Y a des bouquins qui vous attrapent dès les premières lignes. Ca vous agrippe par les jambes, les tripes et les couilles et vous entraîne bien profond sans pour autant que vous n'ayez l'envie de vous débattre. Ca vous scotche tellement que vous vous demandez comment vous avez pu rester si longtemps sans lire ce truc. J'en suis à un peu plus de la moitié et pourtant et j'vais déjà claquer la petite note de lecture bibliophile en espérant convaincre quelques-uns d'entre vous.
Alors voilà, un polar, en général, c'est de l'urbain et de l'asphalte. A l'opposé du privé déprimé et alcoolique paumé dans la ville, la culture américaine propose une autre figure archétypale : le red-neck. Comprenez le bouseux, le cul-terreux, le bas du front un peu co-sanguin. Ca remonte peut-être à la guerre de céssession ce truc là du sudiste un peu abruti à force que le soleil lui tape sur la tête. A bien regarder, le cinéma, la télé, la musique et donc la littérature regorgent de ces mecs à chemise à carreaux, casquette et moustache, jean cradé à l'huile de vidange et autocollant sudiste à l'arrière du pick-up (disons du "Shériff fais moi peur" ou les pochettes d'album de Nashville Pussy).
Bref, dans l'univers du polar, on trouvera la figure du redneck dans
La Bouffe est Chouette à Fatchakulla ! (chroniqué dans les pages précédentes),
Fantasia chez les Ploucs (pas encore lu mais ça traîne dans la biblio) et donc (j'y viens enfin) dans ce que je suis en train de lire :
1275 Âmes de Jim THOMPSON, la première édition française date de 1966. Les bibliophiles apprécieront mais ce roman mythique est le n° 1000 de la série noire (souvenez-vous, il y a peu je vous ai parlé du n° 2000 de Jonquet qui a claqué depuis...)
Mais si vous en avez rien à fouttre de la Série Noire, ça se trouve aussi en Folio policier.
Quatrième de couverture :
Je m'appelle Nick Corey. Je suis le shérif d'un patelin habité par des soûlauds, des fornicateurs, des incestueux, des feignasses, et des salopiaux de tout acabit. Mon épouse me hait, ma maîtresse m'épuise et la seule femme que j'aime me snobe. Enfin, j'ai une vague idée que tous les coups de pied qui se distribuent dans ce bas monde, c'est mon postère qui les reçoit. Eh bien, les gars, ça va cesser. Je ne sais pas comment, mais cet enfer va cesser.
Les premières lignes :
He ben, mes enfants, je devrais l'avoir belle. Être peinard ce qui s'appelle. Tel que vous me voyez, je suis le shérif en chef du canton de Potts, et je me fais pas loin de deux mille dollars par an - sans compter les petits à-côtés. En plus, je suis logé à l'œil au premier étage de l'immeuble du tribunal, et il faudrait être bougrement difficile pour ne pas se contenter de ça : il y a même une salle de bain, ce qui fait que j'ai pas à me laver dans une lessiveuse ni à patauger jusqu'au fond du jardin pour aller aux cabinets, ce qui est le cas de la plupart des habitants de ce pays. Moi, mon paradis, je peux dire que je l'ai sur terre. Un vrai filon, que je tiens là, et pourquoi je continuerais pas à faire ma pelote, du moment que je m'occupe de mes oignons et que je prends bien garde de n'arrêter personne, à moins que je puisse pas faire autrement - et encore, à condition que ça ne mène pas loin (...) !
Dans la préface, Marcel Duhamel (traducteur du bouquin et alors patron de la Série Noire) prévient :
Jim Thompson n'est pas un auteur drôle. Habituellement, ce qu'il écrit est nettement couleur d'encre. cette fois, il a choisi le noir absolu, couleur de néant. C'est proprement insupportable, inacceptable, presque. mais le paquet est si habilement présenté... (...) Bref, suivant l'angle où l'on se place, l'ouvrage est ou bien une apologie de l'abomination, ou bien un réquisitoire contre toutes les vacheries du monde, ou encore, comme je le disais tout à l'heure, une bouffonnerie (...) j' savais foutre point c' qu'i' fallait en penser.
Pour pitcher, Nick Corey est le Shérif d'un bled paumé. Il fait attardé comme ça au premier abord mais ne vous y fiez pas, c'est là la meilleure façon d'avancer masqué un peu comme un Columbo. Sauf que Nick Corey, il s'en bat un peu le couilles de faire respecter la loi et l'ordre dans son comté. Ce qu'il souhaite, c'est être reconduit dans ses fonctions et pour cela, la fin justifie les moyens.
Nick Corey vit avec Myra, mais aurait bien passé sa vie avec Amy quoiqu'à l'occasion, il se tape Rose.
Ah au fait, Myra a un frère : Lennie est débile léger et sa seule distraction et d'aller mater aux fenêtres des femmes (ça vous fait penser à rien? Spéciale dédicace à Jean-Louis).
Jim Thompson est un grand du polar. Il est reconnu pour la noirceur de ses tableaux, faut dire qu'il sauve pas grand chose ici-bas.
Les arnaqueurs (
adapté au cinoche par Stephen Frears) c'est de lui par exemple.
Un mot sur le style : c'est rédigé à la première personne dans un style gouailleur. Faut dire qu'à l'époque, la série noire adoptait un mode de traduction argotique à la Audiard quoique là, vraiment, le texte n'a pas eu trop à souffrir et on s'acquitte des "laisse pisser le mérinos".
La chronique sur Pol'Art Noir
La chronique sur le Club des rats de biblio-net
Autour du roman :
Y a une adaptation française de 1275 âmes, c'est
Coup de Tochon de Bertrand Tavernier vvec Philippe Noiret, Isabelle Huppert, et Jean-Pierre Marielle.
JB Pouy ouvre les aventures de Pierre de Gondol, son second héros (après le Poulpe), par le roman
1280 âmes. Bah oui, le titre original est Pop 1280, bref, on a perdu 5 têtes en route...
En polar rural français, je vous conseille vivement 2 A.D.G :
La Nuit des Grands Chiens Malades (adapté au cinoche par Lautner sous le titre de
Quelques Messieurs trop Tranquilles) et Berry Story (les 2 à la Série Noire).