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Le 5 avril 1905, Pierre Savorgnan de Brazza embarque à Marseille pour sa dernière mission en Afrique. « Explorateur visionnaire » et « piètre administrateur » (1) du Congo français (Gabon, Moyen-Congo, Oubangui-Chari) jusqu’en 1897, remercié pour absence de souplesse face aux intérêts coloniaux privés par le ministre des Colonies, il a été rappelé par le gouvernement français pour mener une urgente mission d’inspection « extraordinaire » dans cette colonie qu’il connaît si bien.
Dans des « instructions strictement confidentielles » adressées à Brazza, le ministre des Colonies écrit qu’il y a certes « lieu de craindre que l’établissement de la domination française n’ait été marqué quelque fois par des excès ». Des « excès », c’est-à-dire des crimes coloniaux, que la presse métropolitaine vient du reste de révéler : c’est l’affaire « Gaud et Toqué », tout particulièrement, qui a motivé la décision d’envoyer l’honnête Brazza sur les lieux. De ce scandale, rappelons notamment que Fernand Gaud, commis des affaires indigènes, surnommé « la bête féroce » par les dits indigènes avait, pour fêter le 14 juillet, fait exploser un prisonnier africain en lui introduisant une cartouche de dynamite dans l’anus. Cela lui valut au tribunal de Brazzaville une peine de cinq ans, ramenée à deux, au grand dam des Blancs de la colonie selon lesquels c’était encore trop.
Mais dans l’esprit de ceux qui l’ont désigné, il s’agira évidemment pour lui de « démontrer que le Congo français restait irréprochable », à l’inverse du Congo belge dont une campagne internationale vient de dénoncer avec fracas le régime de terreur abominable qu’il inflige aux indigènes.
C’est pour couper court à toute campagne de ce genre, dont les rivaux de la France s’empresseraient de profiter, que doit se faire cette inspection. Elle a tout pouvoir. Six mois durant, Brazza et son équipe travaillent d’arrache-pied, sillonnant en tous sens l’immense territoire largement « concédé » au compagnies privées, amassant témoignages et rapports en dépit de toutes les obstructions.