graham a écrit:
Le problème c'est qu'on ne voit pas le jeu et que les personnages n'ont rien de trés sympatiques.
C’est précisément en cela que résident tout l’intérêt et le charme du documentaire. Le réalisateur choisit de se focaliser sur les joueurs plutôt que sur leur carte. Tout cela pour que le téléspectateur puisse en partie ressentir ce qui se trame dans la tête du joueur plutôt que d’analyser les coups, le style de jeu, les bad trip etc…Finalement, on arrive à percevoir quelques invariants de la psychologie du joueur (le français qui persiste coûte que coûte, la canadienne et sa petite voix, le joueur qui doit justifier sa défaite pour repartir etc…)
On était plus dans une option ethnographique même s’il y avait, à mon sens, quelques facilités de mise en scène (la séquence yoga avec bougies) et une mauvaise liaison entre les sentiments des joueurs et la spécificité même du jeu (le réalisateur définit en grande partie le poker comme un jeu de hasard alors que c’est beaucoup plus que cela…)
D’ailleurs, j’en profite pour caser ma p’tite théorie sur « pourquoi le poker est un jeu fascinant ». Bon accrochez vous …
Roger caillois dans « le jeux et les hommes » entreprend une classification des jeux. Il distingue 4 catégories :
-Ilynx : les jeux de vertige (exemple : saut à l’élastique, les gamins qui se tiennent par les 2 mains et tournent, tournent, tournent encore…)
-Mimicry : le simulacre, le masque, le déguisement
-Alea : les jeux de hasard pur : roulette, loterie
-Agôn : jeu de compétition
Comme beaucoup de jeux de cartes, le poker est une combinaison d’Alea et d’Agôn : le joueur et dans un premier temps tributaire du hasard (mélange et distribution des cartes) puis s’en remet à ses propres capacités, à son savoir faire, à sa stratégie. Mais ce qui différencie le poker de la belotte ou du tarot, c’est qu’on a une alternance Agon/Alea. Dans la belotte, la séquence est simple : Alea puis Agon (mélange des cartes/distribution, puis on joue). Dans le poker, on a Alea – Agon – Alea – Agon etc. ((mélange des cartes/distribution, mise, flop, mise, turn, mise, river, mise) : c’est de la que débouche toute la subtilité du poker que l’on connaît tous (la dimension psychologique, probabiliste etc.)
Mais, au-delà de cet aspect, on pourrait même aller plus loin en disant que le poker est un jeu total. En effet, en plus de l’Agôn/Alea, l’Ilynx et le mimicry existent aussi.
-Ilynx : le vertige des sommes mises en jeu, une sorte de démesure grisante.
-Mimicry : assez simple à comprendre, il s’agite de la mise en scène de soi. De la maîtrise des informations que l’on donne/cache par son expression.
C'est mon interpétation et non celle de Caillois même faites vous une idée en lisant ce merveilleux essai de Caillois qui date de 1958 et qui demeure toujours aussi génial (Folio) même s’il n’aborde pas de façon approfondi le poker, sinon quelques lignes dans les pages 330-335 dans la partie consacrée à l’analyse mathématique.