Vous avez remporté votre troisième et dernier Tour en 1990. L'année suivante, vous finissiez 7e, loin derrière l'Espagnol Miguel Indurain. L'EPO circulait-elle déjà dans le peloton?
Avec le recul, je pense que tout a basculé cette année-là. (...) de toute ma carrière, je n'avais jamais connu une forme pareille. A quelques jours du départ de l'épreuve, j'ai effectué le même test d'entraînement que lors de mes précédentes victoires: deux heures et demie derrière derny. Je n'avais jamais dépassé 80 kilomètres-heure de moyenne, mais, là, j'ai roulé à 85 kilomètres-heure, avec le coe; ur à 180 pulsations par minute! Le premier jour du Tour, j'ai terminé 2e du prologue et j'ai appelé ma femme: «Kathy, prépare le champagne! Je n'ai aucun concurrent...» (...) ça s'est gâté, du côté de Reims, le cinquième jour. Habituellement, pour éviter les chutes, ma place était dans les dix premiers du peloton. Mais, là, j'avais vraiment du mal à me maintenir en tête. Les types roulaient comme des motos!
Vous ne compreniez pas ce qui se passait?
Non, c'est plus tard que j'ai compris. Des années plus tard. Quand il y a eu les premiers aveux, les premiers morts. Lors du Tour 1991, dans le contre-la-montre d'Alençon, j'ai cru que j'avais gagné de 5 minutes. Je voltigeais! Mais Indurain m'a battu de 8 secondes. Plus tard, dans l'étape Quimper-Saint-Herblain, le peloton a établi un record à près de 50 kilomètres-heure de moyenne. Avec Charly Mottet, un vieux de la vieille, on s'est regardé à 30 bornes de l'arrivée: «Oh! Qu'est-ce qui se passe?»
Dans quel état d'esprit avez-vous quitté le peloton, en 1994?
Ce n'était plus mon monde. (...) Le Français Philippe Casado, un de mes équipiers chez Gan, a discuté, un jour de 1993, avec un Espagnol de la Once. Il est revenu comme un fou en interpellant Legeay: «Voilà ce que les autres prennent: testostérone, EPO, hormone de croissance... Alors, si tu veux des résultats, arrête de nous menacer de diviser nos salaires par deux et engage un médecin!» L'année suivante, Casado est parti chez les Italiens de Jolly Componibili. Je l'ai croisé sur les routes du Tour de Suisse. Il rigolait. Il m'a expliqué que deux cars laboratoires suivaient son équipe en permanence et qu'il avait bouclé le Tour d'Espagne sans souffrir. Il m'a chambré gentiment puis il s'est éloigné. Trois semaines plus tard, j'ai décidé d'arrêter le vélo. L'année suivante, Philippe Casado est mort d'une crise cardiaque. Il avait 30 ans.
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