Romain Bardet : « Je suis curieux de voir » Le Français raconte son abandon soudain et douloureux lors du dernier Giro, les perspectives qu'il lui a rouvertes et son approche du prochain Tour de France, auquel il a décidé de participer cet été.
Dans le canton du Valais (Suisse), où il a posé ses quartiers pendant deux semaines afin de s'entraîner sur des routes qu'il n'avait jusqu'alors jamais parcourues, Romain Bardet était radieux hier après-midi. « Je suis au paradis ici : c'est calme, il y a de super montées, je suis avec ma famille, c'est parfait », souriait-il, offrant un visage tout en contraste avec la figure livide qui avait quitté le Tour d'Italie il y a trois semaines et demie. Tombé malade alors qu'il se trouvait dans une forme éblouissante et pointait à la quatrième place du classement général devant le futur vainqueur Jai Hindley, l'Auvergnat a suivi la troisième semaine de course cloué au lit avec la rage au ventre. Après un court point presse, Bardet est revenu pour L'Équipe sur cette « lourde déception » et la rapidité avec laquelle il s'est projeté sur un nouvel objectif, le Tour de France, auquel il n'avait jamais participé sous d'autres couleurs que celles d'AG2R-La Mondiale, et où il n'a pas l'intention de faire du général une obsession.
« Nous n'avons pas eu de vos nouvelles depuis votre abandon dans le Giro. Que vous était-il arrivé ? J'ai bâché le jour de la 13e étape, un vendredi, mais j'ai commencé à avoir des nausées dès la nuit du mercredi au jeudi. Ce que je mangeais ne passait plus. Le jeudi a été un enfer sur le vélo. Si ça avait roulé vite ce jour-là, j'aurais déjà explosé. J'ai fini par tenir le coup, mais la nuit du jeudi au vendredi a été la pire de toute ma vie. En commençant l'étape, je savais déjà que je n'irais pas au bout. Je ne pouvais même pas tenir les roues à 200 watts. Je n'avais pas dormi, pas mangé depuis près de deux jours. Ça m'a cueilli à froid. J'étais vidé. Je ne pouvais rien faire. Vous êtes resté longtemps affaibli ? Ça a encore duré trois jours après mon abandon. Le week-end qui a suivi a été juste horrible. Quelque part, je me dis que si ça avait juste duré vingt-quatre heures et que j'étais rentré chez moi en pleine forme le samedi, j'aurais vraiment eu les boules. Disons que là, au moins, je n'ai pas ce regret. Et puis, j'ai eu beaucoup de chance de ne l'avoir transmis à personne dans l'équipe car dès que je suis rentré chez moi, je l'ai refilé à des membres de ma famille, dont mon fils. Il est à un âge (2 ans) où ça peut vite s'aggraver, ça m'a inquiété. On a bien galéré, c'était une période un peu compliquée.
« Ce que j'ai vécu en Italie me pousse à y croire encore. Je retiens donc du positif, même si ça a été dur à vivre. »
C'était la gastro ? Oui, une grosse gastro. Mais ce n'est pas épisodique : c'est la troisième fois que je chope ce virus cette année. Je l'avais déjà eu à Noël, puis début mars, d'où mon forfait pour les Strade Bianche. C'était deux épisodes moins importants, mais quand même... Avec les médecins de l'équipe, on essaye d'identifier pourquoi je l'attrape aussi souvent et comment changer ça. On travaille sur mon hygiène personnelle, la nourriture bien sûr, mais aussi des tout petits détails, ma brosse à dents, sur laquelle je ne mets pas toujours un cache, des trucs comme ça. Il faut que je prenne un maximum de précautions car quand la machine est prête comme c'était le cas sur le Giro, c'est trop frustrant de voir tout s'envoler.
Vous avez mis du temps à vous en remettre ?
Oui, physiquement et moralement. J'ai eu besoin de quelques jours. C'était impossible de switcher du jour au lendemain. J'avais vraiment du mal à réaliser ce qui m'était arrivé en rentrant chez moi. Sentir tes objectifs glisser entre tes doigts sans rien avoir vu venir, c'est horrible. Ce Giro, je l'avais en tête depuis novembre. Jusqu'à ce que le virus me mette à plat, tout se passait parfaitement, je ne pouvais vraiment pas espérer mieux. J'ai juste été très malchanceux. J'ai dû prendre du recul pour comprendre que cela ne devait pas remettre en cause tout ce qui avait été fait avant.
Qu'allez-vous retenir de cette course ?
Je vais retenir qu'à 31 ans, c'était la première fois où je me sentais autant dans le match sur un grand tour. J'étais bien, confiant, serein, je savais exactement où ça allait, je ne me sentais pas à ma limite. À tous les points de vue, ça se passait comme je l'avais espéré. Ce que j'ai vécu en Italie me pousse à y croire encore. Je retiens donc du positif, même si ça a été dur à vivre. Est-ce que ça se représentera encore ? Je ne sais pas. Mais ça m'a rappelé que je pouvais être au niveau. Ce n'est pas rien.
Qu'avez-vous pensé de cette longue course d'attente qui s'est dessinée après votre abandon ?
J'avoue avoir eu un peu de mal à regarder les étapes, et puis j'étais inquiet pour la santé de mon fils, mais j'ai quand même un peu suivi et c'est vrai que cette troisième semaine a été bizarre. Je n'ai jamais vu un grand tour pareil. Les deux leaders (Jai Hindley et Richard Carapaz) ont joué au poker, en choisissant le dernier samedi pour se départager. Si j'avais été là, ça aurait peut-être été différent, il manquait un ou deux autres gros mecs qui auraient pu dynamiter la course. Là, il ne s'est pas passé grand-chose et la plupart des étapes de montagne ont accouché d'une souris.
Quand avez-vous pris la décision de participer au Tour de France ?
Quatre jours après mon abandon. Ç'a été vite très clair dans ma tête. Dès que j'ai commencé à me sentir mieux, j'ai fait un plan avec l'équipe et on a décidé d'y aller.
Vous avez toujours participé au Tour en visant le classement général. Cette fois encore ? Non, pas cette fois. Ça serait trop prétentieux de ma part. J'étais arrivé sur le Giro avec une préparation parfaite et une victoire sur le Tour des Alpes. Là, quand j'ai repris après six jours sans vélo, j'ai pensé : ouh là là, il va y avoir du boulot... On ne peut pas transposer ma forme du Giro sur le Tour. Il m'a fallu du temps, ne serait-ce que pour reprendre un rythme d'entraînement correct : là encore, ce n'est pas vraiment ça. Il aurait été prématuré d'aller sur le Dauphiné, c'était inenvisageable, même sur le Tour de Suisse, le timing aurait été trop serré. Et puis, chaque fois que je redescends d'un stage, je suis compétitif. Je veux donc juste bien m'entraîner, ici en Suisse puis autour de Tignes, et on verra.
Vous n'allez donc faire aucune course d'ici là, pas même les Championnats de France ?
Non. J'ai encore trop d'interrogations sur mon physique. Je ne peux pas dire comment je serai le 1er juillet. Je ne suis sûr de rien. J'avais des garanties avant le Giro : pour l'instant, je n'en ai aucune.
Dans quelle optique allez-vous donc attaquer le Tour ?
C'est un peu bateau de dire ça, mais j'ai envie de courir chaque étape comme si c'était une classique. J'aimerais rester en bonne santé tout au long des trois semaines (il avait déjà abandonné le Tour 2020 en raison d'une chute alors qu'il était 4e du général), j'aimerais avoir de bonnes sensations dans les Alpes et les Pyrénées. On aura une équipe super agressive qui cherchera à être constamment à l'avant. Je ne vais pas me relever mais je ne serai pas obnubilé par le classement général, comme sur le Giro. Je veux saisir toutes les opportunités possibles. Et puis, avant de penser au général, il faut déjà passer la première semaine de course...
C'est-à-dire ?
Je ne sais pas ce qu'en pensent les autres coureurs, mais je trouve que l'entame de course fait vraiment peur. Au bout de trois, quatre jours, je m'attends à voir déjà quelques cadors rentrer à la maison. Le vent, les bordures, les pavés, la nervosité... Je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Ça va être la guerre.
Vous voulez dire qu'il est un peu prématuré d'annoncer un duel Pogacar-Roglic...
Clairement, même si ce sont deux équipes (UAE et Jumbo-Visma) qui savent faire et qui courront devant. Mais vu ce qui les attend, ils pourront seulement limiter les risques. Il y aura forcément des aléas. Je suis curieux de voir à quoi ressemblera le classement général à la première journée de repos.
Ça sera aussi votre premier Tour sans le maillot AG2R sur les épaules...
C'est vrai. Je suis assez excité. Ça va être une expérience assez différente, même si le Tour reste le Tour. J'ai hâte de retrouver l'ambiance du public, les fans dans les cols : l'an passé, c'est ça qui m'a le plus manqué. Mais je le redis, je ne sais pas de quoi je serai capable. Cela ne fait que quinze jours que j'ai vraiment repris l'entraînement. C'est précaire. Physiquement, je risque d'être limite. Mais après plusieurs grands tours frustrants, j'ai envie de faire la course, de courir sans penser au lendemain. »
publié le 14 juin 2022 à 00h05 mis à jour le 14 juin 2022 à 00h05
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