graham a écrit:
Je ne suis ni antimatérialiste ni nationaliste. Tu veux expliquer le présent en cherchant à toute force des analogies avec le passé. Je ne suis pas sûr que le méthode soit bonne. Par exemple, si ma mémoire est bonne, la cause principale de la dérive fasciste de Bergerie, Doriot, Déat, selon Philippe Burrin, c'est leur pacifisme en réaction à la guerre de 14. Quel évènement contemporain aurait pu être aussi traumatisant pour nous que la Première guerre mondiale pour cette génération là ? Nous sommes au début du XXIe siècle, pas dans les années 30, et comme le dit justement Alain Finkielkraut, la spécificité du présent c'est que c'est ce qui n'est jamais advenu auparavant. L'Histoire permet de comprendre le présent en tant que prolongement du passé, pas de prédire l'avenir. Elle ne repasse pas les plats.
Je suis très honoré que tu te penches sur mon cas, beaucoup moins par les comparaisons que tu dresses entre moi et Déat ou de Man. Mais comprends que chaque parcours est singulier, le contingent le dispute souvent au nécessaire et tu ne disposes pas de tous les éléments pour comprendre mon cheminement, ni même sans doute pour me situer politiquement. Moi non plus d'ailleurs, il faudrait que je mette mes idées en cohérence mais je n'en vois pas l'utilité actuellement. Si tu veux utiliser utilement ton intelligence et tes connaissances, je crois que tu devrais plutôt t'intéresser à l'évolution politique de la société française dans son ensemble. En tous cas c'est à mon avis ce que devrait faire la Gauche en urgence.
Justement, si moi je tente une analogie hasardeuse à partir d'éléments que je ne maîtrise pas, je me garde bien de faire de l'anachronisme entre le Déat et le De Man des années 30 et ce qu'ils vont advenir à la faveur des années 40. Je décris simplement un cheminement intellectuel qui n'est pas sans en rappeler d'autres, sans prédire de quoi demain sera fait. J'ignore ce que tu seras demain et quelle sera la conjoncture à laquelle nos grilles de lecture du monde seront confrontées. Pour les hommes que j'ai cités, c'est la défaite de 40 qui leur a offert les conditions exceptionnelles qui ont fertilisé un terreau intellectuel propice à la dérive fasciste, mais qui n'était pas inéluctable. En outre, pour ce qui est de la fameuse matrice de la Guerre de 14, le postulat de Burrin est un peu simpliste, à mon sens. Sternhell a par exemple montré que la Grande Guerre n'a été qu'un événement catalyseur pour mettre en marche une idéologie déjà mûrie, en fait, par la remise en cause de la foi dans le progrès et la raison dès les années 1890 par des penseurs tels que Bergson, Sorel, Barrès, Le Bon, Michels, Pareto...Un mouvement de révolte contre l'ordre bourgeois et libéral a trouvé ses manifestations dans un courant de gauche avec l'anarcho-syndicalisme, de droite avec le boulangisme puis les ligues antisémites.
En revanche, s'il existe bien une analogie à faire entre les années 1890, 1930 et les nôtres, c'est le sentiment de vivre une période de malaise profond : crise morale, crise économique, crise de civilisation, sentiment de décadence (on est proche de l'abîme !)...