Interview dans Ouest-France de Jérémy Sorbon qui a mis un terme à sa longue carrière.
Jérémy, quand avez-vous pris la décision de mettre un terme à votre carrière ?
C’est récent, c’est venu d’une discussion avec le président (Fred Le Grand). Ça n’a pas été une décision si difficile à prendre, parce que ça fait 18 ans que je joue. Ces derniers temps, j’apportais autre chose à l’équipe. Même si je jouais encore beaucoup, mais j’étais surtout là pour épauler les plus jeunes. Pour essayer de les amener le plus haut, les faire progresser.
Malgré tout avez-vous envisagé de prolonger ?
Oui. Parce que je ne voulais pas terminer sur le bilan de ces deux dernières saisons. Je me suis vraiment posé la question. Évidemment, j’aurais préféré arrêter sur une note positive, devant nos supporters. Mais, c’est comme ça. Avec le président, on a trouvé une alternative qui me permet de rester au contact de l’équipe, d’aider le club. Je vais devenir coordinateur sportif, je servirai de relais entre l’équipe professionnelle et le centre de formation.
Après toutes ces années, la reprise de l’entraînement ne vous a-t-elle pas manqué ?
Pour l’instant, non. Sans doute parce que j’ai repris une autre mission. Ça m’évite de rester à la maison, de gamberger. Je n’ai pas le temps d’y penser car j’ai plein de trucs à faire. Peut-être que lors du premier match au stade, ça va me faire drôle. Ou le simple fait que je ne puisse pas m’entraîner. Actuellement, je suis en mode cool, mais ça me démange de ne pas aller courir avec eux. «Un escalope normande»
Est-ce que vous seriez tenté d’embrasser une carrière d’entraîneur par la suite ?
Jamais de la vie. J’ai trop de respect pour ce métier et pour ceux qui l’exercent. Mais je ne suis pas fait pour ça. Gérer 25-30 joueurs, avec des forts caractères, des ego, je ne peux pas. Autant je pense pouvoir apporter des choses, mais pas en tant que numéro 1. C’est un métier compliqué. Il ne faut pas avoir d’état d’âme.
Comment arrive-t-on à faire durer une carrière jusqu’à 38 ans ?
Ce sont des années avec une hygiène irréprochable, sans boire, sans sortir. Se coucher tôt, manger sainement. Je n’ai jamais été fan de burger. Le truc le plus gras que je peux manger, c’est une escalope normande avec de la crème. Maintenant, je pourrais faire des écarts, mais je n’ai tellement pas l’habitude que ça ne me donne pas envie.
Pensez-vous qu’il est encore possible de pousser une carrière jusqu’à 38 ans ?
Avoir une telle longévité, oui, ça me semble possible. Parce que les joueurs sont mieux suivis. Il y a plus de moyens, plus de kinés, plus de docs. Des efforts ont été réalisés sur les surfaces d’entraînement. En général, les terrains sont bons toute l’année. On n’a pas besoin de mettre des crampons vissés pour ne pas glisser. Et que dire de tous les moyens à côté, les bains froids, les jacuzzis, les saunas, les hammams. On a des bottes de récupération, on a tout à notre disposition. Thuram, El-Arabi, Nivet
Compte tenu des intérêts financiers, est-ce que l’argent n’a pas modifié les rapports au sein du vestiaire ?
Pas du tout. On est plutôt content quand un joueur est transféré. Un gars comme Marcus Thuram, on a tout fait pour qu’il soit bien et qu’il progresse. C’est une fierté, pour moi, de l’avoir accompagné le plus possible. Il peut arriver qu’il y ait de la jalousie, c’est sûr, dans le foot, comme dans la vie en général. Mais, ce n’est pas dans ma nature.
Selon vous, quelle qualité vous a permis de réaliser cette carrière ?
Je ne suis pas très grand, je ne suis pas le plus talentueux. Je pense que ma blessure aux ligaments croisés en début de carrière m’a permis de devenir professionnel. Avant je n’avais pas les mêmes qualités. Je jouais tout sur ma vitesse et ma puissance. Et uniquement ça. Ensuite, j’ai travaillé la simplicité dans le jeu, l’intelligence dans le placement. J’ai compensé avec d’autres choses.
Avec le recul quels sont les moments les plus marquants de votre carrière ?
Il y en a plusieurs. Mais je pense que la Coupe de France (2014) a été un moment important. C’était la première finale que je remportais un tel trophée. J’en avais connu une avant avec Caen contre Strasbourg. Mais, globalement, tout notre parcours jusqu’à la victoire a marqué les esprits. Notamment, la demi-finale contre la grosse équipe de Monaco au Roudourou. En finale, contre Rennes, on avait réalisé un super match. On était prêt.
Quel est l’équipier qui vous a le plus impressionné ?
Marcus Thuram, ou Youssef El-Arabi, vraiment forts individuellement. Benjamin Nivet m’a également marqué. Il n’avait pas forcément le talent de Marcus Thuram, mais il était complet. Il avait tout. Un monstre de technique, de simplicité, une vision du jeu incroyable.
Et l’adversaire qui vous a posé le plus de problèmes ?
Steve Savidan ! Je ne vais pas parler d’Ibrahimovic, Cavani, Mbappé ou Neymar, ces joueurs, on les connaît, on sait de quoi ils sont capables. Savidan était horrible à jouer. Il était imprévisible, même lui ne devait pas toujours savoir ce qu’il allait faire. Il était déroutant pour ça. Il courait partout, il avait envie tout le temps, il faisait des pressings tout-terrain. Il ne vous lâchait pas. Il était capable de créer des choses à l’instinct.
Avec quel entraîneur avez-vous préféré travailler ?
Jocelyn Gourvennec ! J’en ai connu beaucoup : Patrick Remy, Franck Dumas, Patrice Garande, Antoine Kombouaré, Patrice Lair, Sylvain Didot, Mécha Bazdarevic, Fred Bompard. Coach Gourvennec, pour tout ce qu’il m’a apporté sur et en dehors du terrain. Il m’a surtout appris l’exigence dans le travail.
Y a-t-il des choses que vous regrettez dans votre carrière ?
Non, je ne changerais rien. J’ai connu des choses incroyables. Je suis heureux et fier de la carrière que j’ai eue. On ne sait pas ce qui se serait produit si j’avais fait un autre choix. J’ai eu des propositions quand j’étais à Caen. Notamment à l’issue de la saison 2007-2008, où j’avais réalisé une très grosse saison. J’avais eu pas mal de demandes, notamment de Rennes qui jouait le haut de tableau à cette époque. Mais je ne suis pas parti. Je l’ai regretté la saison d’après, notamment parce que l’on était descendu.
En 22 ans de carrière, vous n’avez connu que deux clubs, Caen et Guingamp. Cette fidélité est rare, est-ce une marque de votre tempérament ?
C’est quelque chose dont je suis fier. J’ai vécu de belles choses à Caen, avec de belles personnes. Et je vis toujours de belles choses, ici, avec Guingamp. Je suis content d’être fidèle pour ça.
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