Molko a écrit:
Mais si la violence est une forme d'expression légitime, qu'est-ce qui empêchera "l'ennemi" de reprendre par la force ce qui lui aura été ôté par la force ?
Je ne cautionne pas la violence, mais la désobéissance civile, parce qu'elle est vitale. La raison pour laquelle je loue ce qui se passe actuellement, c'est qu'il faut radicalement changer de logiciel, en raison de l'urgence absolue de la situation. Le logiciel est mort, vive le logiciel ! Nous n'avons plus le temps de nous en remettre à un système qui cause notre perte, alors que nous sommes conscients de notre impuissance.
Un entretien à lire :
Corinne Morel Darleux : « Maintenant, il faut tout donner, tout tenter pour inverser le cours des choses »"L’urgence coïncide avec une forme de prise de conscience. On arrive à un moment où on peut inventer et construire des formes d’actions politiques nouvelles avec des réseaux nouveaux avec des alliances nouvelles et avec, je l’espère, des résultats inédits."
"Il me semble aussi que la galère, les situations difficiles socialement ou les perspectives effrayantes d’un point de vue climatique ne créent pas davantage de conscience politique, de solidarité, d’entraide, et de réflexes humanistes. Cela provoque du repli. Quand vos conditions d’existence sont un combat de tous les jours et que la première question que vous ayez à résoudre est de savoir quelle facture vous allez payer entre le loyer, la cantine ou les lunettes, cela ne laisse pas beaucoup de disponibilité d’esprit pour l’intérêt général, l’avenir de la planète."
"Beaucoup de personnes ne font pas le lien entre le dérèglement climatique ou l’extinction de la biodiversité et le système capitaliste, l’organisation de la production, et la politique.
Les médias dominants — ou dominés, c’est selon — traitent ces questions avec une espèce de confusion. Les reportages sur la taxation des carburants ne font pas le lien avec la disparition des services publics de proximité, ou des lignes de chemin de fer. On entend parler de réchauffement comme si c’était des épisodes météo, sans que ce soit relié avec l’organisation de la ville, de la vie."
"Mais on discute uniquement de la manière dont cela peut s’exprimer par le vote, par les élections et par un débouché partisan, institutionnel. Or aujourd’hui, le débouché naturel de cette inquiétude, de cette prise de conscience, ne va pas du côté des partis ni des élections. Il se reflète du côté de cette société civile dont jusqu’ici on avait du mal à voir ce qu’elle recouvrait. Aujourd’hui, il y a des mouvements, des réseaux, des résistances locales, des initiatives collectives qui ne font pas partie du système représentatif, qui ne se présentent pas au suffrage universel, mais qui permettent de proposer un débouché, soit en matière de résistance, soit en matière de constructions d’alternatives, soit en matière de désobéissance civile. C’est plus à cette aune-là qu’il faut mesurer la prise de conscience et sa traduction en acte, que dans les résultats électoraux."
"Je continue à croire à l’utilité des partis politiques et à l’importance d’avoir une forme de démocratie institutionnelle ; je continue à penser qu’un jour d’élection est peut-être le seul jour de l’année où la voix de chacun vaut la voix d’un autre.
Par contre, ce qui a changé, c’est que je l’ai vécu de l’intérieur. Et je continue à l’expérimenter au quotidien comme élue d’opposition dans une région présidée par Laurent Wauquiez [Auvergne-Rhône-Alpes], avec tout ce que ça implique en matière de frustrations, d’impuissance, tout ce que ça génère d’assister à des prises de décision et à des politiques qui laminent des cortèges entiers d’associations, de petits festivals, de réseaux, et qui apportent une régression environnementale énorme."
"Le temps nous étant compté, toute cette énergie dépensée à des stratégies électorales de conquête du pouvoir entre en contradiction, et presque en compétition, avec du temps consacré à l’action directe. Et quand je dis action directe, je pense au fait de planter des arbres, de remettre en culture des terres qui ne le sont pas aujourd’hui, mais également à des actions de blocage. Parce qu’on a tenté plein d’actions : pétitions, appels, tribunes, manifestations… Mais aujourd’hui, là aussi, on arrive aux limites de l’exercice. Je ne juge pas ceux qui continuent à militer dans des partis : cela reste respectable et nécessaire, ce sont des choix de modes d’action différents et complémentaires.
Finalement cette culture du nombre — où on part du principe qu’il faut qu’il y ait le plus de gens possible et que le rapport de force va être proportionnel au nombre de gens qu’on va arriver à impliquer dans une action — et en même temps cette culture de la demande, où on passe notre temps à nous adresser au préfet, à Laurent Wauquiez, à Emmanuel Macron, à François de Rugy ou à que sais-je, ont atteint leur limite. Il faut changer de braquet et passer à d’autres formes d’action."
"Dans tous les cas, la question des inégalités sociales et de la lutte des classes seront d’actualité. Aujourd’hui, face aux premières catastrophes climatiques, une oligarchie est en train de se mettre à l’abri, prépare des modes de vie adaptés, fait des réserves, construit des bunkers, des îles artificielles..."
"Au-delà, nous devons avoir une réflexion stratégique sur le fait de mener des actions « grand public » et des actions plus radicales. Les premières permettent d’avoir une sympathie du grand public — et pour l’avoir un peu testé, le fait de planter des arbres, il n’y a rien de plus populaire — et donc ensuite de mener des actions plus radicales. Elles auront d’autant plus de sens et de possibilité de faire bouger les choses qu’elles seront associées à d’autres actions, plus « faciles ».
Je m’inscris totalement dans ce qui a été fait à Notre-Dame-des-Landes ou à Bure, mais ça ne peut pas se généraliser du fait de leur contexte particulier. Les vecteurs de généralisation se trouvent du côté d’Alternatiba, d’Attac, de Bizi !, des organisations qui mènent des actions de désobéissance civile. Le blocage du sommet pétrolier à Pau début 2016, mais également les actions contre Apple, contre les banques, les fauchages de chaises, les peintures sur les vitrines. Et j’espère qu’on va arriver à un stade de maturité, de conscience du grand public, où on pourra aller plus loin, y compris en matière de redistribution directe."