Allez Caen n°237 – Octobre 2006
Rendez-vous avec Brahim Thiam
« Je n'ai jamais douté… »
Pilier de la défense malherbiste depuis le début de l'année 2006, Brahim Thiam a enfin retrouvé le bonheur rencontré lorsqu'il était monté en Ligue 1 avec Istres, ville du sud où, avec sa petite famille, il a vécu 4 ans. Sollicité par Franck Dumas sur les conseils de Xavier Gravelaine, qui connaissait l'international Malien pour avoir été l'arme maîtresse offensive du FC Istres lors de son accession inattendue, Brahim Thiam a mis quelques longues semaines pour digérer sa venue à Caen. Le déclic attendu et espéré, c'est à Guingamp, il y a un peu plus d'un an qu'il l'a trouvé, curieusement sous la forme d'une expulsion qui semblait pourtant devoir l'envoyer en enfer. Car derrière son engagement physique, son faciès de redoutable guerrier et son caractère bien trempé, Brahim fonctionne à l'affectif et à la confiance. Rencontre avec un homme pas vraiment ordinaire…
- Brahim, comment ça va ?
- Ca va. Je suis complètement satisfait du jeu que nous produisons et des points que nous avons après 10 journées. Six victoires dont deux à l'extérieur et quatre nuls, invaincus en dix matchs, nous sommes sur la bonne trajectoire mais surtout, nous sommes dans la continuité de la fin de saison dernière, ce qui signifie que nous avons désormais des acquis profonds. Tout le travail que nous avons réalisé ensemble a donné des bases solides et comme nous avons gagné en qualité, c'est normal de se retrouver là. On a une équipe pour voyager et on l'a prouvé en cinq matchs. Maintenant, il faut poursuivre sur cet élan.
- Pour toi, en début de saison l’an passé, les choses n'avaient pas été aussi évidentes…
- Non, parce que tout changeait pour moi. Quand tu as vécu quatre ans dans le Sud et que tu arrives au Nord, ce n'est ni le même environnement, ni la même vie. Tu arrives dans un club que tu ne connais pas et où personne ne te connaît or il faut du temps pour se découvrir les uns et les autres. Nous avons tous une manière de fonctionner différente, qu'il faut que les autres découvrent et ça prend du temps. J'ai aussi vécu deux mois à l'hôtel, sans ma famille, ce qui n'aide pas à trouver tes marques dans une nouvelle ville. Et puis il y a eu ce carton rouge à Guingamp…
- C'était le signe que les choses n'allaient pas bien ?
- Non, c'était une erreur d'arbitrage qui s'ajoutait au reste. Auprès des arbitres, je ne passe pas pour un tendre, j'exige de leur part du professionnalisme et du respect et quand ce n'est pas le cas, je leur dis. Et là, l'arbitre avait parfaitement vu le manège de Suarez qui donnait des coups de coudes dans les duels et c'est moi qui étais sanctionné… Et au premier tacle, il m'a sorti. Il avait participé à la provocation de l'attaquant de Guingamp et je jugeais cela inacceptable. Mais curieusement, cela m'a servi plus tard, comme une sorte de déclic.
- Pourquoi ?
- Parce que j'avais besoin de parler, qu'on me fasse voir qu'on me faisait confiance. J'ai discuté avec Franck et le président, j'ai expliqué comment je fonctionnais, on m'a d'abord écouté, laissé faire et les choses ont alors changé. J'ai été suspendu un match mais on m'a rappelé le suivant et j'ai beaucoup apprécié. J'ai voulu ensuite rendre ce qu'on m'avait donné.
- A 32 ans, comment vois-tu la suite de ta carrière ?
- Comme si j'avais 18 ans. Je me sens psychologiquement très frais, ma passion est intacte et en plus, j'ai toujours l'impression de progresser et d'apprendre. Ce qui est d'ailleurs normal car l'âge et l'expérience servent à progresser. Avec le temps, on se connaît mieux et on sait surtout mieux exploiter ses qualités. On a davantage de recul pour juger les choses et les événements, on a une meilleure notion des valeurs.
- Qualité athlétique, jeu aérien, forte présence dans les duels…
- Je joue avec les qualités que m'a donné la nature et je fais tout pour les exploiter au mieux. C'est au quotidien que ça se joue, par une bonne hygiène de vie, un travail sérieux à l'entraînement. J'ai un bon timing dans le jeu aérien et une bonne détente, beaucoup de force de caractère pour aller au combat. J'essaie aussi d'être plus précis et plus décisif dans les relances, de surprendre l'adversaire. Avec la qualité technique de nos attaquants, je peux davantage prendre de risques dans ce domaine, les ballons ont de bonnes chances d'être bien exploités offensivement.
- Tu parles aussi de tempérament guerrier…
- Oui, je pense aussi que ça fait partie de ce que l'entraîneur attend de moi, avec cette influence que ça peut avoir sur les autres. C'est une marque de mon engagement dans l'ambition du club, il appartient aux plus anciens et plus expérimentés d'inculquer aux plus jeunes la nécessité de combattre et s'accrocher durant 90 minutes. Je sais que dans ce domaine, je dois être exemplaire. Il faut que, dès les premières minutes du match, je fasse voir à mes équipiers comme aux adversaires qu'on va se faire respecter. Il y a un rapport psychologique à imposer d'entrée. Un premier duel gagné, c'est un signe de confiance pour les équipiers et c'est parfois une manière d'intimider un adversaire déjà pas trop sûr de lui quand il nous rencontre. Comme je le faisais à Istres avec Xavier Gravelaine, c'est aux deux ou trois meneurs de l'équipe de faire passer ce double message.
- La combativité, est-ce un manque aujourd'hui ?
- Non, nous ne sommes pas à ce niveau de classement et avec ces statistiques sans que tout le monde participe fortement mais cette saison, notre potentiel technique et collectif est tel que l'on peut se laisser euphoriser. J'en parle librement parce que je crois que l'adversaire le plus dangereux pour nous, c'est nous. On manque parfois de tempérament, il faut que l'on se brutalise de temps en temps. Ce qui est intéressant, c'est que nous avons encore des progrès à faire, nous pouvons être encore meilleurs mais c'est plus dans la concentration, dans le replacement défensif, ,dans la qualité du marquage. Et je suis bien sûr concerné par ces remarques.
- Tu as été recruté pour tes qualités mais aussi pour ton caractère et ton expérience. A Bastia la saison dernière, dans un environnement complexe et très tendu, tu avais été comme un poisson dans l'eau…
- Oui, j'aime bien ce genre de situation. Disons que ça ne peut pas me déstabiliser, s'il faut aller au combat, j'y vais. Je sais ce que c'est que l'intimidation. Un environnement hostile, je connais aussi. J'ai joué des matchs de Coupe d'Afrique des Nations avec le Mali dans des stades de 80 000 personnes où la sécurité n'était pas du tout garantie. C'est bien autre chose que Bastia avec ses 5000 spectateurs et ses 100 excités.
Lors du dernier Mali-Togo que nous avons perdu 2-1, le peuple s'est révolté contre la fédération qui ne nous donnait pas les moyens, malgré la qualité de l'équipe, de préparer les matchs correctement. Nous n'avons pu quitter le stade que quatre heures après le match car dehors, les émeutes avaient embrasé la ville, voitures brûlées, magasins pillés et retournés… Ces situations extrêmes qui font partie de mon vécu me permettent de relativiser et en France, il n'y a rien de comparable, tu ne pourras jamais ressentir de telles émotions. Je comprends que certains jeunes joueurs puissent être inhibés ou pétrifiés par la pression d'un enjeu ou par l'hostilité d'un public mais quand tu as vécu ce que j'ai vécu là-bas, tu deviens plus fort, tu grandis, tu prends la juste mesure des choses et des événements. En tant que joueur, il est clair que cette expérience fait partie de mon bagage et de mes forces.
- On aurait pu commencer par là mais la carrière de Brahim Thiam a quelle allure ?
- Celle d'une belle carrière professionnelle. J'en suis fier car j'ai une cinquantaine de sélections en équipe nationale du Mali avec laquelle j'ai joué depuis 1995. J'ai joué en Espagne deux saisons, la première à Levante, la seconde à Malaga où nous avons accédé à l'élite puis quatre ans à Istres et deux à Caen. J'ai fait mes débuts à Montpellier lorsque je suis entré au centre de formation et mes trois premiers matchs en Ligue 1, je les ai joués là-bas. Avant de partir en Espagne, j'ai joué trois saisons en National, 93-94 à Bourges et 94 à 96 à Saint Leu. J'ai douze années de carrière derrière moi, j'ai vu beaucoup de choses et j'ai pourtant l'impression qu'il me reste un avenir à haut niveau, j'ai encore envie et la passion est intacte…
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