Témoignages de mecs qui ne connaissent rien au vélo.
https://www.liberation.fr/sports/cyclis ... 3VTW3RAEA/A l’orée de la retraite sportive du coureur cycliste au parcours sinueux, qui a entamé mercredi 1er février la dernière saison de sa carrière, «Libération» a interrogé plusieurs proches et figures du vélo. Ils décrivent un personnage atypique, adulé mais réservé.
par Romain Boulho
publié aujourd'hui à 17h41
Porte-étendard des passions cyclistes, coureur ermite et ombrageux, homme de la campagne, Thibaut Pinot a annoncé mi-janvier qu’il disputerait cette année sa dernière saison. Sa retraite sportive prendra effet fin octobre, après le Tour de Lombardie, un «monument» du vélo qu’il a remporté en 2018 pour ce qui reste la victoire la plus prestigieuse d’une carrière en loopings : des débuts échevelés, des meurtrissures… Surtout, cet espoir insensé, celui d’un vainqueur français sur le Tour, attendu depuis 1985. Pinot n’a jamais porté une seule journée le maillot jaune, mais il possède un don : son nom fait bondir les bords de route, ses chevauchées accrochent les mémoires. Avant la première de ses dernières courses, l’épreuve par étapes de l’Etoile de Bessèges qui a commencé mercredi 1er février, Libération a interrogé des membres de son entourage et des pontes de ce sport. Pour comprendre. Ils remontent dans leurs souvenirs et donnent leur perception d’un coureur à part.
Vincenzo Nibali, vainqueur des trois grands Tours
«Dans sa tête résonne le tambour de la bataille»
«Pour moi, un coureur romantique c’est un coureur comme Thibaut. Un type vrai, en plus d’être un coureur très fort. Il y a son panache exceptionnel, les courses italiennes, le Giro… Le Tour d’Italie a toujours été fait pour lui. Un grimpeur pur. Des montées brutales. Sur le Tour, les ascensions sont longues mais moins abruptes. Sur le Giro, il avait quelque chose, une confiance en plus. Et ce tatouage, qu’il porte sur son biceps droit : Solo la vittoria è bella, seule la victoire est belle… Thibaut arrêtera au Tour de Lombardie, en octobre. C’est sur cette course qu’on a mené nos plus beaux duels. En 2017, on est tous les deux ensemble aux avant-postes. J’attaque dans la dernière descente, le distance et finis par gagner. L’année d’après, dans le Civiglio, la dernière ascension, une côte raide vers Côme, il me harcèle sans interruption. Je me place à son niveau, épaule contre épaule, mais mes jambes sont à l’agonie. Je souffrais énormément. Je ne pouvais plus suivre. Pinot jaillit et remporte le Lombardie. Je finis second.
«Pendant de longues années, il a été l’un de mes plus grands adversaires. Quand je gagne le Tour en 2014, il est sur le podium à la troisième place. J’ai un magnifique souvenir de sa région, la Franche-Comté, datant de cette année-là. J’y ai gagné à la Planche des Belles Filles. C’était un jour superbe : j’ai récupéré le maillot jaune. Thibaut était deuxième sur cette étape, non ? Il était jeune à l’époque. Il n’a pas gagné de grand Tour à cause de ses problèmes physiques. Son esprit, lui, le pouvait. Dans sa tête résonne le tambour de la bataille.»
Arthur Vichot, ancien coéquipier et ami de Pinot, double champion de France sur route
«Le plaisir de courir s’estompe petit à petit»
«Avec Thibaut, souvent, on se raconte des histoires du passé. On s’est rencontrés sur des courses régionales, on a vécu des Tours de France ensemble… Je ne sais pas comment on peut appeler ça. De la mélancolie ? Je crois qu’il en a besoin. Il l’a dit clairement, et cela se voit : il prend moins de plaisir, ce n’est plus trop le vélo qu’il aime, alors ça fait du bien de se remémorer les bons moments. Le poids des années est lourd. On peut dire : “Thibaut Pinot est aigri, il a changé, il n’aime plus ce qu’il fait.” Il faut aussi comprendre que quand vous arrivez dans le milieu professionnel gamin, à 19 ans –, ce qui était très, très rare à l’époque – vous avez des étoiles plein les yeux et d’un coup vous êtes balancé, certes grâce à votre talent, dans la machine médiatique et celle du sport de haut niveau. Le vélo fait perdre son insouciance. Le plaisir de courir s’estompe petit à petit pour laisser place aux objectifs, aux contraintes. Thibaut, comme beaucoup mais lui peut-être encore plus, a été affecté par cela. Il a perdu sa liberté. Dans la vie comme dans le sport, quand vous atteignez un certain poste ou acquérez un statut, la pression suit. On ne peut pas être un leader d’équipe, prétendre gagner le Tour de France, et être libre.»
Christian Prudhomme, directeur du Tour de France
«Il y a un style Pinot»
«On dit que les palmarès s’effacent mais jamais les émotions. Elles restent jusqu’au bout. Thibaut Pinot a cette force-là : ses exploits sont marqués. Avec, parfois, des déceptions à la mesure de la joie. Il faut voir à chaque fois le bonheur qu’il procure en miroir de ses déconvenues. Les émotions, il sait les créer. Quand il se met en danseuse, il donne une impression tout à fait particulière. Il y a un style Pinot, à l’évidence. Sur le bord de la route, on voit les coureurs et on dit : “Ils arrivent !” Lui c’est : “Il est parti !” Il se met en danseuse et, à un certain moment, on voit que ça va le faire.
Je me souviens quand il gagne sa première étape à Porrentruy en 2012, à 22 ans. Je suis dans la voiture de direction et dans la dernière montée très raide, le col de la Croix, il y a tant de monde sur les bords… C’est bien que ce soit en Suisse, les gens sont respectueux, autrement il ne serait jamais revenu sur la tête de course. Je me souviens de l’Alpe d’Huez quand il a gagné en 2015 et où il demandait sans arrêt les écarts : il n’entendait plus rien avec le bruit de la foule. Je me souviens enfin de la montée du Prat d’Albis en 2019 quand il largue Egan Bernal, parce que là, je pense qu’il va gagner le Tour. Et je n’étais pas le seul ! Il n’a pas manqué grand-chose, hein. L’inconnu, ce sera toujours cette blessure à deux jours de l’arrivée, qui n’est pas une blessure de coureur cycliste [une lésion à la cuisse gauche, ndlr]. Comment ? Pourquoi ? Est-ce que c’est dans la tête ? Est-ce complètement dû au hasard ? Je n’en ai aucune idée.
Avec le Tour de France, c’est une histoire d’amour contrariée. Certes, c’est sur le Tour d’Italie où, j’imagine, il est allé plus loin que tout dans la douleur physique quand il a fini à l’hôpital en 2018. Mais en termes d’envies créées chez les gens et les amoureux du vélo, c’est sur le Tour de France que c’était le plus fort. Thibaut raconte qu’il avait peut-être très envie de le remporter, mais pas celle de devenir une star. Il a un côté atypique. Pas dans le monde du cyclisme spécialement, mais dans celui du sport de haut niveau. Est-ce qu’on est fait pour gagner le Tour ? Pas fait pour gagner le Tour ? Bernard Hinault et Eddy Merckx l’étaient. Après, on n’en sait rien. Sur le Giro, la différence c’est la pression, qui n’est évidemment pas la même pour un coureur français de talent. Je me rappelle avoir remarqué un jour son visage lors d’un départ d’étape. En quelle année était-ce ? Je ne me souviens pas. Une de celle où ça n’a pas marché. Son visage était incroyablement crispé.»
Julien Pinot, frère du cycliste et entraîneur à la Groupama-FDJ
«Il a toujours donné plus que ce que son corps pouvait»
«Pendant la traversée de Mélisey lors du contre-la-montre du Tour 2020, je n’étais plus en capacité de parler. Trop d’émotions. Notre village d’enfance, devant notre famille et tous ces visages que l’on connaissait. Thibaut était devant moi, je le suivais en voiture. Il y avait des fumigènes, c’était fou. Avec le recul, finir ce Tour de France avec sa blessure au dos [qu’il a contracté après une chute sur la première étape à Nice] était une grosse connerie. Derrière, il a mis un an et demi à s’en remettre. Mais le Tour s’achevait en passant dans Mélisey. Ce moment nous suivra toute notre vie. Thibaut a toujours donné plus que ce que son corps ne le pouvait. Je pense également à son abandon sur le Giro, en 2018. Il passe d’un podium virtuel d’un grand Tour à, cinq heures plus tard, être étendu dans une ambulance en perte de connaissance et en détresse respiratoire. Là aussi, j’étais dans une voiture, derrière. A suivre l’ambulance pendant 30 kilomètres et descendre un col sans savoir ce qui se passait dans le véhicule juste devant moi.
Je crois que les gens aiment Thibaut parce qu’il ne ment pas, il n’est pas dans le paraître. Contrairement à beaucoup de champions qui ont une image très lisse et qui semblent inatteignables, il est toujours resté simple. En quelque sorte, sa carrière se rapporte à notre quotidien. C’est la vie. Des hauts, des bas. Sauf que lui, les bas, il en parle et ne cherche pas à les masquer. Après quoi court-il ? Le plaisir. En montagne surtout. La rationalisation du cyclisme d’aujourd’hui, les chiffres et les calculs, ça ne lui correspond pas. Parfois, on lit que le vélo moins contrôlé des années 80 lui aurait davantage plu. C’est sûr, mais on sait aussi qu’il n’aurait pas pu exister à cette époque-là avec le dopage. La vie de coureur cycliste n’a jamais été son rêve. Enfin, ça l’était gamin, comme tout gamin. Les à-côtés et la popularité lui sont tombés dessus. On ne peut pas supprimer ça. Le fait que les gens s’identifient à lui, ça le dépasse. Dans notre sport, on cherche quand même un successeur à Bernard Hinault sur le Tour. Lui veut simplement être un homme normal. Vivre sur ses terres, avec personne pour l’embêter au quotidien.»
Lorenzo Germani, jeune coéquipier à la Groupama-FDJ et champion d’Italie sur route espoirs
«La passion de Thibaut m’inspire»
«La première fois que j’ai rencontré Thibaut Pinot, c’était en octobre pendant les entretiens d’équipe de la Groupama-FDJ. Je le croise dans les escaliers. Lui devant moi. Pour un jeune, c’est un peu incroyable. Je me suis présenté, il m’a répondu : “Moi, c’est Thibaut.” J’ai commencé à faire du vélo en 2011 ou 2012. L’une des premières courses que j’ai regardées à la télévision chez moi, c’est l’étape du Tour de France 2012 entre Belfort et Porrentruy, qu’il remporte. J’ai encore l’image de Marc Madiot [manager de l’équipe], qui hurle et frappe la porte de la voiture à côté de lui pour l’encourager. En italien, on dit la grinta. Il y a un mot en français ? C’est la force, le mordant que tu mets. Cette image-là, de Thibaut et Marc, je crois qu’elle a insufflé la grinta en moi. La passion de Thibaut m’inspire. Lors de l’initiation avec l’équipe, une sorte d’intronisation, on devait former une paire entre un vieux et un jeune. Je suis tombé avec lui. Je lui ai dit : “Quelle émotion.” [Il souffle.]»
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