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Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 09:50
par François de Malherbe
Les débats passionnés sur les panthéonisations possibles ont été l'occasion de la réapparition d'enjeux mémoriels autour de grandes figures tutélaires de la Résistance, ou, plus exactement, "des résistances". Si Régis Debray qualifie de "sainte trinité" la proposition récente de l'historienne Mona Ozouf (Geneviève Anthonioz de Gaulle - Germaine Tillion - Pierre Brossolette), même s'il la juge trop parfaite à son goût, d'aucuns ont voulu voir la candidature de Brossolette comme une atteinte insoutenable à la mémoire de Jean Moulin et de son action. C'est le cas de Pierre Péan et d'Eric Conan, qui ont commis cet article dans les colonnes du Monde du 8 janvier dernier.
Dieu sait si je suis un fervent défenseur de l'image du martyre de Caluire, qui apparaîtra peut-être comme la plus grande figure de l'histoire française du XXe siècle dans 150 ans. Cependant, la posture de Péan et de Conan m'avait paru très maladroite. Le danger qui guette désormais l'histoire de la Résistance est celle de la mythification et de la simplification absolues. La figure historique de Jean Moulin ne peut en aucun cas être déboulonnée de son piédestal par l'intronisation d'un de ceux qu'on a pu dépeindre comme son frère ennemi, et qui eut peut-être une part de responsabilité dans certains épisodes malheureux, qui ont conduit à la décapitation de la Résistance intérieure. Il n'était en tous cas pas ce "piètre politique" stigmatisé par les deux auteurs. Surtout, ce débat a l'avantage de remettre l'histoire au centre du jeu, devant les aspects de mémoire. Or, la Résistance n'a rien à perdre ni à craindre face à son histoire, dépouillée de la légende.
Une réponse cinglante vient d'être assénée par un collectif d'historiens, dont les noms font autorité, sous le titre : "Tous les résistants ont leur place au Panthéon".

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 12:37
par Vltra
Hooo, le bel avatar que voilà !
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Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 15:00
par Arthur
Il y a quand même beaucoup de candidats plus marquants au Panthéon : Clemenceau et Mendes France chez les politiques, de Gouges et Diderot chez les "penseurs"... et Lucie Aubrac chez les résistants.

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 15:15
par tite-live
Pour Clémenceau, il n'ira pas, il s'était clairement exprimé en ce sens sur son testament.
Ensuite, la tendance actuelle fait que ce sera une femme ou quelqu'un issu des minorités, donc Germaine Tillon/Geneviève de Gaulle, Lucie Aubrac et Olympe de Gouges partent avec une longueur d'avance. Le problème, c'est que faire rentrer uniquement des femmes résistantes, ce serait un peu réducteur !
L'idée de faire entrer un groupe de résistants (puisque celle-ci est d'abord un collectif), qui plus est mixte, me plaît assez. Quant à de Gouges, elle devrait y être depuis longtemps...

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 15:21
par bigdudu
Et une femme tondue à la Libération ? :arrow:

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 16:39
par François de Malherbe
L'idée de Debray semble assez consensuelle finalement, puisqu'il propose Joséphine Baker, qui cumule plusieurs avantages : femme, métisse, féministe, résistante et française naturalisée. Pour lui, si l'idée de faire entrer (et non pas "rentrer" :wink: ) des résistantes est tout à fait légitime, il plaide en revanche pour une désacralisation du lieu. Pour lui, il s'agirait aussi de se mettre en adéquation avec les valeurs beaucoup plus profanes de notre époque. Il faut bien avouer que les valeurs de sacrifice n'ont plus beaucoup d'écho dans notre société actuelle. Bannir le sacré de d'sous la coupole en somme.
Sinon, entre Diderot et Brossolette, Mona Ozouf (...pourtant historienne du XVIIIe siècle) plaide pour le second dans une approche tournée vers les plus jeunes générations. Il faut que le personnage fasse sens pour tous. Or, il est plus facile pour un enfant de 10 ans de comprendre le suicide d'un homme qui refuse de dénoncer ses amis, plutôt que d'appréhender la grandeur de Diderot sans une préparation intellectuelle bien élaborée en amont.

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 16:54
par Arthur
S'il faut que ça parle aux enfants de 10 ans, je propose Jean de Brunhoff et Philippe Chappuis, les créateurs de Babar et Titeuf...

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 22:07
par bigdudu
François de Malherbe a écrit :L'idée de Debray semble assez consensuelle finalement, puisqu'il propose Joséphine Baker, qui cumule plusieurs avantages : femme, métisse, féministe, résistante et française naturalisée. Pour lui, si l'idée de faire entrer (et non pas "rentrer" :wink: ) des résistantes est tout à fait légitime, il plaide en revanche pour une désacralisation du lieu. Pour lui, il s'agirait aussi de se mettre en adéquation avec les valeurs beaucoup plus profanes de notre époque. Il faut bien avouer que les valeurs de sacrifice n'ont plus beaucoup d'écho dans notre société actuelle. Bannir le sacré de d'sous la coupole en somme.
Sinon, entre Diderot et Brossolette, Mona Ozouf (...pourtant historienne du XVIIIe siècle) plaide pour le second dans une approche tournée vers les plus jeunes générations. Il faut que le personnage fasse sens pour tous. Or, il est plus facile pour un enfant de 10 ans de comprendre le suicide d'un homme qui refuse de dénoncer ses amis, plutôt que d'appréhender la grandeur de Diderot sans une préparation intellectuelle bien élaborée en amont.

Mes élèves de 10 ans connaissent Diderot et pas Brossolette.

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 22:30
par François de Malherbe
Certes, mais connaître reste la tâche intellectuelle la plus basse qui soit. (C'est le fameux syndrome "1515"). L'enjeu est ici de comprendre le concept d'espace mémoriel rassemblant toute une nation, c'est-à-dire d'individus tous différents désirant cependant vivre ensemble sur un pacte et des valeurs cardinaux.
Si on ne délègue à l'école que la connaissance, quel intérêt ? Wikipédia s'en chargera bien mieux ! En revanche, si nous voulons que l'appropriation de lieux patrimoniaux fassent sens, l'école est pleinement dans son rôle. Si on se contente de reléguer toutes ces tâches à la sphère familiale, on ne peut guère s'étonner de l'accentuation des inégalités stigmatisée par PISA.
Je crains hélas qu'on ne soit pas clairs sur le sujet. Bourdieu parlait déjà des "héritiers"...

Re: HS: Histoire

Posté : 23 janv. 2014 22:53
par bigdudu
François de Malherbe a écrit :Certes, mais connaître reste la tâche intellectuelle la plus basse qui soit. (C'est le fameux syndrome "1515").

C'était juste par rapport à ta réflexion sur les enfants de 10 ans et crois bien qu'ils ont compris l'importance de l'Encyclopédie et des idées des Lumières, ce qui me semble non négligeable et ne mérite pas ton mépris.

Re: HS: Histoire

Posté : 24 janv. 2014 00:33
par François de Malherbe
Pas de mépris de ma part. En revanche, je déplore le regard que la société porte sur l'école. Et quand je dis école, je pense en fait à scolarité obligatoire. Je me sens au contraire de plus en plus proche des profs des écoles que des profs de lycée, ce que j'étais il n'y a pas si longtemps et que je peux redevenir.
Oui, un enfant de 10 ans peut comprendre des choses complexes et c'est justement le rôle essentiel de notre métier. Or, on confond en général encyclopédisme - culture générale (ce qui reste de la pure performance, comme on fait 1897 jongles avec un ballon) et réflexion. Mais justement, si on ne réfléchit pas dès l'école, nous ne formerons jamais des citoyens éclairés. Je réagissais en fait beaucoup plus à la remarque d'Arthur. Bien que sur le mode ironique, on sent une prégnance inconsciente de schémas dont on a du mal à s'affranchir. L'institution n'est pas du tout claire sur le sujet d'ailleurs. On le voit bien sur les programmes, les modes d'évaluation et la conception des examens.
Après, le terme mes élèves "connaissent" Diderot est un peu vague. Je ne doute pas du tout de l'excellence de ton travail, mais on peut tout y mettre derrière. D'abord, quand on veut faire passer un discours à 27-28 élèves en même temps, c'est une lapalissade, mais il y a 27-28 façons de le recevoir, de l'interpréter, etc. Comment est-on sûr quand tous nos élèves "savent" après tout ? En ce qui me concerne, presque jamais. Ils vont être ponctuellement interrogés dessus, et puis ? Si nous n'y avons mis aucun sens, ce n'aura été qu'un courant d'air.

Re: HS: Histoire

Posté : 24 janv. 2014 00:36
par François de Malherbe
Pour l'argument de la proximité supposée entre les enfants et les deux candidatures évoquées pour le Panthéon, il était de Mona Ozouf en fait. Mais je ne lui donne pas tort. C'est vrai aussi pour les adultes de toutes façons. La proximité aide à faire sens.

Re: HS: Histoire

Posté : 24 janv. 2014 12:30
par Arthur
François de Malherbe a écrit :Je réagissais en fait beaucoup plus à la remarque d'Arthur. Bien que sur le mode ironique, on sent une prégnance inconsciente de schémas dont on a du mal à s'affranchir.


Je n'ai pas trop compris en fait.

Re: HS: Histoire

Posté : 24 janv. 2014 12:53
par arcisse
Arthur a écrit :
François de Malherbe a écrit :Je réagissais en fait beaucoup plus à la remarque d'Arthur. Bien que sur le mode ironique, on sent une prégnance inconsciente de schémas dont on a du mal à s'affranchir.


Je n'ai pas trop compris en fait.


C'est parce que t'as pas 10 ans, sinon tu aurais tout capté à la première lecture.

Re: HS: Histoire

Posté : 24 janv. 2014 14:11
par François de Malherbe
Arthur a écrit :
François de Malherbe a écrit :Je réagissais en fait beaucoup plus à la remarque d'Arthur. Bien que sur le mode ironique, on sent une prégnance inconsciente de schémas dont on a du mal à s'affranchir.


Je n'ai pas trop compris en fait.

J'admets qu'il y a beaucoup trop d'implicite dans mes propos, ce qui occasionne nombre de malentendus. Je vais essayer d'éclaircir c'que j'veux dire.
Le débat sur la panthéonisation d'untel ou d'un autre me semble être révélateur d'une photographie de notre société à un moment précis de son histoire. Ça se vérifie depuis plus de 200 ans.
Si on admet bien le principe que nous vivons au cœur d'une nation démocratique, il s'agit d'emporter l'adhésion du plus grand nombre. C'est le principe fondamental de la majorité, auquel tout démocrate veux bien se soumettre selon "le pire des systèmes à l'exception de tous les autres". Dans ces conditions, il est bien sûr possible d'évoquer ses préférences à titre personnel, mais je crois que l'objet du débat porte davantage sur le consensus national. Ainsi, je me prononcerais volontiers pour un repos éternel sous la coupole de François de Malherbe ou d'Eugène Lesomptier (clin d’œil vicelard à l'Vl), mais il est évident que ce choix n'aurait qu'une assez faible cohérence nationale. Pour faire consensus, il faut donc faire sens auprès du plus grand nombre, y compris les moins érudits ou les plus jeunes (je précise tout de suite que je ne me place surtout pas dans les érudits, puisqu'on m'accuse de manière récurrente d'être méprisant ou d'apporter des références hors de propos sur ce forum. On est bien sûr toujours le con de quelqu'un, surtout lorsque le domaine de compétences convoqué change : de la plomberie à la mécanique, en passant par la physique quantique ou l'Exégèse).
Je plaide simplement pour un débat apaisé et serein, mais dans lequel la lecture et la compréhension de l'histoire doivent être convoqués à bon escient. (D'un point de vue personnel, par exemple, le choix de Lucie Aubrac ne semble vraiment pas le plus pertinent pour représenter les résistantes françaises, mais passons). Aussi, pour que la nation se réapproprie pleinement ce haut-lieu symbolique, je crois qu'il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie (je suis certainement le plus mauvais des pédagogues, je veux bien en convenir). C'est ici que la remarque d'Arthur m'a un peu agacé en fait, même s'il y a eu télescopage entre l'argument de Mona Ozouf et le propre parti pris d'Arthur en faveur de Diderot. Je précise que je trouve le choix de Diderot tout aussi légitime que celui de Brossolette, sous condition d'adhésion sur une large base. Mais pour "démonter" l'argument qui paraît imparable à Mona Ozouf : s'adresser facilement à des écoliers, Arthur use de l'ironie pour convoquer Babar. Sur ce fait, bigdudu se sent fustigé (et offensé) dans son rôle de maître d'école, puisque lui sait bien que ses élèves "connaissent" Diderot. Emporté par mon agacement, j'entre dans un débat d'initiés, mais qui est toujours sous-jacent dans n'importe quel espace de discussion. Il y a donc un deuxième télescopage, bigdudu pensant que je l'estime incapable de faire réfléchir ses élèves et je le reprends non sans malice (mais très maladroitement) sur la fonction cognitive du terme "connaissance".