Autrefois, Tony Vairelles a été un attaquant costaud, doué et affamé. Il pourchassait les ballons dans tous les coins, arborait une nuque longue, lisait Pierre Bellemare et s’habillait comme ceux qui paient pour le voir jouer – tricots simples, chaussures qui ne brillent pas, vestes qui se chineraient dans une bonne brocante. En 1999, Téléfoot est allé le voir, à Lens, où il a laissé son empreinte la plus belle. Il a 25 ans, vit avec ses parents sans s’imaginer ailleurs, fait de la guitare devant son chien, s’illumine comme un lycéen romantique quand on lui parle de filles. Comment ne pas aimer un type semant l’impression d’aimer tout le monde ? Sa réputation est faite, et lui la polit : ce Lorrain bienheureux s’est peut-être gouré d’époque, mais il transpire de bonnes valeurs du passé, comme la sacralisation des anciens. Il signera un contrat confortable à Lyon, côtoiera huit fois l’équipe de France et échouera à la fin de sa carrière au FC Gueugnon, qu’il tente de racheter en famille en 2009. Ça foire dans toutes les largeurs. Les Vairelles dénoncent une vilaine arnaque, leurs détracteurs en Saône-et-Loire un clan gourmand. Tony Vairelles, 49 ans aujourd’hui, fils d’ouvrier, de HLM et fervent croyant, dit: «Vous avez vu, je n’ai que le foot et ma famille.» «Comme un cow-boy dans un western»
Le 23 octobre 2011 lui redonne une place en grand sur les écrans. Une fusillade nocturne éclate sur le parking d’une boîte de nuit, les 4 As, pas loin de sa maison, en périphérie de Nancy. Bagarre, grabuge et sang. Le nuage des gazeuses déversées par le quatuor de vigiles se dissipe. La BAC arrive. Trois des portiers sont touchés, un grièvement. Ils désignent leurs agresseurs: deux «jeunes alcoolisés» qu’ils ont expulsés, rejoints par un duo aux «cheveux milongs» et blouson «en cuir». Sur l’asphalte, point de douilles mais un médaillon du Christ arraché dans la mêlée. Dans la foulée, la police alpague quatre des frères Vairelles et auditionne le père. Tony, accusé d’avoir ouvert le feu, passe cinq mois au placard. Sa réputation s’étoffe d’un astérisque : au fait, le gentil buteur a des racines gitanes, lesquelles pourraient expliquer bien des choses – le revolver facile, le sang qui bout, la vengeance comme religion.
Mi-mai, l’ex-international a été condamné à trois ans de prison au terme de son procès, maintes fois reporté, qui s’est tenu en mars à Nancy. Il vient de faire appel. Balles au centre, son livre, paru jeudi chez Hugo Sport, se situe entre la plaidoirie de la dernière chance et l’autopsie touchante de sa vie de famille, «le FC Vairelles», essorée par une procédure étalée sur une décennie et rapiécée par quatre juges d’instruction. Au point que le dernier, pour débloquer le dossier, a épargné les assises à la fratrie, transformant le chef d’accusation de «tentative d’assassinat» en «violences volontaires, en réunion, avec usage d’une arme et préméditation».
Dans le réquisitoire de renvoi en correctionnelle, ce tour de passe-passe est justifié par une belle formule latine: l’animus necandi (la volonté de donner la mort) n’est pas établi. La vérité de Tony Vairelles, elle, est simple: jamais il ne s’est trouvé avec un flingue dans la main «comme un cow-boy dans un western». On l’a croisé soixante-quinze minutes chez son éditeur, à Paris. Le bonhomme blond, aux intonations et sourires enfantins, dit «Papa», «Maman» et «Tata Annie», entre deux raisonnements censés, tout de go, prouver son innocence. La nuque est courte, le corps noueux, loin des pectoraux bombés et ornés d’un crucifix en couverture du bouquin. Explication bodybuildée : «On a pris la photo à ma sortie de prison, où on m’avait expliqué comment muscler le haut – quand j’étais joueur, je faisais que les jambes…»
Souvent, il met sa carrière d’attaquant réglo, avec les coéquipiers, les adversaires, les arbitres, comme gage – un type comme ça ne pourrait tirer sur personne. «C’est comme quand je prends un carton rouge à Wembley [lors d’un match ArsenalLens, ndlr] alors que j’ai rien fait. Je ne hurle pas, je rentre au vestiaire, parce que j’imagine que la justice fera son travail.» Le soupçon à son égard, tant que la justice le renifle, peut néanmoins se ranger derrière un argument valide: qui a dit qu’un gars bien, ou considéré comme tel, ne pouvait être coupable ?
Lors du procès, la présidente lui a demandé sa profession. Il y a perçu un reproche, sa grande idée de Star Ac du foot restant à l’état de projet mort-né de télé-réalité tant que l’épée de Damoclès judiciaire pendouille au-dessus de sa tête: «Dix ans que je travaille pas, à cause de l’affaire… Ma vie est en sursis. Quelque chose s’est brisé.» Il ne pensait pas mériter une biographie, mais il fallait vider ses sacs. Elle le condamne à se projeter, encore et encore, aux 4 As, dont les retombées ont esquinté quelque temps Guydjo, son fils aîné, minot à l’époque. Le petit prend du poids et se recroqueville pendant les cinq mois de détention. Un jour, il disparaît de la maison. Sa mère le retrouve un peu plus loin, sur une colline, avec gâteaux, lampe et boussole. «Je vais délivrer Papa.»
Banane des Forbans et moustache crayon
A la barre, les habitués de la discothèque ont souligné la réputation poisseuse de l’endroit, avec une clientèle du genre à nécessiter l’embauche de gros bras comme les Di Napoli. Trois frères allemands d’origine sicilienne, craints dans la région pour leur «main leste», avec plaintes afférentes, qui bossent à la mine ou l’usine de l’autre côté de la frontière (la semaine) et déchaussent les molaires des fauteurs de troubles à la matraque télescopique (le week-end). Ils sont épaulés par un quatrième golgoth d’outre-Rhin, un certain Peter Gerdum, natif de Pologne. Les Di Napoli tendent un miroir inversé aux Vairelles : un clan d’orphelins soudé par un monde âpre, leur père tombé sous les balles dans leur enfance.
Le 22 octobre 2011 au soir, les Vairelles sont réunis autour de Guy, flamboyant pater familias d’une fille et six garçons, avec banane des Forbans et moustache crayon. «Notre Don Diego de la Vega, respecté et respectable», résume Tony. Guy, avec lequel l’attaquant entretient «une relation fusionnelle», est son modèle et fut son agent. Ironie : pour arrondir ses fins de mois, celui-ci fut videur dans la région. La famille, aux origines gitanes par la mère, célèbre l’anniversaire de la femme de Jimmy, l’un des frangins. A l’issue du dîner, il embarque le petit dernier, Giovan, bientôt 20 ans, pour une virée en boîte.
Dans la «salle années 80», Jimmy remue avec une bouteille. D’un geste, Carlo Di Napoli lui fait comprendre qu’on ne peut «consommer et danser» en même temps. Jimmy remarque, narquois, qu’un trio se dandine verre à la main. Voilà la genèse du pandémonium à venir. La suite est floue, repeinte en dizaine de couches, au fil des années, d’auditions changeantes en silences familiaux. Jimmy est roué de coups au sol par deux des Di Napoli et leur comparse Gerdum – et c’est une des seules certitudes de ce dossier. Giovan rue dans le tas et finit «savaté» (dixit un fêtard témoin), en position foetale. Les deux cadets des Vairelles sont jetés en vrac sur le parking, la tête en sang, une chaussure et les clés de voiture en moins. Les portiers croient entendre «on va revenir».
Vers 3 heures du matin, Tony Vairelles est tiré du lit par quatre appels de Giovan. L’ex-joueur demande à sa femme où est rangé le nerf de boeuf et déboule. Videurs et témoins parlent aussi d’une Laguna bleue, avec un quinqua «à l’air gitan», «cheveux en arrière» et «moustache de Zorro». Guy Vairelles ? Jamais mis en cause formellement, le fantôme du patriarche a plané au-dessus des audiences. Tony Vairelles l’innocente, forcément, mais le raconte prêt à se sacrifier, avant son décès (quelques semaines avant le procès), pour porter le chapeau et protéger ses gamins. Après un conciliabule familial (à quatre? à cinq?) sur le parking du Jardiland voisin, on bascule dans un truc à la O.K. Corral, face au camion à frites déserté. Coups de matraques dans un nuage de gaz, jets de barrière. Et des tirs. Carlo Di Napoli prend une balle qui se loge contre ses lombaires, et le handicape encore lourdement aujourd’hui. Son frère Baldassare est touché à la main, Gerdum à la cuisse. A la barre, question simple : «Qui vous a tiré dessus ?» Réponse unanime : «C’est Tony Vairelles.»
Face à nous, l’ex-attaquant réclame de la logique : «J’aurais ramassé une arme dans le noir après m’être fait passer la tête à la gazeuse?» Aucune arme n’a été retrouvée. Un expert a estimé qu’un vieux revolver Nagant serait l’arme du crime, un pétard antédiluvien fabriqué en Belgique et apprécié de l’Armée rouge. Rien à voir avec le 22 long rifle retrouvé chez Tony Vairelles, à côté d’une boîte de cartouches inentamée. Devant les enquêteurs, son épouse Audrey est la seule à avoir desserré les dents : «Tony, avec une arme à feu, non… Une matraque ou un couteau, peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut pas toucher à sa famille.» Les tests de poudre, trop tardifs et approximatifs, n’ont rien permis de conclure, même si des résidus ont été détectés sur quelques fringues. Il y a aussi le système de vidéosurveillance de la discothèque. Dans le magnétoscope, au lieu d’images de la soirée, une cassette qui contient… un concert des Enfoirés. Dans son livre, l’ex-joueur écrit : «C’est comme si un arbitre de football, au moment d’utiliser le VAR avec beaucoup de retard, voyait défiler les images du vieux film de Jean-Pierre Mocky A mort l’arbitre !» Une autre forme de logique a poussé les magistrats : si ce n’est pas les Vairelles, qui ? Alors, du ferme pour tout le monde. Justice «au doigt mouillé», s’est indigné l’avocat de la famille, Frédéric Berna, ténor local. Les videurs, eux, ont écopé de sursis pour la violence de leur furieuse intervention initiale.
Cinq mois de prison, et c’est le fil de sa biographie, ont bousillé le «FC Vairelles», qui a toujours tout géré en vase clos, des primes négociées avec les clubs aux courriers de fans. Quand il est libéré en mars 2012, Tony perd momentanément sa virilité (ses cordes vocales sont touchées, il a une voix d’enfant, à cause du «traumatisme»), démarche Patrick Bruel pour se lancer dans le slam, s’enferme des jours chez lui et récupère sa famille en confettis. Les malentendus et les non-dits ont tout grignoté. Il pense alors que demander Audrey en mariage, mère de ses deux enfants, peut ranimer la magie.
Quitter le cocon et éviter l’asphyxie
La cérémonie est gâchée par des règlements de compte familiaux à haute voix et des piques de convives. «Des gitans m’ont évité des embrouilles en prison. Il y a de bons côtés dans cette culture, notamment dans l’amour de la famille, et d’autres moins bons. A mon mariage, j’en ai invité, ce sont mes racines : ils n’ont fait que critiquer, ils trouvaient le mariage trop modeste.» Un proche loue une limousine, ce qu’il ne voulait surtout pas. «Ça devait être simple.» Sa mère lui enverra un message vocal d’une rudesse impitoyable à l’endroit d’Audrey. Il l’écoute en voiture, incapable de déconnecter le portable de l’autoradio. Elle est à côté de lui. Elle entend tout. Lui qui n’a jamais quitté le cocon décide de s’installer à Bordeaux pour éviter l’asphyxie. Les réconciliations prennent du temps. «Je tente de mettre ma vie en ordre.» L’homme, qui se targue d’avoir bien placé son argent dans la pierre, prévoit ainsi que s’il doit retourner en prison, il tiendra mieux à l’oeil ses locataires qui ne payaient plus pendant sa détention.
Autrefois, le footballeur a correspondu avec un homme d’Eglise fan du RC Lens. Qui l’a conforté dans sa foi, héritée de sa grand-mère, et sa conception du destin. Il jure que celui-ci a déjà tourné en sa faveur. «Il y a longtemps, on passait des vacances à la mer. J’ai plongé sous un bateau. Je suis passé à ça des hélices.» Le «ça» aurait pu lui trancher ses jambes et sa carrière. De là, il dit qu’il ne regrette rien et que si c’était à refaire, il aurait agi exactement pareil sur le parking des 4 As.
_________________ Tel est mon bon plaisir.
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