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Un article de Mediapart sur la 5e du Calvados. - Cliquez ici pour faire apparaître le contenu caché
Bayeux (Calvados), envoyé spécial.– Elle est la seule en France, elle pourrait fanfaronner mais l’arithmétique n’est pas là pour la rassurer. Isabelle Attard, députée sortante de la 5e circonscription du Calvados, en campagne pour sa réélection, est seule à gauche ou presque : La France insoumise, le Parti communiste, Europe Écologie-Les Verts et le Parti socialiste lui ont tous apporté leur soutien. « J’ai dit la même phrase à tout le monde, explique-t-elle : “Vous me connaissez, vous savez mes votes, vous connaissez mes combats”, mais je ne leur ai rien demandé. » Le 16 mai, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a fait savoir qu’il apportait son soutien à la candidate, comme il soutient ailleurs « des candidats portant les mêmes valeurs d’écologie, de solidarité et de justice ». Deux jours plus tard, le PS confirmait le retrait de son candidat pressenti, Thomas Dupont-Federici, et annonçait un soutien a minima. « Pour les écolos et le PCF, je n’ai même pas eu besoin de demander », explique la candidate à Mediapart mardi 30 mai.
« Le PS local est pro-Hamon en majorité, poursuit-elle. Ils n’ont certes pas mis de candidat face à moi, mais ils ne font pas preuve d’un soutien dingue non plus. Ils me reprochent encore mon absence de soutien au PS lors d’une cantonale. Moi, je leur avais juste demandé de se démarquer un peu de la politique menée par François Hollande. Ils ne l’ont pas fait. J’ai donc juste fait preuve de cohérence. » Du côté de La France insoumise, un dialogue s’est noué. « Ils ont demandé à me rencontrer, ils ont voté entre eux pour qu’il n’y ait pas de candidat FI face à moi. Mais il faut savoir que j’avais déjà des militants insoumis avec moi. » Certains militants restent sceptiques et refusent toujours de voter pour la candidate « parce que j’ai refusé de mettre leur logo sur mes affiches ».
Il n’empêche, c’est le seul exemple en France d’un soutien aussi large à gauche. De quoi donner le sourire. Du moins brièvement. Car, ici comme ailleurs, « l’effet Macron » plane sur la campagne. Le candidat estampillé La République en marche, Bertrand Bouyx, un pharmacien de 45 ans passé par l’UDI, « s’imagine qu’il peut gagner d’avance », note la candidate.
Le grain de sable est arithmétique. Dans cette circonscription plutôt conservatrice, en grande majorité rurale – la plus grosse ville, Bayeux, compte environ 14 500 habitants – et composée de 161 communes, le résultat du premier tour de la présidentielle parle de lui-même. Emmanuel Macron a recueilli 25,7 % des suffrages, suivi de François Fillon (22,02 %), Marine Le Pen (20,64 %), Jean-Luc Mélenchon (16,52 %) et Benoît Hamon (6,45 %). Un total gauche à moins de 24,8 % (avec le NPA et LO), encore en deçà de la moyenne nationale (27,67 %), qui « fait peur ». Du coup, la candidate se démultiplie dans une économie de moyens : 5 personnes constituent le noyau dur de son équipe de campagne, ce qui fait seulement « 1,5 équivalent temps plein », et un budget de 31 000 euros (la somme remboursable par l’État).
Ce mardi en début d’après-midi, dans sa voiture en direction de Gouvix, pour un débat à l’invitation de la FDSEA, le syndicat agricole, Isabelle Attard voit une autre préoccupation s’inviter : en raison de la grève des transporteurs de matières dangereuses, la pénurie d’essence menace ; les stations autour de Bayeux sont déjà, pour certaines, en rupture. Son équipe prend ses dispositions ; quant à elle, sa décision est prise : le lendemain, c’est en stop qu’elle poursuivra sa campagne.
La commune de Gouvix n’est pas dans sa circonscription, mais dans ce département rural où les éleveurs sont nombreux, la FDSEA peut compter sur la venue de nombreux candidats quand elle les invite à un débat sur l’avenir de la profession. Sur le parking de la ferme, la députée laisse ses chaussures à talon pour enfiler des bottes en caoutchouc, ce qui se révélera inutile puisqu’il n’y aura finalement pas de visite de la ferme, une exploitation tenue par deux frères. Dans un grand hangar, deux tables sont dressées : sur l’une, du café et des jus de fruits pour la collation d’après-débat, sur la seconde, les revendications de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs.
Le président du syndicat au niveau du département, Christophe Macé, accueille les candidats qui ont bien voulu faire le déplacement. Attard est la seule de la 5e circonscription. Alain Tourret (LREM, Mediapart en a parlé ici pour son utilisation de l’IRFM), candidat à sa réélection dans la 6e, est là aussi, de même que trois autres. Les relations entre Attard l’écolo et le syndicat ultramajoritaire sont loin d’être au beau fixe. Il y a deux ans, au plus fort de la crise agricole, trois bennes de fumier avaient été déversées devant la permanence de la députée à Bayeux.
La crise agricole n’est pas passée et Christophe Macé est là pour le rappeler. Il commence par égrainer les chiffres de la MSA, la Sécu des agriculteurs : 2 000 nouveaux dossiers d’accompagnement par les services sociaux en 2016, 40 situations gérées par la cellule prévention suicide en 2016 et déjà 19 signalements sur le premier trimestre 2017, 28 % d’augmentation en deux ans. Il est question de gestion du risque, de juste revalorisation de la valeur ajoutée, des relations avec la grande distribution, mais aussi des produits phytosanitaires – « pour lesquels on est très décriés alors qu’on essaye de faire au mieux » – et de la « vocation à exporter » des agriculteurs français.
« J’ai des idées à défaut d’avoir un parti »
Isabelle Attard finit par avoir la parole. Sans prendre complètement les agriculteurs à rebrousse-poil, elle tente de poser d’autres enjeux : des salaires décents, des prix décents et, surtout, le rôle de Danone ou de Lactalis, ces centrales d’achat qui font la pluie et le beau temps sur les prix du lait. Le ton monte légèrement au bout des deux heures de discussion, quand Christophe Macé sous-entend que la députée écolo dresse les agriculteurs les uns contre les autres en invitant la Confédération paysanne à ses réunions publiques. « Vous êtes invités aussi », s’indigne Isabelle Attard avant de tourner les talons.
Retour à la voiture – une hybride – et direction Bernières-sur-Mer pour un porte-à-porte suivi d’une réunion publique sur le thème des précarités. Cette ville un peu dortoir, située à une dizaine de kilomètres de Caen sur la côte, compte moins de 2 400 habitants. Claude, un militant qui habite sur place, attend la députée. Une partie de la ville ayant déjà été « boîtée » (des tracts distribués dans les boîtes à lettres) il y a quelques jours, il ne reste donc que quelques rues.
Le discours est rodé. Quand une porte ou une fenêtre s’ouvre, la première phrase est : « Bonjour, Isabelle Attard, je suis votre députée. Je me représente pour mon deuxième et dernier mandat, pour que ça ne devienne pas une profession. » L’accueil est rare mais très souvent poli. Outre le fait qu’il n’est pas encore 18 heures, et que donc les travailleurs ne sont pas encore rentrés, beaucoup de maisons sont des résidences secondaires.
Un homme ouvre et sort dans la petite cour de sa maison divisée en appartements. Arrivé à Bernières en août dernier après trente-cinq ans de caserne, sapeur-pompier à Paris, il répond « affirmatif » au lieu de « oui », et finit par demander son « étiquette » à la députée. « Sans, répond celle-ci, j’ai des idées, à défaut d’avoir un parti. » Plus loin, une dame fait son jardin. Attard se présente mais la dame ne vit ici que sept mois par an, et vote encore en Île-de-France où son député est également maire de la ville. La candidate explique qu’elle est contre le cumul des mandats, la dame semble plus hésitante mais finit par reconnaître que son maire n’est sans doute pas un député assidu.
Ailleurs, un retraité tique sur le « dernier mandat » annoncé. « Je suis contre la professionnalisation de la politique, on voit ce que ça donne », remarque celle qui se définit comme candidate « citoyenne » et redit qu’elle « n’a pas de parti » et que c’est pour cette raison qu’il n’y a « pas de logo » sur ses tracts. « Eh bien, ce n’est peut-être pas plus mal à l’heure actuelle d’être sans parti. Parce que ça devient vraiment du grand-guignol », répond son interlocuteur.
Deux heures ont passé. Isabelle Attard file à la boulangerie acheter un sandwich et se rend à la Salle de la mer, où doit se tenir, dans moins d’une heure, une réunion publique sur le thème des précarités. « On n’a jamais été aussi riches collectivement et aussi pauvres individuellement », remarque celle-ci en préambule, devant une trentaine de personnes.
Pour cette réunion publique sous forme d’éducation populaire, trois intervenants sont présents : Vincent Richard, coordinateur au Réseau de santé du Bessin, Sébastien Bellet, ingénieur bâtiment, référent précarité énergétique, et Nicolas Champion, président du Secours populaire 14. Le constat n’est pas des plus réjouissants : précarité énergétique, précarité en matière de santé, précarité tout court, toutes les statistiques données par les intervenants, que ce soit au niveau national ou au niveau local (Basse-Normandie ou Calvados), sont alarmantes. Dans la salle, plusieurs bénévoles du Secours catholique ne peuvent qu’abonder. Les questions et les remarques, anecdotes ou précisions, prolongent le débat jusqu’à 22 h 30.
Dans la voiture, sur le chemin du retour à Bayeux, Isabelle Attard se félicite de la trentaine de personnes présentes. Elle se tourne déjà vers demain et organise sa journée en stop qui la mènera de Bayeux au Molay-Littry. Quant à voir plus loin que cette campagne, c’est une autre histoire.
« C’est difficile de se projeter, explique la députée, dans un scrutin majoritaire à deux tours, où il faut passer la barre de 12,5 % des inscrits au premier tour pour se maintenir. » « Chaque circonscription est différente, c’est chaque fois une alchimie personnelle des candidats », insiste-t-elle. Puis, quand on l’interroge sur le temps d’après : « Il faudra bien essayer de construire quelque chose de plus ouvert et de moins sectaire possible. Je suis d’accord avec plein d’aspects du programme L’Avenir en commun de La France insoumise, et aussi avec des aspects du programme de Benoît Hamon. Mais celui de Jadot et, encore plus, celui de Charlotte Marchandise sont bien également. » La synthèse des gauches made in Attard.
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