arcisse a écrit:
Yop. Apparemment il n'a été publié que sur le site, pas dans le journal (?).
Citation:
Libération (site web)
vendredi 16 août 2024 - 06:15:00 2814 words
«Je croyais parler à des alliés» : face aux violences sexuelles, les festivals de metal restent durs d’oreille
Mathilde Roche
«Petits frères» du Hellfest, les événements estivaux Motocultor et Xtreme Fest assurent agir contre les violences sexistes et sexuelles. Mais plusieurs témoignages rendent compte d’une gestion catastrophique de cas d’agressions et de viols.
Impossible, en 2024, d’imaginer organiser un événement public regroupant plusieurs milliers de personnes sans communiquer un minimum contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles (VSS). Les festivals de musiques extrêmes – metal, rock et punk hardcore – et en particulier ceux qui ont été mis en cause dans des témoignages de victimes les années précédentes, savent qu’ils ne peuvent plus faire l’impasse s’ils veulent redorer leur image. Mais où s’arrête la remise en question et où commence l’hypocrisie ? Lors d’une première enquête sur le Hellfest , Libération faisait la lumière sur de graves manquements à la suite de cas de VSS en interne , et, de fait, sur la légèreté du dispositif de prévention. Les mêmes négligences s’observent chez les «petits frères» du Hellfest : le Motocultor, dont la seizième édition a commencé ce jeudi 15 août à Carhaix (Bretagne), et l’Xtreme Fest, qui se tenait pour la onzième fois près d’Albi (Occitanie) fin juillet.
Bien que ces festivals soient plus récents et plus niches, leur fréquentation est en hausse, avec 54 000 entrées en 2023 pour le premier, et 8 000 en juillet pour le second. Rien à voir avec le Disneyland du metal qu’est devenu le Hellfest avec ses quelque 280 000 festivaliers en juin, mais chaque été, les témoignages de harcèlement, d’agressions ou de viols subis par des spectatrices et des bénévoles lors de ces deux événements s’accumulent. Sur le papier, les deux festivals ont noué des partenariats avec des organismes formés sur les violences sexuelles. Mais l’indifférence, voire la mauvaise volonté de certains responsables sur le sujet se traduit, comme dans le cas du Hellfest, par une trop lente amélioration de la situation sans réelle remise en question, comme on peut l’observer également à propos de la quincaillerie nazie trimballée par certains festivaliers. Ainsi, plusieurs agressions sexuelles survenues au sein des équipes ont fait l’objet de remontées aux directions sans être suivies de mesures concrètes – quand elles n’ont pas été étouffées.
«J’étais encore une gamine !»
Déterminée à faire carrière dans la musique, Louise (1), tout juste 18 ans, cherche à se faire des contacts dans sa région toulousaine. Elle arrive en tant que bénévole à l’Xtreme Fest en 2018, équipe billetterie. Première et dernière fois. A la fin du festival, une fois le public parti, les équipes techniques et les petites mains font la fête. Quand au milieu de la nuit, elle rejoint l’énorme gymnase où tout le monde dort pêle-mêle sur des matelas de camping, «un ingé son avec qui je n’avais eu aucun rapprochement durant la soirée m’a suivie,explique-t-elle. J’étais très alcoolisée, il l’a bien vu. Il s’est allongé à côté de moi et a commencé à me faire des attouchements, non consentis. J’ai essayé de le repousser, sans réussir à me débattre.» Le cauchemar dure jusqu’à ce que ses amis rejoignent leur couchage. Le lendemain, accompagnée de sa mère, Louise prévient le chef des bénévoles et les dirigeants de Pollux Asso, qui organise le festival. «Ils m’ont assuré qu’ils lui feraient un rappel à l’ordre et ne travailleraient plus avec lui.»Interrogée, la direction de l’association a indiqué ne pas souhaiter répondre à nos questions pendant sa période de congés, soit jusqu’en septembre.
Louise dit ne plus jamais avoir été contactée par l’Xtreme Fest. Mais quelques jours après le festival, elle a découvert un message de son agresseur dans sa boîte mail. Le technicien reconnaît les faits, dit vouloir «mettre les choses à plat».«On ne se connaît pas vraiment, mais je t’assure que je ne suis pas une mauvaise personne aux penchants pervers. […] Je regrette d’avoir aussi mal agi envers toi et j’espère pouvoir te prouver que ce n’était qu’une grosse erreur de ma part et non pas un trait de mon caractère.»La très jeune femme qu’elle était alors, peu éduquée sur la réalité des violences sexuelles et soucieuse de ne pas se faire d’ennemi dans le milieu, répond être choquée de cette nuit mais que l’incident est clos. Six ans plus tard, Louise en veut surtout à la direction. «Ils n’ont pas pris de mes nouvelles mais ils ont donné mes coordonnées au mec. Il aurait pu me harceler, me mettre la pression si j’avais décidé de porter plainte. Je trouve ça complètement irresponsable, hyper grave, d’autant plus que j’étais encore une gamine !»
Une gestion catastrophique de la situation qui s’est répétée à plusieurs reprises, selon des témoignages concordants. Amatrice de musique extrême, Sandra (1) était bénévole pour les deux festivals en 2018 et en 2019. A l’époque bien intégrée chez Pollux Asso – qui organise des concerts toute l’année autour de Toulouse en plus de l’Xtreme Fest – elle traîne avec cette grande bande de «techos» et d’aficionados du metal sur son temps libre. Dans un bar, fin 2019, un autre bénévole régulier profite d’être bloqué face à elle dans la salle bondée pour l’embrasser de force. Sandra informe les deux chefs de leur petite boîte de prod de cette agression sexuelle commise par son collègue. «Mais j’ai continué de le croiser à plusieurs reprises sur des dates l’année suivante»,affirme-t-elle.
Décisions maladroites
En 2021, elle comprend à la lecture d’ un article de Mediapartpourquoi rien n’a été fait : l’un des deux chefs, aussi responsable des loges de l’Xtreme Fest, avait déjà passé sous silence plusieurs faits similaires. Notamment pendant le festival de l’été 2019, où un tourneur aurait mis une main aux fesses d’une bénévole, avant de lui empoigner violemment le visage pour lui demander si elle avait «un problème avec lui», selon les informations de nos confrères. «J’ai donc prévenu Pollux Asso que leur responsable avait couvert d’autres agressions sexuelles,raconte Sandra. Elle rencontre deux membres du bureau pour un entretien, enregistré avec son accord, et livre son témoignage. «Je croyais parler à des alliés, puis ils ont prétexté un problème technique pour ne pas m’envoyer le fichier audio et ne m’ont transmis que la retranscription, sur laquelle j’ai découvert qu’il manquait des éléments.»La jeune femme précise n’avoir plus donné suite auprès de l’équipe du festival, sans possibilité de prouver ses dires. «Après ça, je me suis énormément méfiée, persuadée qu’ils n’hésiteraient pas à me jeter sous le bus pour se sortir de la sauce.»Elle a porté plainte contre son agresseur présumé quelques semaines plus tard, mais depuis un appel de l’inspectrice en 2022, Sandra ne sait pas où en est la procédure.
A la suite de ces remontées, Pollux a fait son mea culpa sur les réseaux, et ses adhérents se sont réunis le 19 juin 2021. Dans le procès-verbal de l’assemblée générale, consulté par Libération, une autre bénévole rappelle avoir subi un viol en mai 2019, et découvert son agresseur sur le festival quelques mois plus tard. «Elle précise qu’au moins deux personnes du bureau Pollux étaient au courant et qu’en accréditant cette personne, l’association ne l’a pas mise en sécurité ; qu’elle a vécu une violence psychique, émotionnelle et morale.» Quand l’organisation se défend en rappelant avoir exclu son agresseur présumé le jour même, la jeune femme rétorque «avoir été virée» elle aussi. Une «décision prise en concertation avec sa responsable car il fallait la protéger et qu’elle n’était plus en capacité de continuer sa mission au sein du festival compte tenu de son état émotionnel»,répond la direction. Pour la bénévole, le message envoyé en la plaçant au même niveau de son agresseur est qu’elle faisait partie du problème. D’autres prises de parole ce jour-là confirment des cas de violences dans les équipes et soulignent la nécessité de «former les responsables des bénévoles»afin d’éviter des décisions maladroites.
Une formation qui permettrait de toucher toute la communauté des musiques extrêmes. Si des abus sont à déplorer au cours de ces événements, ce n’est évidemment pas lié au genre musical. Mais le déni de «la grande famille du métal» sur la présence d’agresseurs dans leurs structures continue de freiner les avancées en matière de prévention. Surtout, bien que le Hellfest, le Motocultor et l’Xtreme Fest soient indépendants, les mêmes personnes composent souvent les équipes techniques, de la programmation à la régie camping, ou y sont bénévoles. Exclure un agresseur sans un minimum de médiation implique un risque de récidive sur un autre événement.
«II ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions»
Lors de son second bénévolat à l’Xtreme Fest en 2017, Léa (1) est violée par un collègue le dernier soir du festival. Soutenue par sa hiérarchie, elle a pu porter plainte le lendemain et l’agresseur a été blacklisté. Mais en 2018, la jeune femme se retrouve face à lui au Motocultor, il est même responsable bénévole. «J’en ai parlé autour de moi et deux autres filles m’ont dit qu’elles avaient vécu la même chose avec lui. On l’a confronté, je lui ai dit que je ne lui pardonnerai jamais, devant des témoins,affirme-t-elle. Puis j’ai obtenu le numéro du directeur du festival et je lui ai expliqué la situation.» De retour au Motocultor en 2019, Léa découvre, dépitée, qu’il est toujours là, simplement rétrogradé. La jeune femme s’en est ouverte publiquement dans un podcast qui chronique le sexisme dans le milieu des musiques extrêmes. Interpellé sur les réseaux sociaux, le festival a présenté ses excuses , deux ans plus tard. «Là où la production aurait dû agir, elle a fait l’erreur de ne pas prendre les mesures qui s’imposaient, reconnaissent alors ses dirigeants. Il est évident que ce bénévole n’a pas sa place au sein de notre organisation.»Le festival annonce qu’il fera «ce qui est en son pouvoir pour écouter et prendre en considération les victimes», à l’avenir.
Pollux Asso s’est rapproché de La Petite, une entreprise engagée contre les violences sexistes et sexuelles dans les arts et la culture. Une enquête anonyme a été menée auprès des 250 bénévoles pour faire un état des lieux, puis une quinzaine de personnes – le conseil d’administration de Pollux Asso, la régie et les chefs d’équipe – ont suivi une formation de base de deux jours, en juillet 2021. «Mais notre proposition d’accompagnement sur le long terme, avec l’élaboration d’un protocole de signalement, n’a pas été retenue car trop chère»,indique Anne-Lise Vinciguerra, directrice de La Petite. Sans pouvoir se positionner sur les méthodes actuelles de l’Xtreme Fest, qui n’est plus suivi par son organisme, la professionnelle estime que le sujet, complexe, requiert davantage qu’une courte formation pour construire un positionnement éthique et politique sincère. «II ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions, il faut aussi créer des outils qui soient efficaces et opérationnels. Et c’est là malheureusement que, parfois, le bât blesse : si on ne met pas en place un circuit de signalement identifié, où toutes les possibilités ont été réfléchies et anticipées et où les témoignages sont traités, on prend le risque d’être dans un discours de façade.»
L’Xtreme Fest collabore depuis avec le Planning familial du Tarn, dont quelques membres bénévoles sont présents sur son espace «Fête sûre et responsable» dédié à la réduction des risques en tout genre, de la sécurité routière aux drogues, de la «lutte contre les violences» aux problèmes auditifs. «Prévoir un unique stand avec des filles aux oreilles de chat violettes qui distribuent des capotes, ce n’est pas faire de la prévention, dénonce le collectif de soutien aux victimes Balance ta scène. Ils font le strict minimum sur la com, et continuent de tolérer que le responsable d’un des sites du festival refuse d’avoir de la signalétique sur les violences sexuelles sur son espace.» Le seul post Facebook sur le dispositif de cette année mentionne néanmoins «une équipe de vingt-cinq personnes, composée d’une psychologue et de personnes formées».
Le Motocultor s’est quant à lui associé à l’entreprise Cebi (Création d’espaces bienveillants et inclusifs). «Leur première demande nous est parvenue six semaines avant l’édition 2022, pour un simple stand de prévention, rapporte Estelle Charron, directrice générale et responsable des formations. Nous les avons convaincus d’élever le niveau d’exigences et d’avoir un vrai espace d’accueil, de créer un processus de signalement en interne, en plus de former les personnes décisionnaires.»Un défi réussi malgré quelques problèmes techniques, comme sur la signalétique. «On n’était même pas sur le plan,regrette la tête pensante de Cebi. Ce manque de visibilité a eu des conséquences directes, des personnes n’ont pas eu recours à nos services alors qu’elles en auraient eu besoin».De fait, de nombreuses victimes se sont confiées à Balance ta scène avant de savoir qu’elles auraient pu être prises en charge sur le site. L’édition 2023 a été l’occasion d’améliorer encore le dispositif, avec des maraudes de nuit notamment. Pour Estelle Charron, «cela va dans le bon sens, malgré des manquements persistants sur le matériel et la communication». Sur les axes d’amélioration, Estelle Charron note le manque de moyens général alloué à la sécurité et à l’hygiène, qui a créé des risques supplémentaires et compliqué le travail de son entreprise. «Le manque de toilettes a poussé les gens à faire leurs besoins partout, la frontière est floue avec de l’exhibitionnisme intentionnel, ou même du voyeurisme, sur un site qui accueille des mineurs.»
Droguée à son insu dans l’espace VIP
D’autres interlocutrices notent un manque d’agents de surveillance, responsable de mauvaises expériences en 2023. L’artiste d’un groupe a confié à Libérationson passage traumatisant au Motocultor en 2023, après avoir été droguée à son insu dans l’espace VIP, normalement réservé aux artistes et à la presse. En milieu de soirée, vingt minutes après un verre offert, Mélodie a eu un black-out. Quand son groupe la rejoint une heure plus tard, des hommes lui tournent autour. «Je ne suis absolument pas tactile,rapporte-t-elle. J’ai horreur qu’on me touche, ne serait-ce que les épaules par des gens que je connais. Et là, des inconnus faisaient ce qu’ils voulaient de moi et je n’avais aucune réaction.» Ses amis s’interposent. «Les autres répondent que je ne disais rien, donc que j’étais d’accord et que je kiffais. Je n’ai pas demandé plus de détails, ça me dégoûtait.» Le lendemain, elle se lève «flottante»mais sans gueule de bois, assure sa performance sur scène en autopilote. Mélodie a mis une semaine à reconstituer le puzzle, entre culpabilité d’avoir bu une veille de concert et angoisse d’envisager avoir été droguée. L’évidence arrive avec d’autres témoignages concordants : plusieurs bénévoles rapportent des tentatives de soumission chimique, y compris au sein de leur camping. Des mois plus tard, au moment de remonter sur scène, elle éclate en sanglots. «Cette soirée a modifié mon rapport à la fête, à l’alcool, aux concerts et à la musique.»
Pour l’édition 2024, le Motocultor s’est tourné vers le collectif Nous Toutes 29. Formation des chefs d’équipes, signalétique, «safe zone», maraudes, distribution de couvercles à gobelet, nombre de bénévoles, de toilettes... Tout le dispositif a été renforcé pour mieux prévenir et gérer les abus, selon Arthur et Amélie, coresponsables de la prévention du festival. Seules les recommandations de Cebi sur la nécessaire prévention des risques pendant le montage et le démontage du festival n’ont pas été suivies : aucun membre de Nous Toutes n’était présent ces jours-là. «Mais nous sommes bien identifiés auprès de tous les bénévoles comme les référents VSS, et joignables à tout moment», assurent les deux jeunes militants. «Il y a de vraies avancées,reconnaît Estelle Charron. Ne jetons pas l’opprobre pour quelques têtes qui se croient au-dessus de ces enjeux, il faut aussi reconnaître le travail de fond des membres du staff qui se bougent pour faire changer les choses.»La prochaine étape est d’avoir des personnes formées et rémunérées au même titre que les agents de sécurité, pour ne pas faire reposer ce lourd travail psychologique sur les épaules de bénévoles.
(1) Les prénoms ont été modifiés.