Vous avez du entendre parler du fait qu'au Canada, Trudeau avait démissionné et laissé sa place à un nouveau gars. Et c'est assez fou ce qui se passe ici.
En 2024, la situation est devenue de plus en plus difficile pour Trudeau et son gouvernement libéral (centriste), qui ne disposait que d'une majorité relative au parlement. Il ne tenait concrètement qu'avec le soutien du NDP (le parti de gauche), en échange de lois un peu plus progressistes, mais à l'automne le NDP annonce son intention d'arrêter les frais (sans autre raison que de vouloir éviter de chuter avec lui, amha). L'élection de Trump, et les menaces immédiates qui ont suivi avec le Canada, l'ont achevé, avec la démission un peu surprise de Chrystia Freeland, sorte de vice première ministre et successeure désignée de Trudeau. Ca rendait inévitable une mise en minorité des libéraux à la rentrée parlementaire en mars, et donc de nouvelles élections, qui paraissaient alors acquises aux conservateurs (le parti de droite).
C'était d'autant plus pénible que le candidat conservateur, Pierre Poilievre, est assez flippant dans son genre. Une caricature du pro de la politique, 45 ans dont 20 comme député, qui a repris toute la panoplie du vocabulaire trumpiste/alt-right. Anti "woke", anti taxe, anti écolo, anti force publique (il vise notamment la CBC, la BBC canadienne), anti immigrants, anti vax ou pas loin... mais par contre pro crypto. Il a passé son temps depuis qu'il est le chef à droite à taper ad hominem sur Trudeau, et à force c'est rentré dans la tête de pas mal de Canadiens - et puis bon Trudeau a été élu 3 fois, ca faisait 10 ans qu'il était premier ministre, y'avait une lassitude légitime...
Bref. Début janvier, Trudeau prend tout le monde de court en annonçant sa démission, effective le temps que le parti libéral se choisisse un nouveau leader, sans attendre donc d'être mis en minorité au parlement. Trudeau se met alors à se lacher un peu plus contre Trump, et ca plait bien aux Canadiens. Sa cote remonte, tandis que les mille menaces de Trump se mettent à sérieusement inquiéter. Et "on" se met à percuter que Poilievre, il ressemble quand même vachement à un jeune Trump canadien, et ca fait pas très envie.
Coté parti libéral, on fait la liste des candidats attendus à la succession - Freeland et d'autres ministres - quand les médias se mettent à parler avec insistance d'un gars que personne ne connait trop, Mark Carney.

Il n'a jamais fait de politique, il est surtout connu pour avoir été le patron de la banque du Canada et de la banque d'Angleterre... et plus récemment comme patron de Brookfield
(la maison mère d'Oaktree (!) ). Et... en fait, bah il passe hyper bien dans les médias. Le mec est présenté comme hyper sérieux mais écolo, rassurant pour les vieux mais ouvert aux minorités, sur de lui mais à l'écoute. Message clair, carré, tranquille, même drôle à l'occasion. Il arrive à contraster à la fois avec Trudeau et Poilievre, sans en rajouter. La quadrature du cercle.
Il a explosé la primaire des Libéraux (avec 85% des voix alors qu'ils étaient six, dont Freeland) et donc est devenu premier ministre par intérim. Il a décidé immédiatement de convoquer des élections au plus tôt - ce qui était un petit pari car sa victoire n'a alors rien de garantie, et qu'après tout il aurait pu être tenté de profiter de son job pour gagner en stature.
Il se concentre sur les sujets canadiens et répond à peine à Trump, qui de son coté a arrêté comme par magie de s'acharner sur le Canada. Plutôt que se précipiter aux US comme le font chaque premier ministre canadien, son premier voyage officiel a été d'aller en France, au Royaume-Uni et dans les territoires des premières nations - décrits comme les trois peuples fondateurs du Canada. J'ai trouvé ca hyper malin.
Alors que le mec est du centre-droit, il vient de promettre la mise en place d'une grande agence du logement abordable, qui a complètement disparu au Canada depuis 30 ans. Bingo encore.
Les courbes des sondages sont hallucinantes. Il est parti pour tout renverser :
Le parti conservateur, a qui les sondages ont promis jusqu'à 240 sieges (sur 343), ce qui aurait été un vrai raz de marée, est retombé à 120. Le parti de gauche est parti pour être laminé, le vote utile jouant à plein : tous les progressistes s'accordant sur le fait que la priorité #1 est d'éviter une majorité pour Poilievre.
Et Carney, avec 43-45% des voix, ferait gagner aux libéraux pas loin de 200 sièges, ce qui ne s'est pas vu depuis les années 1990.
Verdict le 28 avril.