Patrice Garande : «Je pensais que j'aurais plus d'offres»L'entraîneur qui a quitté Caen cet été n'a pas retrouvé de club, mais se sent prêt à rebondir.
CAEN - Jeudi se déroulaient les « 24 heures pour l'emploi et la formation » dans les salons du stade Michel-d'Ornano. Mais, ce jour-là, Patrice Garande, au chômage depuis la fin de son contrat au Stade Malherbe cet été, nous a reçus dans l'un de ses restaurants favoris du vieux Caen pour revenir sur la saison passée, la dernière d'un long parcours au club (16 saisons), et évoquer ses aspirations. À bientôt cinquante-huit ans, alors qu'il prend des cours d'anglais, il espère très vite laisser tomber le vélo et le golf, qui occupent désormais ses journées, pour retrouver les terrains.
« Fin avril, vous déclariez : ''Être en fin de contrat, c'est être libre, maître de son destin.'' Avez-vous l'impression de maîtriser ces derniers mois ?
Oui, être en fin de contrat, c'est être libre de choisir ce que l'on veut faire. Au Stade Malherbe, j'avais la liberté d'écouter, ou pas, les propositions en interne. Mon choix est de ne pas avoir écouté. Ensuite, si tu n'as pas de propositions, ou si elles ne te conviennent pas, tu te retrouves dans ma situation. Je n'ai pas de rancoeur.
Quand avez-vous pris la décision de ne plus être entraîneur du SM Caen, que vous avez annoncée au soir de la dernière journée ?
J'ai pris cette décision avant de reprendre l'entraînement, au début de la saison. Car je n'ai pas été écouté dans le recrutement et j'en ai subi les conséquences toute la saison. Je m'en suis ouvert au président Fortin au mois d'octobre, puis à mon agent (Jean-Christophe Thouvenel). Mais il souhaitait me convaincre de rester. Il y a eu des échanges jusqu'en décembre. Puis, en début d'année, la lutte de pouvoir a commencé à la tête du club (9 des 13 actionnaires majoritaires du club s'étaient alliés pour obtenir le départ du président Jean-François Fortin, ndlr). Compte tenu de l'incertitude concernant son avenir, Jean-François Fortin m'a dit qu'il ne pouvait prendre aucune décision, alors qu'il aurait pu me prolonger. Ça montre bien ses valeurs. Il m'a lancé et c'est devenu un ami.
Son successeur, Gilles Sergent, a-t-il souhaité vous conserver ?
J'ai eu un entretien avec lui la veille du match contre le PSG, le lendemain de son intronisation. Il a loué mes qualités, mes compétences et m'a dit que, si on se maintenait, on se verrait pour discuter de l'avenir. Je lui ai dit : "Gilles, si on se maintient, il n'y aura pas de futur. Ça s'arrêtera pour moi." Et j'ai ajouté que, compte tenu des relations que j'avais avec Jean-François Fortin, je ne pouvais plus être l'entraîneur du Stade Malherbe et que je l'annoncerais en conférence de presse d'après-match. Puis il me demande : ''Et si on ne se maintient pas et qu'on fait les barrages ?'' Je lui réponds qu'il aurait sa première décision difficile à prendre en tant que président, celle de confier l'équipe pour les barrages à quelqu'un qui ne voulait pas travailler avec lui, la saison suivante. Ce n'était pas contre lui. D'ailleurs, dans les moments compliqués, c'est l'une des personnes qui m'a soutenu.
«Si j'ai une possibilité en Chine, au Japon, en Corée, aux Émirats... je pars !»
Votre dégringolade au classement durant la deuxième partie de saison coïncide avec ce conflit en interne...
Les trois derniers mois ont été très compliqués. Il y avait des joueurs en fin de contrat, ceux à qui il restait un an, ceux qui ne jouaient pas et qui souhaitaient avoir des réponses sur leur avenir, qu'on ne pouvait pas leur donner... Ce qui nous a maintenus, c'est la Coupe de France, qui a permis de garder le groupe sous pression (demi-finale contre le PSG, 1-3). Mon regret est de ne pas avoir dit, publiquement, qu'on allait être en très, très grande difficulté. Les joueurs que je voulais ne sont pas venus et je n'avais aucune garantie pour pratiquer le football offensif que je souhaitais.
Estimez-vous être parti la tête haute du Stade Malherbe ?
Je suis très fier de mon bilan. Quand j'ai pris l'équipe, qui venait de descendre en L 2 (2012), on m'a demandé de remonter le plus vite possible, ce qu'on a fait en deux ans. Ensuite il fallait pérenniser le club, soit passer la barre des trois ans. C'est la 5e saison en L 1. On peut ajouter une demi-finale de Coupe de France (2018), une première dans l'histoire du club, une 7e place (2016)... Avec mon staff, j'ai aussi fait débuter pas mal de joueurs : (Raphaël) Guerreiro, champion d'Europe (Portugal, 2016), (Thomas) Lemar et (N'Golo) Kanté, champions du monde. Je pense que j'ai atteint mes objectifs avec des moyens limités.
N'êtes-vous pas alors victime de votre image, celle de quelqu'un qui ne maîtrise pas toujours bien sa communication ?
Moi, j'explique comment je fonctionne. J'ai toujours été assez ouvert avec la presse. Je ne sais pas mettre en valeur mon travail, ni vendre du vent aux gens. Et j'ai eu un problème avec les supporters (février 2017). Mais c'était seulement avec 30, 40 personnes du kop. Ces supporters, je les ai toujours défendus, même dans les moments où c'était compliqué. J'ai été arrêté dans ma voiture à l'extérieur du stade et je n'ai pas accepté certains propos.
Avez-vous bien été candidat à la succession de Gustavo Poyet, à Bordeaux, et avez-vous eu d'autres contacts concrets ?
Oui, j'ai postulé à Bordeaux. Mais, il y avait Henry, Ranieri... Sinon, j'ai été approché par un club indien (Pune City) et par le Servette de Genève. C'est un club exceptionnel, mais il est en D 2 suisse. En D 1, je serais parti tout de suite. Je ne suis fermé à rien. Si j'ai une possibilité en Chine, au Japon, en Corée, aux Émirats... je pars ! Après, si c'est pour être pompier de service et qu'il n'y a rien derrière, je ne vois pas l'intérêt.

«Mon expérience pourrait peut-être intéresser des gens en dehors du foot, notamment des chefs d'entreprise, sur le plan du management»
Avez-vous été surpris de ne pas avoir davantage de propositions ?
Si je disais non, je mentirais. Je pensais que j'aurais plus d'offres. Après, je ne suis quand même pas con, je sais que ce que j'ai fait à Caen ne m'ouvre pas les portes de tous les clubs de L 1. Certains, en L 2, pourraient aussi m'intéresser. Maintenant, soit j'attends décembre qu'il y ait des changements d'entraîneur, soit je me tourne vers l'étranger. En fait, le paradoxe est qu'après six années en tant que numéro 1 en Ligue 1, je suis plus fort, j'ai acquis une expérience, et c'est à ce moment-là que je n'ai plus rien.
Dans quel état d'esprit êtes-vous, aujourd'hui ?
J'ai fait le deuil du Stade Malherbe. Le principal est d'être optimiste et ne pas vivre cette situation comme un traumatisme. Je vois énormément de matches de Ligue 1. Je me dis : ''Si j'avais une équipe, comment je jouerais contre elle ?'' Je joue au foot depuis l'âge de six ans, je vis de ce métier depuis l'âge de quatorze ans et je vais avoir 58 ans. Alors, même si ça s'arrête maintenant, j'aurai vécu quelque chose d'exceptionnel.
Vous vous imaginez arrêter ?
Aujourd'hui, je ne peux pas vivre sans le foot. Mais je me dis aussi que, si ça ne revenait pas, mon expérience pourrait peut-être intéresser des gens en dehors du foot, notamment des chefs d'entreprise, sur le plan du management. Ce n'est pas le même monde, mais il y a des similitudes dans les relations humaines. Dans le foot, comme dans la vie, on partage avant tout des émotions.»