Un pacte financier pour sauver le climat séduit d’Alain Juppé à Podemos Ce projet de traité, signé par 600 personnalités, prévoit notamment la création d’une banque européenne du climat et d’un fonds spécifique, totalisant 300 milliards d’euros par an.
Et si l’on pouvait résoudre la crise climatique tout en évitant une crise financière ? C’est ce double exploit que prétend réaliser le pacte finance-climat européen, qui vise à financer la transition écologique sur le territoire de l’Union mais aussi en Afrique. Ce projet de traité, publié mardi 19 février par un panel de personnalités de 12 pays, prévoit notamment la création d’une banque européenne du climat et d’un fonds spécifique, qui totaliseraient jusqu’à 300 milliards d’euros par an. Une proposition dont ses principaux promoteurs, l’ingénieur agronome et économiste Pierre Larrouturou et le climatologue Jean Jouzel, espèrent que les chefs d’Etats et de gouvernements se saisiront prochainement.
D’ores et déjà, le pacte finance-climat, porté par une communication efficace, affiche de prestigieux soutiens. Parmi les 600 personnalités qui militent pour son adoption, on croise toute l’étendue du spectre politique, depuis le maire de Bordeaux Alain Juppé (droite) jusqu’à celle de Madrid Manuela Carmena (Podemos), en passant par le président socialiste du gouvernement espagnol Pedro Sanchez.
En France, 241 députés de tous bords (hors Rassemblement national) ont signé le projet, dont 55 % des représentants de la majorité présidentielle. S’y ajoutent des anciens ministres (Nicolas Hulot ou Laurent Fabius), des climatologues (Hervé Le Treut, Robert Vautard), des chefs d’entreprises (la PDG de la Compagnie générale du Rhône Elisabeth Ayrault) ou encore le président de la Confédération européenne des syndicats Rudy de Leeuw. Et une ribambelle de jeunes, tels que les étudiants à l’origine des grèves scolaires pour le climat en France et en Belgique. Selon un sondage IFOP réalisé les 13 et 14 février, 72 % des Français se disent favorables au pacte.
« C’est maintenant »
« Dans tous les pays, une majorité de citoyens ont compris la gravité de la situation. Pourtant on se heurte à une falaise financière qui empêche la transition écologique », observe Pierre Larrouturou, qui porte son projet depuis 2012. A ses yeux, le constat est simple : « Nous n’avons jamais eu autant d’argent mais il va au mauvais endroit ». Il en veut pour preuve « les 2 600 milliards d’euros de liquidités créées par la Banque centrale européenne entre 2014 et 2017 et mises à disposition des banques ». « Seulement 11 % sont allées à l’économie réelle et 89 % sont restées sur les marchés financiers, ce qui alimente la spéculation », assure-t-il.
A l’inverse, les fonds manquent pour financer la transition écologique. Pour respecter ses objectifs en matière climatique, l’Union européenne devrait investir 1 115 milliards d’euros par an entre 2021 et 2030 dans les secteurs des transports, des logements, des services, de l’énergie et de l’industrie, comme l’a calculé un rapport de la cour des comptes européenne de 2017. « Si l’on veut maintenir une chance de rester sous les 2 °C de réchauffement climatique, c’est maintenant qu’il faut agir, et non en 2050 », complète Jean Jouzel.
Les deux experts proposent alors de réorienter une partie de la création monétaire vers l’écologie, au moyen de deux outils. Tout d’abord, une banque européenne du climat et de la biodiversité, qui serait une filiale de la Banque européenne d’investissement (BEI). Dotée de 4,5 milliards d’euros de capitaux propres au départ (une somme amenée à progresser), elle mettrait à disposition des pays, par un effet de levier, une enveloppe correspondant à 2 % de leur PIB. Soit environ 200 milliards d’euros (dont 45 milliards pour la France) chaque année et ce, pendant trois décennies.
Ces sommes permettraient de financer, sous la forme de prêts à taux zéro, l’isolation de bâtiments, le développement d’énergies renouvelables, le déploiement de transports propres ou la promotion de l’agroécologie et d’engager ces travaux sur le long terme.
Ensuite, un fonds européen climat et biodiversité allouerait, cette fois sous forme de dons, 100 milliards d’euros par an en faveur de la transition écologique en Europe, en Afrique et sur le pourtour méditerranéen. Il serait financé par un impôt sur les bénéfices des entreprises (autour de 5 %), hors PME et artisans. Son taux, ainsi que les bénéficiaires du fonds, seraient choisis par un Parlement de l’Union pour le climat et la biodiversité, une nouvelle structure démocratique.
« L’Union européenne ne représente que 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, mais ce plan est nécessaire car il peut entraîner d’autres pays, avance Jean Jouzel. L’intérêt, au-delà d’être climatique, est économique : prendre le leadership de la transition écologique. » Ces financements permettraient ainsi de créer jusqu’à 900 000 emplois d’ici à 2050 en France, selon les calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, et, par extrapolation, près de 6 millions dans l’Union européenne.
Points qui fâchent
« Avoir une nouvelle enveloppe financière pour les projets verts est nécessaire mais pas suffisant : il faut également des signaux économiques – réglementations, incitations fiscales, prix du carbone – pour réorienter les autres investissements qui continuent d’aller dans les projets marron », indique Hadrien Hainaut, chargé du Panorama des financements climat à l’Institute for Climate Economics.
Fin novembre, deux rapports des ONG Oxfam et Les Amis de la Terre montraient que les banques françaises soutiennent toujours massivement les énergies fossiles, au détriment des renouvelables. Au niveau européen, la BEI a atteint 30 % de financements verts en 2018, mais elle continue également de financer le pétrole, le gaz et le charbon (11,8 milliards de prêts entre 2013 et 2017, selon l’ONG Bankwatch).
C’est là que réside la « principale faiblesse » du pacte finance-climat, selon Lucie Pinson, des Amis de la Terre – qui le soutient malgré tout. « Il refuse d’aborder les points qui fâchent – l’indispensable arrêt des financements aux énergies fossiles, avec les pertes d’emplois ou de clients que cela implique – et contribue à la tendance dangereuse à se consacrer uniquement à ce qui est plus consensuel – le financement des solutions où il n’y a que des gagnants », développe l’experte des finances privées.
« Le projet ne prétend pas tout régler et sera encore amendé », plaide Pierre Larrouturou. Les promoteurs du pacte lancent trois mois de débats publics avec des juristes, des banquiers ou des ONG, avant de l’envoyer aux chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE début juin. D’ici là, ils espèrent que le dossier sera sur la table des Etats membres lors d’un sommet européen consacré à l’avenir de l’Europe les 21 et 22 mars.
« Il n’y a pas forcément besoin d’un consensus : quelques Etats volontaires peuvent s’associer et mettre en œuvre notre projet », explique l’économiste, rappelant que le traité créant l’espace Schengen, en 1985, n’a été ratifié que par cinq pays à son origine, avant d’en compter 26 aujourd’hui. Dans ce cas, plutôt que d’un traité, le pacte finance-climat prendrait la forme juridique d’un accord intergouvernemental, qui devrait ensuite être ratifié par les Etats.
Volonté politique
Reste la question de la volonté politique pour porter ce projet. « Cet accord pourrait mettre du temps à voir le jour tant les dirigeants restent réticents sur les questions de fiscalité et notamment l’impôt sur les bénéfices des sociétés », juge Régis Vabres, professeur de droit à l’université de Bourgogne, spécialiste des questions financières et fiscales. Jean Jouzel, lui aussi, se dit « moins optimiste ». Tous deux en veulent pour preuve la taxe sur les transactions financières, un mécanisme de coopération renforcée entre huit Etats européens qui reste au point mort. Ou le moratoire sur la hausse de la taxe carbone en France en raison du mouvement des « gilets jaunes ».
« La création d’une filiale sur le climat n’est pas à l’ordre du jour mais nous sommes ouverts à toutes les idées », indique-t-on du côté de la BEI. Interrogé sur son soutien au pacte lors d’une audition devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, Miguel Arias Cañete, le commissaire européen pour le climat et l’énergie, a botté en touche. « Ce n’est pas gagné au niveau européen », confie Barbara Pompili, députée LRM, qui voit dans ce projet un « signal fort montrant que le climat est une priorité de nos politiques publiques ». Emmanuel Macron, interpellé par les promoteurs du pacte, ne s’est pas encore prononcé sur le sujet.
Audrey Garric
_________________ Tel est mon bon plaisir.
|