Inscription: 26 Juin 2010 21:32 Messages: 30423 Localisation: DTC
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Homophobie: face aux clichés de jeunes apprentis footballeurs
Alors que les actes homophobes se multiplient en France, le Stade Malherbe Caen a décidé d'agir en sensibilisant les jeunes de son centre de formation avec l'aide de SOS Homophobie. L'Équipe a suivi cet atelier.
« Ils ne sont pas comme nous. » « Ils sont bizarres. » « C'est pas normal, il y a tellement de belles femmes dans le monde. » Dans la salle de restauration habituellement réservée aux membres du staff du Stade Malherbe Caen, les clichés fusent. « Ça se voit qu'un garçon est gay. Il met des talons, une jupe. » « Il est maniéré, dans sa façon de parler ou de marcher. » Franck Hervé et Marion Delporte, bénévoles à SOS Homophobie, restent sereins. Ils sont justement venus ce mardi à Caen pour déconstruire ces clichés homophobes. Et plus la parole est libérée, mieux ils font leur travail.
Autour d'eux, placés en cercle, vingt joueurs du centre de formation, âgés de dix-sept et dix-huit ans. Assis sur des chaises rouges, ils ont tous l'uniforme du parfait footballeur : survêtement aux couleurs du club, chaussettes blanches et claquettes. L'ignorance des discriminations est leur autre point commun. Ils arrivent à en citer deux : le racisme et le sexisme. Un d'entre deux parle de « terrorisme » pour la discrimination des musulmans, provoquant un énorme éclat de rire dans la salle. « C'est l'islamophobie », corrige un de ses coéquipiers. L'antisémitisme devient « juifhomophobie ». Nouvel éclat de rire. L'homosexualité ? Leur manque de connaissance est total. Karl (*) reconnaît qu'ils « n'en ont jamais parlé à l'école ». C'est notamment pour cette raison qu'Anthony Boisseau, chargé de la mise en oeuvre des actions éducatives au centre de formation caennais, a activé cet atelier proposé par le Fondaction du football dans le cadre d'Open Football Club. « La saison passée, j'ai discuté avec certains jeunes à la suite de l'envoi d'un questionnaire sur l'homosexualité et j'ai été effaré par leurs réponses. Ils m'ont sorti des choses atroces. Il fallait absolument faire quelque chose. »
La séance se déroule bien. Les footeux sont à l'écoute, actifs et curieux. Ils se prennent toutefois la tête sur une question philosophique. « On ne peut pas naître gay, c'est pas possible d'être homosexuel naturellement ! » s'énerve Mickaël. Patrick lui répond : « Mais si tu peux ! » Les deux intervenants calment le jeu, avant que Karl ne mette tout le monde d'accord : « Être homo, ce n'est pas un choix, c'est une attirance. » La bénévole de SOS Homophobie apprécie : « On avance. »
« Ça changerait quoi sur un terrain ? -Si c'est mon capitaine, il ne pourra pas me donner des ordres » - Un joueur du centre de formation
Franck les interroge alors sur sa propre orientation sexuelle. « À vue d'oeil, je dirais que vous êtes hétéro monsieur. » « Ça se voit ! » Ils sont tous d'accord. « Vous avez tout faux. Je suis homosexuel. » Ils refusent de le croire. « C'est joué, c'est sûr. » Ils lui demandent une preuve. Pour la première fois depuis qu'il anime ces ateliers, Franck doit appeler son mari devant toute la salle, sur haut-parleur. « Ouah, il l'appelle bébé », hallucine l'un d'eux. À cet instant, un basculement s'opère. Ils s'aperçoivent qu'un homosexuel n'est pas forcément « maniéré ». Marion leur pose la même question. Ils sont perturbés. N'arrivent pas à se prononcer. Elle leur répond par l'affirmative.
Franck leur parle de sa vie. Ils lui demandent comment sa famille a réagi. « Ma mère m'a amené chez le psy parce que c'était une maladie. » « N'importe quoi », s'offusque Patrick. Ils lui posent plusieurs questions très personnelles (son premier copain, le sexe) auxquelles Franck répond, sans tabou. Il leur apprend qu'il ne se promène plus main dans la main avec son compagnon. « Bah pourquoi ? » « Faut le faire monsieur. » Marion leur explique que les agressions homophobes se sont multipliées en France. « Vous en avez déjà subi ? leur demande Patrick. Il faut être fort mentalement. » Anthony, leur éducateur, intervient. Il leur raconte une histoire très personnelle et leur demande, non pas de changer, mais de s'ouvrir et de respecter les autres. « Le plus important dans la vie, reprend Marion, c'est d'être heureux et bien dans sa peau. » Patrick est touché : « Je suis content pour vous. » Et touche les deux bénévoles : « Vous avez déjà souffert de l'homophobie ? Ça me ferait mal de vous voir souffrir. Vous vous cachez. Ça m'énerve, vous n'avez pas à vous cacher. »
Marion évoque un sujet tabou : l'homosexualité dans le football. « Ça n'existe pas », affirme un des jeunes. Marion leur assure que c'est le cas et leur demande pour quelles raisons les footballeurs ne font pas leur outing. « Ils se cachent, ils ont peur. » « Le terrain, aussi. » Ça changerait quoi, leur orientation sexuelle sur un terrain ? « Si c'est mon capitaine, il ne pourra pas me donner des ordres », répond Brice. « Pour moi, il fait ce qu'il veut. Je le considérerais comme tout le monde », rétorque Patrick. Pierre abonde : « Sur le terrain, je ne calcule pas. Ça ne me dérange pas. » Il serait toutefois moins magnanime s'il apprenait qu'un de ses potes du centre de formation était homo. « S'il vient et se colle à moi, je vais être mal à l'aise. » « Ce n'est pas parce qu'il est gay qu'il va essayer de se taper tout le groupe », leur apprend Franck. « Moi, je suis un gros boss. C'est sûr qu'il va me gérer », fanfaronne Mickaël. Qui couperait les ponts si un tel cas se produisait. Trois autres joueurs l'imiteraient.
Les autres se montreraient plus ouverts : « Ça ne changerait rien. C'est sa vie. » Les bénévoles leur posent une dernière question : « Si votre coéquipier se suicide parce que vous l'avez rejeté, vous réagiriez comment ? » Stupeur dans la salle. « Je m'en voudrais, je culpabiliserais », répondent plusieurs joueurs en même temps. « Je serais mal, assure Patrick. Je l'aurais rejeté et je n'aurais pas dû. » Si certains sont restés fermés sur la question, la plupart ont eu un déclic cet après-midi-là. Et, selon leurs dires, aucun n'agresserait un homosexuel. L'objectif de cet atelier.
(*) Les prénoms ont été modifiés à la demande du club.
_________________ Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin.
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