Citation:
Mais je questionnais surtout la notion philosophique de "détournement politique". Que des citoyens s'organisent pour mutualiser des compétences variées, parce que leur seule force d'action réside dans un investissement tous azimuts, me semble être une définition tout à fait appropriée de la politique, dans un sens littéral.
L'investissement et la sincérité des participants n'est pas remise en cause, au contraire. La foutraquitude du concept me générait moins si elle ne constituait pas un moyen de contrôle des participants.
Voici un exemple concret qui je l’espère éclaircira mon point de vue.
Quand je projette d’acheter mon fromage en coopérative bio, c’est avant tout pour tenter de rationaliser mon achat : privilégier le circuit court, manger sainement, manger bon, manger bio. Bref donner un semblant de sens à ma consommation.
Je rêve d’un camembert moulé à la louche et affiné à cœur.
Or, au moment où je me rends à la coopérative, je me souviens que les vendeurs sont des bénévoles; des passionnés à qui ont a confié l’affinage du clacos, sans véritable formation préalable.
C’est normal, eux, c’est pas leur métier, ils sont là pour aider.
D’ailleurs la semaine dernière ces mêmes vendeurs s’occupaient des fruits et légumes. J’ai bien reconnu la petite vendeuse et son petit bou…
Pardon, je m’égare.
Parmi les vendeurs, je dois confesser qu’il y’a un authentique connaisseur - pas besoin de dessin, le type respire le fromage aoc (oui je sais c’est dégueulasse) - mais à qui on a dit, implicitement, que son expertise dans le lait cru n’a pas plus de valeur que l’ignorance de son charmant binôme.
Car seules les bonnes volontés comptent.
C’est tellement vrai que son binôme, venant d’arriver au rayon frais, trouve une légitimité dans la vente du fromage, car sa contribution, qui vaut ce qu’elle vaut, reste honnête et désintéressée. Elle a déjà acheté du fromage, elle est pas idiote, elle sait ce que le chaland veut et son expérience de consommatrice est largement suffisante.
Ce qui l’a amenée à me conseiller un Jersey pasteurisé à défaut de camembert moulé à la louche disponible…
Résultat mon fromage est dégueulasse.
Par contre, ce fromage je l’ai acheté 5€ plus cher que chez le producteur, et cerise sur le brebis, plus cher que chez le crémier, qui lui, a un fromage parfaitement travaillé.
C’est normal, lui c’est son métier, il est là pour vendre.
Voilà où on en est niveau fromage participatif.
Et la technique du patron de ma coop devient très lisible : on confie les clés de la boutique à des amateurs passionnés, pour niveler l’offre, et par extension le besoin, au niveau bas le plus acceptable.
Fromage sans vie, bananes meurtries, avocat dur comme la pierre, mais coopératifs et bio.
En amalgamant les tâches et en minimisant les responsabilités, on dévalorise le métier et l’expertise de chacun. On positionne n’importe qui, n’importe où, n’importe comment.
On fait croire au codeur web qu’il peut être UX designer. Et là on va voir l’UX designer en lui garantissant l’exacte contraire*.
Bref, on divise les gens et pas le travail.
* Le lien de Karibou est l’exemple d’une idée respectable qui échoue faute d’expertise. Je pourrais développer si j’avais l’temps.