SM Caen : Jean-François Fortin, un roman malherbisteLundi soir, après l'assemblée générale des actionnaires majoritaires du SM Caen, Jean-François Fortin a lui-même considéré comme « probable » la perte de la présidence. Elle devrait être effective jeudi, après l'AG de la société du club (SASP). Cruel mais inéluctable épilogue, après 25 ans d’une aventure haute en couleurs dont voici le récit.
Au départ, il achetait des camions à Guy Chambily :
L’histoire de Jean-François Fortin avec le SM Caen est un pan de vie. Elle remonte à 25 ans. Elle avait démarré comme simple actionnaire, coopté par Guy Chambily. L’ancien président avait revendu certaines de ses parts à ce modeste joueur amateur dans sa jeunesse deux-sévrienne, devenu valognais d’adoption.
Installé en Normandie depuis 1977, Fortin était devenu un entrepreneur à succès. L’homme qui transforma cinq petites coopératives manchoises en un puissant empire, les Maîtres Laitiers du Cotentin. « En 1993, on achetait des camions à Guy Chambily, dont le métier était concessionnaire, nous racontait Jean-François Fortin en 2013, à l’occasion du centenaire du SM Caen. Jacques Tiphagne, alors directeur commercial, avait fait remarquer à Guy que j’aimais le football. Je suis entré au Stade Malherbe par ce biais-là. J’étais curieux de connaître la gestion d’un club professionnel. »
L’histoire bégaye parfois de manière surprenante. La première vie de Fortin président dura deux ans. Elle démarra en 1996, l’année de la remontée en D1, sous l’effet d’une crise de gouvernance d’une violence finalement comparable à celle d’aujourd’hui.
Michel Ade devait prendre la présidence, mais il avait démissionné. Serge Viard quittait le poste. Fortin avait été poussé sur le devant de la scène par Chambily. Il avait été évincé deux ans plus tard au profit de Jean Pingeon, sous la pression de l’association.
20 ans après, de nouveaux jeux d’influences sont sur le point d’avoir raison du président de L1 en exercice qui affiche le record de longévité, derrière Jean-Michel Aulas et Olivier Sadran, les boss de Lyon et Toulouse.
Fortin, 71 ans, était revenu à la présidence en 2002. Derrière Chambily, encore, qui avait décidé de claquer la porte. « Je n’ai pas le même tempérament que Guy, confiait Fortin il y a cinq ans. Je ne prendrai jamais une décision avec une telle brutalité. J’ai été plusieurs fois fatigué, mais l’entité la plus importante reste le club. Chambily m’avait préparé à prendre sa suite. Je fais de même avec Gilles Sergent et Michel Besneville… »
On ne quitte pas son enfant :
Malherbe, c’est le 3e enfant de Jean-François Fortin. S’en détacher lui a toujours paru impossible, au fond.
Au début des années 2000, Caen vivotait en L2, presque anonyme. Il est l’homme de la reconstruction globale. D’un nouveau cap structurel franchi à travers le « projet 2015-2020 » dont il fut l’instigateur, pas encore terminé mais dont l’avancée est significative au stade d’Ornano, au centre de formation, sur les terrains de Venoix.
Il s’est toujours affiché en défenseur d’une gestion financière ultra-raisonnée, pour un club dont les fonds propres ont franchi la barre des 10 millions d’euros. « Maintenant que la mariée est belle, ils veulent partir avec », tonnaient en février certains proches du président, au sujet des actionnaires dissidents.
Jean-François Fortin a vécu 4 montées en L1, trois descentes en L2. Malherbe étale encore ses fragilités, déséquilibré notamment cette saison par un recrutement offensif raté. Mais le club peut toujours espérer vivre une 5e saison consécutive parmi l’élite. Ce serait du jamais vu depuis le début des années 90.
Quand l’histoire dérape :
Tout a donc fini par se gâter. Lâché par ses anciens amis actionnaires qui lui reprochent un exercice du pouvoir trop « personnel », en tout cas pas suffisamment concerté à leur goût au sein du directoire, Jean-François Fortin paye plusieurs paradoxes. Et finalement quelques amitiés indéfectibles, jugées par certains quasi aveugles, lui qui a érigé la fidélité en vertu cardinale.
On se souvient du crève-cœur que fut pour Fortin le limogeage de Franck Dumas en 2012, sous la pression des actionnaires, alors que les supporters réclamaient alors aussi le départ du président. La descente en L2 venait d’être consommée. Cela avait été l’année de trop pour Dumas, jugeait-on.
L’été dernier, au sortir d’une saison harassante terminée par un maintien miraculeux, alors que flottait déjà l’odeur d’une fin de cycle, Fortin fut quasiment le seul aussi à défendre le maintien de Patrice Garande au poste d’entraîneur. Considérant la situation sportive actuelle et l’état de l’équipe en ce mois de mai, certains ne se privent plus pour évoquer une nouvelle erreur.
Mais Fortin semble surtout « payer » aujourd’hui Xavier Gravelaine. Il avait pris seul (ou presque) l’initiative de le nommer directeur général du SMC à l’été 2014, et l’avait notamment chargé de chapeauter la mise en œuvre du « projet 2020 ». Il lui a toujours voué une confiance totale.
Gravelaine a apporté sa pierre à l’édifice, et s’est montré plutôt interventionniste dans la politique de recrutement. Mais son personnage clivant, son management très direct, sans concession, ont fait grincer des dents. Notamment celles des actionnaires, avec qui la tension a toujours été vive, qui ne l’ont jamais considéré à la bonne place.
Depuis 2014, un homme différent :
Survenue à l’automne 2014, l’affaire des matches de L2 présumés truqués a laissé des traces en interne, mais d’abord et surtout sur Fortin, qui n’est plus tout à fait le même.
On ne sort pas indemne de 48 h de garde à vue, ni d’une mise en examen qui dure encore. Fortin a été innocenté par la justice sportive il y a trois ans, mais comparaîtra début juin devant le tribunal correctionnel de Paris.
Il y pense, forcément. Comme il doit songer au match de Malherbe face au PSG, samedi à d’Ornano. Le club va y jouer une partie de son avenir sportif. Le MNK pourrait ressortir les chants en son honneur, voire quelques banderoles. Mais l’enjeu devra surpasser toutes les querelles partisanes et les conflits de gouvernance.
Fortin devrait regarder tout ça, fébrilement, dans une autre peau que celle du président, pour la première fois depuis 16 ans.
La sortie qui se profile est ratée. Inéluctable quelque part, vu le fossé qui s’est creusé avec les autres administrateurs du club. Elle est cruelle, forcément, pas à la hauteur de ce qu’il a été pour le Stade Malherbe, de ce qu’il aurait espéré. Le roman malherbiste, lui, va continuer.