Fortin : « Je leur laisse un plus joli bébé »SM Caen. Muet la semaine passée, Jean-François Fortin sort de sa réserve. Toujours actionnaire, il revient sur ses adieux, les raisons de son éviction ou le projet de la nouvelle direction. Avec assurance et amertume.Comment avez-vous vécu l'hommage reçu à d'Ornano ?Cet hommage, c'est la confirmation, à mes yeux, que mon bilan est bon. Avec les supporters, on a pu ne pas être d'accord sur certains sujets, notamment quand je leur ai expliqué que je souhaitais conserver Patrice Garande, en fin de saison dernière. Je ne prétends pas être aimé par tout le monde. Mais ce qui m'intéresse, c'est le ressenti des gens qui aiment le Stade Malherbe. Ça, c'est ma satisfaction personnelle.
Restez-vous au SM Caen, en tant que simple actionnaire ?Pour le moment, oui.
C'est ce qu'indique l'inscription « Campagne de France » sur le nouveau maillot...Vis-à-vis de l'équipementier, il fallait s'y prendre six mois avant. À l'époque, rien ne faisait barrage à la conclusion de ce dossier. Pendant une longue période, il n'y avait rien... J'ai entendu mes collègues dire qu'ils étaient contents de mes saisons, que le bilan était plutôt positif. Et ce jusqu'à la veille de me virer...
Ne pas avoir choisi votre sortie, c'est ce qui fait le plus mal ?Moi, ce que je voulais demain, c'est partir sur la ligne de départ avec la probabilité d'être 10e, plutôt que 17e. Au vu de la fidélité des supporters, le SM Caen méritait mieux à mes yeux. Si vous restez sur le budget actuel pendant dix ans, votre ambition reste de ne pas dégringoler. Et sur dix ans, c'est long... En faisant passer le club à un niveau supérieur, j'avais le sentiment de remplir au mieux ma mission, et je pensais avoir trouvé la personne pour apporter ça (Pierre-Antoine Capton). Ça n'a pas été vu comme ça, je respecte. Compte tenu de mon âge (71 ans), je voulais aboutir à ce projet et imaginer rapidement un départ réfléchi. Je me donnais deux ans maximum, le temps de préparer le terrain pour mon successeur...
En 2013, vous disiez justement dans nos colonnes : « Guy Chambily m'avait préparé à prendre sa suite. Je fais de même avec Gilles Sergent et Michel Besneville »...Parce qu'il y avait une certaine connivence, qui n'est plus. Quand les relations étaient bonnes, quoi de plus naturel que de penser à eux ?
Vous avez déclaré que le processus était « démocratique, mais illégal ». En quoi ?Je confirme, mais j'ai trop de respect envers le SM Caen pour m'étendre sur le sujet. J'ai prévu de communiquer prochainement (de façon officielle), mais je ne le ferai pas tant qu'il y a une certaine fragilité au club.
Vous avez nommé et conservé jusqu'au bout Patrice Garande et Xavier Gravelaine. Avez-vous payé ce fonctionnement et cette fidélité à toute épreuve ?J'ai cet affect avec ces gens-là. Mais s'ils sont restés au club, c'est parce qu'en tant que président, je considérais qu'ils étaient compétents. S'ils m'avaient fait la moindre entourloupe, je les aurais balancés. Et Patrice comme Xavier savaient que j'étais comme ça. Mais on ne casse pas des mecs par plaisir. Le temps de ma présidence, je ne me suis séparé que d'un homme (Patrick Rémy en 2005), pour des raisons extra-sportives.
Le bilan sportif est inattaquable, mais on a pu vous reprocher de prolonger Patrice Garande une année de plus...Moi, je savais que ce n'était pas un tricheur. C'était le plus important à mes yeux : son honnêteté vis-à-vis du Stade Malherbe. Et je souhaite au SM Caen de recruter des gens qui ont cette fibre. J'ai connu son père, je savais l'éducation qu'il avait reçue, dans un milieu ouvrier. Comme il avait quelques qualités footballistiques, son papa lui avait dit de travailler tous les matins pour ne pas être sur les chantiers à l'avenir. Patrice n'a jamais oublié d'où il venait. En tant que coach, dans sa relation avec certains joueurs, il a sans doute eu quelques problèmes pour cette raison. Il ne supportait pas de voir des gens qui avaient la chance de faire ce métier et qui ne faisaient pas tout ce qu'il fallait. Cela a entraîné quelques colères mal appréciées.
Et quid de Xavier Gravelaine, dont la personnalité était au coeur des dissenssions...C'est un point de désaccord que j'ai eu avec eux. J'ai recruté Xavier Gravelaine parce que j'avais d'excellents rapports avec lui. Mais je l'ai aussi fait parce que j'ai décelé un potentiel chez lui. Que les nouveaux dirigeants n'aiment pas Xavier Gravelaine, je respecte cela. Pour autant, dans l'intérêt du club, quand une personne présente un bilan positif, je la garde. C'était mon cas avec lui.
En premier lieu, vous gardez quoi de ces 18 ans de présidence ?Le SM Caen doit répondre à certaines missions, en premier lieu celle d'offrir du bonheur aux gens. À d'Ornano, ça ne dure qu'1 h 30 ou 2 heures, mais leur permettre d'évacuer un peu toutes les merdes qu'ils peuvent avoir, c'était une satisfaction pour moi. Mon souci, c'était d'être président, pas d'être reconnu dans la cité, de faire le beau ou de manger dans le restaurant à la mode. Je n'ai fait que mon boulot, je n'étais pas un amoureux des grandes déclarations. Ni un très bon client pour la presse.
Que pensez-vous du projet de la nouvelle équipe dirigeante ?Gilles Sergent a dit qu'il voulait atteindre 40 millions d'€ de budget d'ici cinq ans. Je pense que ce n'est pas trop ambitieux... Notamment au vu de certaines recettes supplémentaires évidentes, comme la vente probable de Lemar, qui ne sera pas inodore pour Caen, et l'augmentation des droits télés en raison d'une 5e saison de suite en Ligue 1. Les capitaux propres ont également été multipliés par quatre du temps de ma présidence. On a aussi lancé pas mal de projets qui font du Stade Malherbe un vrai club de Ligue 1.
La mariée est belle au moment de changer de bras ?Je leur laisse un bébé plus joli que celui que j'ai connu à mon arrivée. Il leur reste à constituer une nouvelle équipe. Monsieur Le Graët (président de la Fédération française) m'a téléphoné, la présidente de la LFP et le président de la DNCG aussi. Ils m'ont dit : « Ce n'est pas vrai ? Comment peuvent-ils te faire ça au vu de la santé du club ? » Je n'ai pas été président-bénévole pendant 16 ans sans aimer ce club. Et j'ai toujours cet amour pour le Stade Malherbe. Je sais que ceux qui me remplacent ont une tâche difficile. Attendons cela... Tout ce qui vient de se passer au club a sans doute entamé la sérénité des joueurs, déjà à Caen ou en dehors, et des entraîneurs appelés à réfléchir à un éventuel avenir ici. Ça risque de ne pas être simple.