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Qui veut du mal à N'Golo Kanté ?
Absent des terrains depuis août, l'international français est surtout englué dans des problèmes extra-sportifs depuis six ans. FF a remonté le fil de ces affaires complexes et tristes, où les intérêts du joueur, naïf puis résigné, n'ont que trop rarement été la priorité.
Les voyages déforment parfois la jeunesse. Au printemps 2017, N'Golo Kanté n'est plus un gamin, il a 26 ans, mais l'aller-retour qu'il effectue entre Londres et Paris va laisser des traces. Les 342 kilomètres qui séparent les deux capitales portent le coup de grâce à ce qu'il restait d'innocence au gamin de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), à l'ouest de Paris.
Englué depuis plusieurs années dans un conflit mettant aux prises différents membres de son entourage plus ou moins rapproché, l'international français (15 sélections à cet instant-là, 53 à ce jour), un an avant de devenir champion du monde, est victime d'un guet-apens. Les menaces ne seront jamais mises à exécution mais la scène, que N'Golo Kanté nie fermement après l'avoir pourtant racontée à plusieurs proches, fait froid dans le dos. Alors qu'il profite de ces quelques moments off dans un restaurant des Hauts-de-Seine, il est « invité » à monter dans un véhicule sombre. Quelques secondes plus tard, un pistolet, un vrai de vrai, est posé sur l'un de ses genoux.
Tensions et cupidité
Tout va très vite et le coup de pression est explicite : « Ton agent, ou tu le quittes, ou on le descend. » C'est l'un des sommets dramatiques du « dossier Kanté », comme l'appellent le milieu du foot et ceux qui en connaissent les tenants et les aboutissants. Un « dossier » qui pue les tensions, la cupidité et les mauvaises fréquentations, que FF, en reprenant le fil de l'histoire, a voulu comprendre.
Dans un message audio révélé par Mediapart il y a quelque temps, le frère du braqueur, sur lequel nous reviendrons, explique : « Peut-être que mon frère il avait une arme [...] Il est venu intelligemment [...], il est pas venu [pour exercer de] la violence sur un petit. Il lui a donné le choix. » Dans un second échange, que FF a pu écouter, il est cette fois question de « pressions » répétées. Un individu y confirme la scène où N'Golo est menacé : « [Le braqueur] est venu, l'a [sorti] d'un resto, l'a mis dans une bagnole et lui a mis un gun sur le genou. »
À Rueil-Malmaison, parmi ceux qui ont déjà croisé le joueur, même de loin, ce n'est même pas un secret de Polichinelle, puisque ce n'est pas un secret tout court : « Tout le monde est au courant de cette histoire. » Tout le monde est au courant, aussi, que, depuis quatre ans (et la médiatisation de l'affaire), l'entourage du joueur n'a finalement pas vraiment changé ; que pistolet et menaces n'ont pas nécessairement poussé N'Golo à faire le « ménage » ; que les répercussions dans la presse, un temps le fruit du travail de L'Équipe et Mediapart, n'ont pas sonné la fin de feuilletons judiciaires qui durent et durent encore ; et que la vie du milieu de terrain, par définition, est toujours plus calme du côté britannique de la Manche.
Kanté, lui, ne veut plus parler de ces histoires, et les minutes passées avec lui au téléphone, pour le prévenir de cet article, peuvent se résumer grâce à ces quelques phrases d'une politesse qui le caractérise : « Rien ne s'est passé depuis tout ce temps et je n'ai rien à ajouter. Je suis assez discret et concentré sur Chelsea, où je suis très heureux, avec le désir de revenir sur le terrain. Je reprends petit à petit. »
« Comme dans toutes les cités, il y a des gens pas toujours bien intentionnés »
Un habitant de la cité des Géraniums à Rueil-Malmaison
Il est loin le temps de la candeur, malgré tout, lorsque N'Golo Kanté courait sur les terrains de la JS Suresnes ou autour de l'immeuble familial de la cité des Géraniums à Rueil. Un endroit sans gloire et sans particularisme, avec sa vie de tous les jours, sa solidarité et ses problèmes. « Comme dans toutes les cités, il y a des gens pas toujours bien intentionnés », explique un de ceux qui y habitent, mais N'Golo et sa famille n'ont jamais eu à composer avec eux lorsque le milieu n'était encore qu'un ado. « C'est un petit gars sans histoire, vraiment », lance un vieux compère, qui décrit le schéma familial : le père décède quand N'Golo Kanté a 11 ans et c'est l'un de ses grands frères qui assume le rôle de figure paternelle.
N'Golo, lui, est poussé vers le sport par sa maîtresse, il est plutôt bon au rugby, mais « moi, je voulais faire du foot », raconta-t-il un jour. Ainsi commence sa trajectoire dans le sport, et personne ne s'intéresse bien plus à lui que cette « madame Nilson » à qui il doit en partie ses débuts.
Kanté s'inscrit donc à la JS Suresnes, il y restera neuf ans, et il ne fait bientôt plus de doute que le petit du coin a un vrai talent. « Ses appuis, c'était quelque chose, rappelle un ancien coéquipier. Il a fait tomber combien d'adversaires après un changement de direction ? On appelait ça l'accident de scooter. Il faisait glisser les mecs, en fait, et il le fait encore. »
Hors des terrains, il y a bien les regards, les discussions qui envoient le gentil gars de la cité dans le monde pro et quelques mots insistants, « mais à ce moment-là, N'Golo n'a pas vraiment de problème, explique un de ses potes d'enfance. Il vit sa vie, fait ses études, profite de ses amis et reste dans son coin, comme on le connaît ». Tous les gars de Suresnes et Rueil-Malmaison - « ça ne fait qu'un », dit l'un d'eux - livrent peu ou prou la même version de qui obtient la confiance du surdoué de la JSS : « À part ceux qui ont grandi à ses côtés, peu de gens ont des liens très forts et sincères avec lui. »
Peu pour être heureux
Mais cela n'est pas neutre de réussir dans le foot et, « au fil des années, des gens sont apparus dans sa vie et lui tournent autour comme des vautours », poursuit un vieux collègue. Continuons de retracer son parcours : après Suresnes, N'Golo part en test à Boulogne-sur-Mer, une opportunité livrée par le président de la JSS, Jean-Pierre Perrinelle, dont le fils y évolue déjà. Le milieu de poche ne rate pas le coche et convainc les décideurs locaux de lui donner sa chance en réserve (CFA2).
Plus explosif que la moyenne, injouable dans les petits périmètres, Kanté, après des débuts timides, frappe à la porte de l'équipe première, en National, la Troisième Division française. Il a une vie tranquille et, contrairement à certaines success stories, personne ne peut s'attribuer un quelconque mentorat. Livré à lui-même, sans trop de repères loin de la région parisienne, il se débrouille assez seul et peu sont, à cet instant, intéressés par l'idée de lui offrir quelconque assistance.
« N'Golo s'est retrouvé sans logement, à un moment, puisqu'il avait fini son BTS et était en internat, résume Fayçal Nini, son ancien colocataire dans le Nord. Il traînait chez des amis, à gauche, à droite. Je lui ai proposé de l'héberger. On est devenus potes et quelque chose s'est créé entre nous. » Il trouve une stabilité qui lui va bien : son football, une vie paisible, l'islam. « Il lui en faut peu, vous savez, pour qu'il soit heureux », explique Fayçal. Dans la foulée, Kanté se taille une petite réputation en National, un Championnat rempli de talents et très suivi, autant par les clubs pros que par les agents et ceux qui s'annoncent comme tels. Tout le monde sait que Boulogne-sur-Mer est devenu trop petit et que la Ligue 2 l'attend. De vieux amis se rappellent à lui.
Onze agents, rien que pour le sportif, sont cités
C'est là, entre 2013 et 2015, au moment où N'Golo Kanté signe à Caen (L2), y explose, puis part à Leicester, que la machine s'emballe. Il y a ceux qui se greffent, ceux qui s'embrouillent : tout est permis pour récupérer Kanté et les jolis billets qui vont de pair. « C'est un schéma classique, ça concerne tout le monde », sourit un représentant de joueurs.
Au fil de l'enquête, onze agents, pas tous officiels, sur cette période et rien que pour l'aspect sportif, sont cités : il y a ceux qui signent avec lui son premier mandat et « font » le transfert au Stade Malherbe (Philippe Flavier et Franck Silvestre) ; ceux qui sondent le marché français, et notamment l'Olympique de Marseille, pour un transfert (Jean-Christophe Cano, Étienne Mendy, Pierre Frelot ou Gadiri Camara) ; et enfin ceux qui finiront par le faire signer à Leicester. Ils sont cinq : Kamel Bengougam, Grégory Dakad, Abdelkarim Douis ainsi que Idriss Gharout et Rachid Saadna qui débarquent un peu plus tard.
Le premier, Kamel Bengougam, est l'agent de Riyad Mahrez, entre autres, et ne travaille que sur ce transfert concernant N'Golo Kanté, que Leicester s'offre pour huit millions d'euros.
Le deuxième, Grégory Dakad, agent licencié, assez réputé et membre d'une grosse structure, Wasserman (ex-Mondial Promotion), est un habitué des deals avec la Premier League et plus particulièrement Leicester. C'est lui que le club anglais, futur champion d'Angleterre, a mandaté pour parvenir à recruter le milieu de terrain. Il participe également à la signature du joueur à Chelsea - moyennant, sur la base des Football Leaks révélés par Mediapart, une commission de sept millions d'euros - et ne fait plus partie de l'entourage depuis longtemps.
Des casiers pas toujours vierges
Le troisième, Abdelkarim Douis, est une vieille connaissance de N'Golo Kanté. Il est « l'agent », encore aujourd'hui, et c'est de lui dont il est question dans l'audio des événements du printemps 2017. « Ils se sont connus car Karim (diminutif communément utilisé le concernant) vient du même endroit que N'Golo, raconte un témoin, et il a joué à la JS Suresnes aussi. C'était quelqu'un de normal, un simple joueur. Ils n'étaient pas plus proches que ça, mais ils s'entendaient bien, comme tout le monde avec Kanté, finalement. »
Certains disent qu'ils ont joué ensemble, d'autres que non, mais dans tous les cas, Abdelkarim « Karim » Douis, au milieu des années 2010, se « lance dans le métier », comme il est de coutume de dire. Il a du bagout, présente assez bien et « il débarque avant le transfert à Leicester », explique un de ceux qui connaissent bien le déroulé de l'histoire, alors que Philippe Flavier, le « premier agent de N'Golo Kanté », est mis de côté ; et les autres avec. Officiellement, Douis ne touche rien sur le transfert à Leicester, mais devenir le représentant du joueur, autour de l'année 2015, alors qu'il a 27 ans, va brutalement changer sa trajectoire.
Joueur au talent modeste, sans réelle perspective dans le football, rapide patron d'une société de taxis, Douis a connu plusieurs feuilletons judiciaires avant de pénétrer le circuit dont un pour une affaire de stupéfiants : en 2013, il est pris en flagrant délit de détention de 28 kilos de cannabis et de 2 kilos d'ecstasy.
Le voisin de palier
Le quatrième, Idriss Gharout, est plus qu'une connaissance. Il est « l'ami » et une information dit beaucoup du lien qu'il entretient avec N'Golo Kanté : aux Géraniums, ils étaient voisins de palier. « Un mec pas louche, en théorie, explique un vieux complice de Kanté, un ami, sympa, qui se disait agent de N'Golo. Il jouait au foot avec lui. C'est un gars qui, par exemple, était toujours là quand on allait au kebab pour regarder des matches, comme le Clasico. C'était notre grand moment de l'année, jeunes. » Il va, par cette amitié sincère et lointaine, devenir un membre de l'entourage professionnel, et certains cherchent presque à l'en excuser : son meilleur copain est une poule aux oeufs d'or.
Le cinquième, Rachid Saadna, connaît N'Golo depuis longtemps. Il est « le rabatteur », ou « le grand », comme dit un joueur de la JSS, une figure connue de la cité des Géraniums et des environs de Rueil-Malmaison, voire plus encore. Cousin éloigné d'Abdelkarim Douis, il est entre autres réputé pour traîner le long des mains courantes des stades municipaux, tentant de trouver de nouvelles pépites ; un phénomène auquel le milieu du football s'est depuis quelques années accoutumé. « Il vient de Nanterre, un beau parleur, explique une connaissance. Il disait à qui voulait l'entendre ''je gère un peu l'affaire''. Tout le monde se connaît dans nos quartiers. La connexion avec N'Golo s'est faite là. » Lui aussi, un de plus, a flairé le bon coup, celui qui peut lui permettre de reconstruire autrement sa vie, car il a connu plusieurs démêlés avec la justice : recel d'un bien d'un vol, acquisition, transport et cession ou offre de stupéfiants.
Le transfert à Leicester se fait sans que ces trois derniers noms n'apparaissent - aucun n'est enregistré comme intermédiaire auprès de la Fédération anglaise, à ce moment-là - mais en coulisses, cela ne fait aucun doute : « Douis gère N'Golo et les deux autres sont là aussi. » « À cette période, il faut le dire, ce n'est déjà pas un environnement sain et bienveillant », confie un autre proche du joueur.
À Rueil-Malmaison, notamment, plusieurs amis et familiers du joueur s'interrogent sur les velléités du trio, leur influence sur Kanté et s'inquiètent de la gestion quotidienne des finances. « Sa mère continuait de faire des ménages, par exemple », se rappelle un des habitants et les cercles foot-cité font remonter un vieux résumé : « Il y avait déjà pas mal de tensions autour de la vie de N'Golo. »
Le « choix » de la star de Chelsea de confier ses intérêts à ces individus interroge et un collaborateur passé de Kanté le verbalise ainsi : « Quand il a pris la décision de changer d'agent, on a vu qu'il la prenait malgré lui, car il a vraiment hésité. Après, on a compris qu'il ne pouvait pas faire autrement, que c'était au-delà de sa personne. » Kanté perd bientôt son grand frère, aussi, l'une de ses vraies boussoles, « celui qui pouvait faire office de garde-fou ».
« Rachid s'est fait enfumer »
Et c'est le transfert à Chelsea, à l'été 2016, qui va finir de tendre les protagonistes et déclencher les « hostilités ». La clause libératoire de Kanté, tout juste champion d'Angleterre avec Leicester, devenu international français, est relativement faible pour un joueur de son niveau, 35 millions d'euros, et la loi anglaise n'impose pas de plafonnement pour les commissions des intermédiaires. Ainsi, Douis, qui s'est structuré comme « agent », installant sa principale société (KDS Football Management) dans le paradis fiscal de Jersey, encaisse 4,8 millions d'euros.
« La base, c'est : qui a son argent et qui ne l'a pas » « Et là, le problème, c'est que Rachid et Idriss ne sont pas dans le deal ! lance une personne adjacente au dossier. Rachid s'est fait enfumer. » Ce dernier prend connaissance des montants payés par Chelsea pour faire l'entremise et « pète un câble ». Entre en scène, dès lors, son frère Houari, « le braqueur soupçonné ». Il a lui aussi par le passé été condamné dans une affaire de stupéfiants.
C'est lui qui, selon les audios écoutés par FF, aurait posé un jour ce pistolet sur la jambe de N'Golo Kanté ; lui qui, sans délicatesse et selon les témoignages recoupés, aurait « fait pression » sur le joueur et son environnement. Une scène racontée ici et là décrit que « des hommes armés », en mars 2017, viennent à Rueil lui faire « signer un contrat de représentation sportive au nom d'un avocat ». Les noms de Houari et Rachid Saadna sont cités. « Douis devait de l'argent à Rachid, résume un connaisseur de l'affaire, et, dans leur tête, ça ne pouvait pas en rester là. La base, c'est : qui a son argent et qui ne l'a pas. »
Reste qu'il y a Kanté, pris dans la tenaille de ce conflit minable, qui craint, un temps, pour son intégrité et celle de sa famille. On lui fait miroiter qu'il faut s'associer avec untel ou untel pour « assurer sa protection », qu'il faut « cracher », pour reprendre l'expression utilisée, pour que les choses rentrent dans l'ordre. À ses amis, il tente de ne rien montrer de son mal-être, sans trop y arriver, « et quand vous lui posiez la question, car on entendait des choses, dit l'un d'eux, il se braquait tout de suite ».
Huitième du Ballon d'Or 2017, isolé dans sa quiétude londonienne, ce qui lui va bien, il va bientôt devenir champion du monde et cela ressemble à une respiration. Il prend conscience, aussi, que la situation est préoccupante. « Il y a eu un appel au secours de sa part, pour l'aider à quitter ces gens-là, explique un proche. Mais il fallait qu'il le mentionne lui-même, car ça ne peut pas marcher, sinon. Et il ne l'a pas fait... Il y a un truc pas clair. Le braquage, deux-trois manoeuvres... C'est un film policier et c'est difficile de dire quelle est la chose qui a poussé N'Golo à ne pas ''jeter'' ces personnes. Je ne sais pas ce qu'ils utilisent. C'est spécial. Et triste. Et malheureux... »
Finalement, après son titre mondial avec les Bleus en Russie, N'Golo Kanté prolonge avec Chelsea et rien n'a changé. Rachid Saadna et Idriss Gharout, « l'ami » de N'Golo, s'enregistrent auprès de la Fédération anglaise comme intermédiaires, simple comme bonjour, et tout le monde, bien heureux du « dénouement », croque dans une belle part de gâteau.
Un transfert au PSG jamais envisagé par le joueur
Dans le même temps, N'Golo Kanté traîne comme un boulet un contrat marketing et le feuilleton PSG - un transfert qu'il n'a jamais envisagé pour des raisons évidentes - vient rythmer ses étés. Du côté de Londres et de Chelsea, l'herbe est un peu plus verte mais pas tout le temps.
Il y a de jolies parenthèses, des moments durant lesquels l'international français donne l'impression de voler, comme lors de son exceptionnelle et victorieuse campagne de Ligue des champions 2020-2021, sous les ordres de Thomas Tuchel. Et il y a le quotidien, fait de blessures puis de doutes ; quand ce n'est pas l'inverse. S'il est impossible de prouver que les soucis physiques chroniques de N'Golo Kanté prennent leur source dans son esprit troublé, rares sont ceux qui osent réfuter la théorie.
« Ça me fait mal, résume un ancien éducateur. Je pense que sa sensibilité a été touchée, qu'on en a profité. Ç'a eu un impact sur lui et on sait très bien que la psychologie et le corps sont liés... » Ce qui interroge, a minima, sur l'action des structures qui entourent N'Golo - club, sélection, etc. « Ça n'intéresse donc personne d'instruire ce dossier, au niveau judiciaire, ou aux autres de protéger le joueur ? », a-t-on pu entendre d'un avocat.
Un compagnon d'adolescence synthétise : « On ne peut pas passer de meilleur numéro 6 du monde à l'anonymat sans qu'il n'y ait rien derrière. » Au sein des Blues, on aime à laisser filtrer que le joueur est aussi souriant que lors de ses premiers pas, qu'il renvoie toujours la même bonhomie à Cobham, le centre d'entraînement de Chelsea. En coulisses et chez ceux qui lisent entre les lignes, le tableau est moins reluisant. Plus globalement, un mot, très simple, revient souvent : « triste ».
Le principal intéressé ne s'épanchera jamais publiquement mais ceux qui le connaissent ou l'ont récemment croisé savent : que si son quotidien est bien le même qu'avant, rythmé par les prières aux mosquées de Fulham ou Battersea et les moments de simplicité, beaucoup de choses ont changé.
Le seul champion du monde loin des gamins de son fief
Lorsqu'elle s'installe, vous escorte en permanence ou presque, la sensation de vivre avec quelque chose au-dessus de la tête a quelque chose d'écrasant, de dur. Ainsi, quand il rentre à Rueil, Kanté ne prévient plus personne ou seulement les très proches. Et, là encore, un sentiment de gâchis prédomine.
Dans un monde idéal, il serait reçu en grande pompe, quand l'occasion s'y prête ; il serait un mécène de la JS Suresnes et une idole reconnue du stade Maurice-Hubert. Dans la vraie vie, il est le seul champion du monde 2018 à ne pas avoir présenté la coupe aux gamins de son fief. « Mais personne ne peut vraiment lui en vouloir, glisse un local. Il a simplement voulu que les choses se tassent. L'idée, c'était : moins on me voit, moins j'attire l'attention et les problèmes qui vont avec pour moi et mes proches. »
Les proches, les anciens coéquipiers, les formateurs : tous espèrent que la situation, qui est déjà plus calme aujourd'hui, finira par s'arranger. Qui y croit vraiment ? Rien qu'à Paris, plusieurs sociétés, dont une compagnie d'ambulances, sont liées au nom « N'Golo Kanté ».
Au-delà, au fil des années, le jeune homme a prêté de l'argent, beaucoup, bien souvent de manière informelle. Le bourbier francilien est nébuleux, et on murmure qu'il n'est pas facile de s'en dépêtrer. Un natif de Rueil ayant réussi l'ascenseur social résume : « Au début, t'es gêné, tu donnes pour ne pas passer pour un crevard. Mais ce n'est jamais assez. N'Golo devait passer par là parce que les gens connaissaient sa nouvelle situation financière. C'est comme si, au poker, tout le monde voyait ton jeu. »
Sa famille, elle, ne dira mot, à l'image du prodige, qui a fait déménager sa mère. Certains rêvent secrètement que le joueur et les siens aillent chercher le dernier gros contrat par eux-mêmes. Kanté souhaite un bail de trois ans, que la situation continue de se tasser et balaie de la main les intérêts saoudiens et exotiques.
Chelsea, où il veut poursuivre l'aventure, devrait lui offrir au moins deux années supplémentaires mais à des conditions bien moins avantageuses qu'aujourd'hui. Sa cote a chuté et il le sait, lui qui a repris l'entraînement collectif complet le 6 mars et n'a pas disputé la moindre minute, au moment où ces lignes sont écrites, depuis le 14 août dernier. Il traîne son spleen, attristé par la blessure, et pour ne rien arranger, Antonio Rüdiger, l'un de ses meilleurs amis au club, a quitté les Blues pour le Real Madrid. Les deux hommes partageaient les mêmes valeurs et la même religion qui, bien souvent, au fil des mésaventures et des déceptions, l'aura maintenu à flot.
« Pour sa santé mentale, ce serait mieux qu'il stoppe le foot pas trop tard. Tant qu'il y jouera, les mêmes personnes seront là » Finalement, si rien n'a véritablement dégénéré, c'est parce que Kanté présente un profil singulier, celui d'un footballeur profondément tourné vers les autres, pieux, qui ne déteste rien de plus que deux choses : le conflit et la lumière, se retrouvant bien malgré lui au centre des deux.
Ce qui fait dire à un ami, un vrai, la chose suivante, en fin de conversation : « N'Golo ne sera pas mécontent quand tout ça se terminera. Il profitera de son temps libre. Voyager, faire des randonnées... Des plaisirs tout simples. Il adore ça. Et il a tout de même changé. Sur certains sujets, comme ses investissements pour l'avenir, il est plus mature qu'auparavant. » Un autre observateur avisé conclut, moins optimiste : « Pour sa santé mentale, ce serait mieux qu'il stoppe le foot pas trop tard. Tant qu'il y jouera, les mêmes personnes seront là. »
Aujourd'hui, Abdelkarim Douis, « l'agent », en est un plutôt réputé, représentant des joueurs importants, comme Saïd Benrahma (West Ham), et opérant comme intermédiaire, avec succès, sur le marché des transferts. Idriss Gharout, « l'ami », vit à Dubaï, et plus personne ne le croise aux Géraniums. Rachid Saadna, « le rabatteur », enchaîne les allers-retours entre Dubaï et la région parisienne, où il se fait discret.
D'autres personnes de l'entourage du joueur ont indiqué à FF qu'après discussion collective, aucun de ces trois-là ne parlerait pour cette enquête. Au téléphone, N'Golo Kanté, qui aura 32 ans le 29 mars prochain, nous a seulement confié : « Tout va bien, merci. Il ne se passe rien. »
L'affaire du renouvellement de contrat avec Adidas
Il y a eu donc les menaces, dans la vie de N'Golo Kanté, et puis encore d'autres feuilletons : celui de son contrat de gestion marketing signé avec Nouari Khiari, un agent d'image au parcours atypique, en est un.
Aux alentours de 2018-début 2019, Kanté ne veut plus honorer cet accord avec Khiari. « Car l'arrière-goût du contrat, c'était qu'il n'était pas favorable à N'Golo, dit l'un de ceux qui y ont eu accès, qui note que les offres ramenées par Khiari étaient bien en-deçà du potentiel marketing réel du joueur. Et N'Golo ne voulait simplement plus travailler avec cette personne. »
Le renouvellement du contrat de sponsoring entre Adidas et Kanté, en 2019, est au coeur des échanges, et, « pour résumer ça simplement, poursuit notre source, Douis et compagnie ont ''fait'' ce renouvellement avec Adidas et Khiari estime, par ce contrat qui le liait à N'Golo, qu'il aurait dû en être. »
Nouari Khiari assure avoir mené des discussions avec la marque allemande, et pas que, et réclame plus de trois millions d'euros à N'Golo Kanté depuis que des négociations pour une sortie à l'amiable, en 2019, ont échoué. « Ils auraient pu faire l'économie de se battre, très honnêtement, explique encore notre interlocuteur. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure qu'il ne fallait pas s'engager là-dedans mais certains ont poussé N'Golo à aller vers la confrontation. Il ne sait pas dire non. Il valait mieux, pour N'Golo, un mauvais arrangement qu'un bon procès. »
L'affaire doit être jugée courant 2023 au tribunal de commerce de Nanterre et l'agent d'image, dont la « réputation a été brisée », selon ses dires, et dont la plainte pour « menaces de mort » contre Douis est toujours en cours, répète qu'une sortie à l'amiable est toujours possible.
_________________ tu ferrais bien de t'y mettre à la rando, sinon tu vas finir au Cap d'Agde comme bouée tractée !
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