peut-être à Paris, à Neuilly, à Passy, à Lagny, à Trouville, à Blonville, à Deauville, à Tourville… », dans Photos Souvenirs).
Elle est volubile, Christine & The Queens, elle parle pour dix. Vendredi 3 juillet, elle succède sur la scène dite John (un fantôme) à un excellent Dominique A, dresseur précis de murs de guitare et de mots volés au temps, et précède les expérimentations sonores des Britanniques Alt-J, autres coureurs de festivals estivaux.
Observatoire décentralisé
Auparavant, Christine & les autres donnent une conférence de presse. Elle dit « oups ! » dans le microphone quand elle fait un lapsus, elle revendique le droit à l’imperfection dans ses concerts, elle qui pratique des chorégraphies si bien léchées. Elle est bonne élève, elle est courageuse, elle affronte le pire pour elle : « Les endroits immenses plein de monde », rappelant qu’elle n’a pu voir, pour cause de crise d’angoisse aiguë, Björk à Rock en Seine, il y a quelques années, quand l’aile de la notoriété ne l’avait pas encore effleurée.
Christine & The Queens est au programme des quatre festivals que développe Dominique Revert, patron de la société de production de spectacles Alias, avec quelques-uns de ses confrères, alliés à des partenaires locaux : Garorock, qui s’est tenu fin juin à Marmande, Musilac, sur les bords du lac du Bourget à Aix-les-Bains (du 9 au 11 juillet), et les Déferlantes d’Argelès-sur-Mer, entre montagne et Méditerranée (du 10 au 12, puis le 17 juillet). Les affiches diffèrent et s’adaptent au public local. Elles servent d’observatoire des goûts décentralisés aux producteurs parisiens. A Beauregard, il y a eu alliance avec la structure associative locale, le Big Band Café (BBC), qui porte le festival. Il n’en fallait pas moins pour résister en ce premier week-end de juillet déjà surchargé de rock, des Eurockéennes de Belfort au Mainsquare d’Arras.
Christine et Dominique Revert sont au moins d’accord sur un point : un festival, c’est une fête populaire, « comme le théâtre auparavant », dit-elle. On y écoute accessoirement de la bonne musique, ce qui ne gâche rien au plaisir de rire en bande. On y accompagne les gesticulations hip-hop des Latinos-Californiens Cypress Hill, tellement compressés par leurs managers et leurs deals avec les marques qu’à part la défense de la beuh ils ont perdu tout discours sur l’état du monde.