Génération Mbappé : ce que sont devenus Théo, Tom, Dorian et Joé (sur Mediapart)
Joé, la pépite et ses pépins
Les observateurs du microcosme footballistique francilien confirmeront. À l’AS Bondy, les deux pépites de la génération 1998 ont toujours été Jonathan Ikoné et Kylian Mbappé. Celle de la génération 1999 s’appelle Joé Kobo. Milieu de terrain offensif, patte gauche exquise, la vista à l’espagnole. Contrairement à ses deux aînés, champions de France et membres de l’équipe de France, Joé n’a toujours pas joué le moindre match de football professionnel.
« Oui, j’ai galéré dans ma vie », sourit l’intéressé. Il n’a que 22 balais mais a déjà connu tout ce que le sport de haut niveau peut offrir. Côté pile, une enfance passée à affoler les recruteurs de toute la France, un centre de formation et un contrat dès l’âge de 15 ans, la signature d’un premier bail professionnel à 20 ans. Côté face, les échecs, le chômage, les moments de doute. Depuis un an et demi, il n’a pas de club. « Ma carrière, pour l’instant, c’est un peu les montagnes russes », résume-t-il.
Joé Kobo avait signé un contrat professionnel à Lille en 2019. © LOSC
Ceux qui le connaissent le mieux lui promettaient pourtant la voie royale. Antonio Riccardi, son formateur de l’époque ASB, laisse de côté sa mesure habituelle quand il parle de lui. « Joé, c’est quelque chose, dit-il dans un soupir d’admiration. Je trouve que c’est un joueur formidable. À l’époque, déjà, c’était un garçon archi-coté. » Depuis son poste de gardien, Théo a passé des années à voir Joé martyriser les défenses adverses. « Quand je vois qu’un mec comme ça n’a pas de club, franchement… Balle au pied, je le trouve phénoménal », assure-t-il.
À l’époque, Joé porte le brassard de capitaine. Pas forcément un meneur d’hommes (ou d’enfants, à l’époque) ; mais, au football, le rôle de capitaine échoit souvent au leader technique – jurisprudence Zidane en équipe de France. Là-dessus, il n’y a pas de débat. Positionné le plus souvent comme milieu offensif, Joé marque, fait marquer, joue, donne, se déplace, redonne, dribble. Autour de lui, une génération dorée qui fournira quatre ou cinq footballeurs professionnels.
« Le vrai football plaisir, c’est à Bondy que j’ai appris à l’aimer, affirme Joé. Je me souviens de séquences magnifiques avec Dorian [Samba, lire ci-dessous], Météhan [Güçlü, aujourd’hui à Rennes], Yassine [Benrahou, aujourd’hui à Nîmes]… C’était complètement magique. On avait des éducateurs au-dessus de la moyenne qui m’ont fait aimer le football. C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais en faire ma vie. »
Enfant d’une famille franco-congolaise, fils d’un électricien et d’une auxiliaire de vie, Joé entre vite dans le couloir qui mène un gamin de Bondy au football professionnel : à 10 ans, les premiers clubs pro qui viennent l’observer, samedi après samedi, au bord des terrains ; à 12 ans, les sélections pour entrer à l’Institut national du football (INF) de Clairefontaine. Plusieurs milliers d’inscrits, une petite vingtaine d’élus. Il en fait partie.
« À mes yeux, Clairefontaine, c’était le Graal, dit-il aujourd’hui. Quand ma sœur m’a réveillé à 8 heures du matin pour me dire que j’étais pris, c’était une sensation magique. Là-bas, tu te retrouves avec les meilleurs joueurs de la région, loin de ta famille, à t’entraîner cinq ou six fois par semaine. Ils m’ont fait devenir un petit homme à 14 ans, j’ai beaucoup grandi à l’INF. C’est à Clairefontaine que j’ai appris les règles de la vie en collectivité, un cadre plus strict aussi. Même dix ans plus tard, j’ai gardé beaucoup d’amis de cette époque. »
Pendant qu’il peaufine sa technique au sein du prestigieux internat fédéral, où évolue aussi Kylian Mbappé dont il est un ami intime, l’intérêt des clubs professionnels s’intensifie. À chaque période de vacances scolaires, des courriers d’invitation : le PSG, Rennes, Lens, Sochaux, Caen…
Ma mère tenait beaucoup au double projet sportif et scolaire, elle m’est bien rentrée dedans là-dessus.
Le week-end, pourtant, il continue de jouer à l’AS Bondy. Tant pis si la plupart de ses coéquipiers de l’INF évoluent un cran plus haut, au meilleur niveau régional. « L’ASB est mon club de cœur, c’est là que j’ai tout appris, justifie-t-il. J’ai passé les plus belles années de ma vie à Bondy. Je sais tout ce que je dois à mes éducateurs, Tonio, Wilfried, Fanfan [Jean-François Suner, alors directeur sportif – ndlr]… »
Entouré d’un noyau familial très présent – sa sœur jumelle a déménagé deux fois pour l’accompagner dans ses clubs – et de ses anciens éducateurs, Wilfried Mbappé en tête, Joé décide d’attendre le dernier moment pour choisir son futur club (« J’étais le dernier de la promo à signer »). C’est le Stade Malherbe de Caen qui remporte la mise. « Je me suis senti aimé par ce club, explique-t-il. Ils me suivaient depuis quatre ans et j’avais aimé la façon dont ils étaient restés proches de moi, le discours qu’ils me tenaient. C’est important de sentir cette estime. »
Là-bas, Joé suit le cursus classique du footballeur en incubation : U17, U19 puis équipe réserve en championnat de France amateur. En parallèle, il obtient son brevet, son baccalauréat (« Ma mère tenait beaucoup au double projet sportif et scolaire, elle m’est bien rentrée dedans là-dessus ») puis commence un BTS que le rythme effréné des entraînements lui empêche de terminer. Au moment de la dernière étape, la plus importante, le couloir royal devient une impasse. Caen lui annonce qu’il ne fait pas partie des heureux élus à qui l’on propose un contrat professionnel.
« Ça a été très difficile, reconnaît-il deux ans plus tard. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas vraiment compris ce qu’il me manquait pour passer pro. » La suite ressemble à un cruel retour à la case départ. Joé revient vivre dans l’appartement familial qu’il avait quitté à 13 ans. Juillet, août, septembre… Les mois passent et les offres ne se bousculent pas au portillon. « Là, tu vois tout le monde reprendre et pas toi. Tu comprends que tu es sur le carreau. Tu te poses mille et une questions. À la rentrée, j’ai eu une période très difficile, je n’étais vraiment pas bien. »
J’aimerais bien aller voir les U13 actuels de Bondy, prendre une heure et leur parler de mon parcours.
Avec l’automne vient finalement la délivrance. Lille, deuxième du dernier championnat de France, lui propose un contrat professionnel. Le premier de sa carrière. « Je me souviendrai toujours de ce 4 novembre, raconte-t-il. J’ai vu mes deux sœurs arriver, ma mère… Quand tu vois ce bonheur sur le visage des tiens, tu te dis que tu as accompli quelque chose de beau. J’étais fier de leur procurer autant de plaisir. »
À peine un semestre plus tard, la pandémie arrive. Le tout frais Nordiste aura eu le temps de jouer une demi-douzaine de matches sous ses nouvelles couleurs. En juin, son contrat prend fin et son aventure lilloise avec. Nouveau retour à la maison. Nouveaux moments de doute. « Mais je me suis vite relevé, assure-t-il. Je me suis posé les bonnes questions. Finalement, si je connais mes qualités, pourquoi douter ? C’est un peu le message que je me suis tenu à moi-même. Depuis ce jour-là, je travaille pour être prêt le jour où on m’appellera. »
Depuis son appartement bondynois, Joé essaye de conserver la routine et la rigueur d’un footballeur professionnel. Il s’entoure d’un préparateur physique, d’un kinésithérapeute, d’un ostéopathe, fait attention à son alimentation et à son sommeil, s’entraîne six ou sept fois par semaine… « Le jour où un projet viendra à moi, je repenserai à ça et je serai prêt, philosophe-t-il. Ce n’est jamais facile de rentrer à la maison mais j’ai décidé d’en faire ma force. J’aime trop le football pour ne pas aller au bout. »
Tant pis si cela fait treize mois que l’ancien Caennais et Lillois n’a pas goûté le plaisir d’un entraînement collectif, la vie de vestiaire ou l’odeur de la compétition. « La saison qui vient de se passer a été difficile mais je ne suis pas triste. Vu tout ce que j’ai vécu, je ne baisserai jamais les bras, jure-il. J’ai découvert un nouveau Joé avec toutes ces difficultés. Sincèrement, je suis assez fier de moi. J’ai gardé le même amour du football et la même envie de réussir. »
À seulement 22 ans, le jeune Bondynois illustre à lui seul l’aspect éminemment sélectif du football professionnel. Comme lui, chaque année, des centaines de joueurs en formation sont laissés sur le carreau. « Dans le foot, tu peux signer un contrat aujourd’hui et ne plus rien avoir demain, confirme-t-il. Quand tu es bon, tout le monde t’acclame. Mais si ce n’est pas le cas, tu n’as plus personne… J’aimerais bien aller voir les U13 actuels de Bondy, prendre une heure et leur parler de mon parcours. Leur dire de ne jamais rien prendre pour acquis, de ne jamais oublier l’école et de ne jamais rien lâcher.