Ce que j'ai vu hier à d'Ornano, m'a donné envie d'écrire à Fortin, sans trop y croire...
A Caen, le 11.09.2011
Objet : « dépopularisation », « désidentification », « désupportarisation » : les trois « maux » du stade Michel d'Ornano.
Monsieur le Président,
Je me permets de vous écrire, en tant que simple supporter, pour vous faire part de mon exaspération, et de celle d'une bonne partie de ma tribune – je suis abonné depuis plus de 10 ans en Populaire F – concernant les relations entre le club et ses supporters (clients ?).
Avant toute chose, je souhaiterais d'abord vous remercier pour le travail que vous avez effectué aux côtés du staff technique ces dernières saisons. La politique sportive que vous avez définie semble porter ses fruits. Elle a su reprendre les meilleurs principes de « l'ère Patrick Remy », fondée sur un recours massif aux jeunes du centre de formation et un jeu porté vers l'avant, tout en améliorant, semble-t-il, la gouvernance du secteur professionnel. L'intelligence d'un recrutement qualitatif plus que quantitatif, le choix d'un staff attaché à l'histoire du club et à ses valeurs, l'humilité et la stabilité véhiculées par la direction, caractérisent cette politique humaniste qui honore notre région toute entière. Il me semble d'autant plus honnête de saluer votre réussite que nombre de clubs formateurs, pour avoir oublié, ne serait-ce que momentanément, ces principes (Lens, Nantes, Strasbourg...) s'embourbent dans les profondeurs des classements des divisions inférieures.
Malheureusement, d'autres évolutions ont été beaucoup moins roses depuis le retour du club en Ligue 1. L'arrivée massive de diplômés (ou non) en marketing et la financiarisation croissante du football ont totalement bouleversé les relations qu'entretenait le club avec ses supporters. Trois tendances semblent s'installer durablement au stade Michel d'Ornano. Elles sont inquiétantes.
En premier lieu, la « dépopularisation » du stade. Le match Caen-Toulouse constitue un révélateur inquiétant de ce phénomène puisque à peine plus de 12 000 personnes ont assisté à la rencontre, ce qui traduit un taux de remplissage du stade d'à peine plus de 50%. Pour ce type de match, l'affluence en début de saison était l'an dernier d'au moins 14 000 spectateurs, ce qui n'était déjà pas reluisant. En 2009-2010, le troisième match à domicile, en Ligue 2 (!), Caen-Dijon, avec 12 657 spectateurs, réalisait une meilleure affluence que le match de samedi. La pratique de tarifs prohibitifs en tribune populaire (de 14 à 18 euros selon les matchs) a eu pour conséquence de priver un bon nombre de familles caennaises de stade. A titre comparatif, les prix pour le match Rennes – Nancy, disputé samedi dernier, était de 9 euros en populaires (plein tarif). Cinq euros d'écart pour un match équivalent : cela laisse pantois. Ne nous y trompons pas : les premiers interdits de stades sont les familles caennaises qui n'ont plus les moyens de venir supporter leur équipe. Et si les tribunes populaires demeurent les mieux garnies, on le doit aux spectateurs habitués des tribunes supérieures en gamme qui, face à la montée parallèle des prix de leur tribune, se « retranchent sur les populaires ». Résultat : les tribunes premières et secondes sonnent creux, et ce ne sont pas des « offres commerciales » ponctuelles qui changeront les nouvelles habitudes prises par ce public. Pourtant, ce qui fait du football un sport universel, c'est sa capacité à rassembler, dans un même stade, des populations diverses. Le patron et ses employés, les jeunes et moins jeunes, les citadins et les ruraux... tout le monde cohabite autour d'une même passion. Les prestations en loge VIP, ô combien nécessaires, devraient permettre de dégager les ressources suffisantes, pour pratiquer pour le reste du public, des tarifs accessibles. L'exemple rennais montre qu'il s'agit là de choix stratégiques.
Seconde tendance inquiétante, la « désidentification » du club. Les équipes marketing du stade Malherbe ont voulu recréer de toute pièce un « univers mental », un « imaginaire », dans lesquels les supporters ne se retrouvent pas. Alors que la Normandie fête son 1100ème anniversaire, elles n'ont rien trouvé de mieux que d'enlever le drakkar du logo du club, pour le remplacer par un « ballon » standardisé (!). L'identité est pourtant le fondement de toute image de marque. Jamais l'Olympique Lyonnais, le Paris Saint Germain, ou l'AS Saint Etienne ne songeraient à changer de logo, ce dernier étant le fondement même de l'imaginaire qu'ils souhaitent valoriser dans leurs boutiques. Pour remédier aux critiques, une « mascotte viking » a été créée dans la précipitation. Un pseudo « hymne normand » du club a suivi, sans que jamais le public caennais ne s'y attache. Cette « folklorisation », synthétisant tous les clichés sur la culture normande, est malheureuse. J'ose croire que l'approche des festivités du centenaire du club constituera une fenêtre d'opportunité, afin de « remettre le drakkar à flots ».
Troisième tendance inquiétante : la « désupportarisation » du public. Les difficultés croissantes rencontrées par le Malherbe Normandy Kop pour réaliser ses « tifos », tandis que se développent, appuyées par le service communication, des animations de kermesse (clap-clap, …) sont à cet égard symptomatiques. L'autogestion de l'animation des tribunes par les supporters semble laisser place à des animations contrôlées en amont et en aval par les services du club. Cette perte de spontanéité, d'indépendance, transforme peu à peu les supporters en « public de jeux télévisés » où un panneau lumineux indiquera bientôt aux spectateurs lorsqu'ils devront applaudir ou non. L'objectif ne serait-il pas de transformer un stade de supporters en un parc d'attraction publicitaire ? « Dépopularisation », « Désidentification », « Désupportarisation ». Trois maux qui ont néanmoins des remèdes. Le retour des places à 9 euros en tribune populaire, la réintégration du drakkar sur le logo à l'occasion du centenaire, l'autonomie laissée aux supporters pour l'animation du stade, sont autant de mesures concrètes que le club pourrait prendre rapidement. Ces propositions se veulent constructives. Elles n'ont en aucun cas pour but de se substituer aux revendications du MNK96, pour la plupart légitimes. Elles visent à montrer que l'exaspération du principal groupe de supporters caennais trouvent un écho plus large auprès du public. La banderole du MNK96 sur le prix des places a ainsi été ovationnée par tout le stade et de nombreux amis en loges m'ont dit leur honte de donner à voir à leurs clients un stade silencieux.
D'un conflit doit déboucher du positif, qui améliore l'existant. La pire des choses serait le déni et la poursuite d'une mauvaise ambiance à d'Ornano qui a déjà des incidences sur les performances de l'équipe. Vous vous présentez souvent dans la presse comme un « président humaniste », ce conflit vous fournit une occasion bien concrète d'incarner ces valeurs.
Dans l'espoir d'une réponse, je vous prie, Monsieur le Président, de croire en ma profonde estime.
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