Inscription: 31 Aoû 2005 22:06 Messages: 19619 Localisation: En Papabloguie
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Vltra a écrit: Abidbol a écrit: Parmi les floraisons de points de vue et nalyses, celle ci me parait assez juste sur "qui sont les gilets jaunes". - Cliquez ici pour faire apparaître le contenu caché
Citation: La jacquerie antifiscale des « gilets jaunes » devra être documentée par des enquêtes sociologiques, mais les propos des meneurs locaux permettent d’ores et déjà de cerner un profil : celui de ménages résidant dans le périurbain, qui utilisent donc leur(s) automobile(s) pour tous leurs déplacements.
Que leurs revenus soient modestes ou moyens (de 1,5 à 3 ou 4 smic pour un couple avec deux salaires), qu’ils soient ouvriers qualifiés, employés, cadres d’exécution ou alors représentants, artisans, commerçants ou infirmières, leurs activités et leur choix de vie se caractérisent par leur localisation dans le périurbain. Il s’agit de ces Français qui ont conçu l’accès à la propriété d’un pavillon dans une zone peu dense (rêve de 85 % d’entre eux, selon un sondage TNS-Sofres de 2007) comme une manière de sécuriser l’avenir. Cette stratégie a pour corollaire la possession d’une voiture (et le plus souvent de deux) leur permettant de s’affranchir des assignations spatiales, sociales, économiques.
S’affranchir, c’est se projeter sur un vaste territoire d’emplois potentiels, faire jouer la concurrence entre plusieurs centres commerciaux, fréquenter peu les équipements publics pour s’investir plutôt dans des loisirs au domicile. C’est également avoir peu d’appétence pour les mouvements associatifs, syndicaux, partisans. Il s’agit de cette France de l’évitement des cadres institutionnels, vus comme bureaucratiques. Il s’agit d’une France largement ignorée par les intellectuels et les acteurs publics.
Quand on parcourt cette France-là, on perçoit qu’elle se considère comme vraiment invisible aux yeux des pouvoirs publics, contrairement aux « banlieues à problèmes », bien qu’elle soit, elle aussi, menacée de déclassement et de précarisation. En outre, elle se sent déconsidérée par les injonctions morales (à la mixité sociale dans l’habitat et à l’école, ou à utiliser des modes de déplacement doux) que lui adresse la « France d’en haut », alors que cette dernière s’affranchit de la carte scolaire et voyage régulièrement en avion.
Or, ces Français géographiquement et institutionnellement « périphériques », selon l’expression du géographe Christophe Guilluy, sont en fait démographiquement dominants et semblent constituer le gros des forces des « gilets jaunes ». Cette « France profonde », celle « des petits-moyens », comme l’ont décrite, dans leur enquête sur la banlieue pavillonnaire, les universitaires Marie Cartier, Isabelle Coutant, Yasmine Siblot et Olivier Masclet, ne se reconnaît pas dans les jeux et enjeux partisans portés par le système politico-médiatique.
Pour elle, le choix (sous contrainte) du mode de vie périurbain correspond plus à des valeurs de solidarité familiale et d’entraide entre pairs que de citoyenneté. Il affirme ainsi une préférence pour des liens forts, mais peu nombreux, offerts par un ancrage local (le choix de la localisation dans tel ou tel secteur de grande banlieue ayant été fait en fonction de la localisation des parents ou de la fratrie) plutôt que pour les liens faibles qu’offre le centre-ville. Il s’agit de la France qui ne prend pas les transports en commun, qui se déplace surtout de banlieue à banlieue en évitant le cœur des villes avec ses encombrements et ses rues piétonnisées aux commerces franchisés.
Dès lors, cette France perçoit les politiques locales avec méfiance : les tramways, les centres- villes patrimonialisés, les théâtres subventionnés, par exemple, elle ne les fréquente guère. Pourtant, par la taxe foncière, les périurbains contribuent largement à financer des politiques urbaines calibrées sur des aspirations qui ne sont pas les leurs. Cette France se sent alors ponctionnée pour mettre en œuvre des mesures sociales dont elle ne sera pas bénéficiaire. Ainsi, il ne lui vient pas à l’esprit, sauf accident de la vie (décès d’un conjoint, chômage, divorce) de déposer une demande de HLM, alors que 70 % des Français y sont éligibles. Or aujourd’hui, l’attitude habituelle de repli sur la sphère privée loin de la chose publique, dont participe le choix de résidence dans le périurbain, se brise quand, par la surtaxation du carburant, les pouvoirs publics attaquent le principal instrument de leur autonomie individuelle qu’est l’automobile.
Et le gouvernement montre son absence de compréhension des forces sociales que mobilisent les « gilets jaunes », pensant qu’il éteindra leur mouvement par des aides ciblées sur les 20 % des ménages les plus modestes. En effet, les « gilets jaunes », non seulement ne se conçoivent pas eux-mêmes pas comme des ménages modestes – au contraire, ils se perçoivent comme des classes moyennes –, mais ils revendiquent leur autonomie, si bien que l’aide gouvernementale de 200 €/an, même s’ils y avaient droit, constituerait une mesure de « charité » contrevenant à leur volonté de dépendre le moins possible des institutions publiques. En cela, ils sont porteurs de l’idéal politique (partagé par la droite et par la gauche) de la modernité qu’est l’autonomie individuelle. Reste à savoir si cet idéal est viable quand on vit sous les menaces climatiques.
Philippe Genestier est architecte-urbaniste en chef de l’Etat, professeur à l’Ecole nationale des travaux publics d’Etat (ENTPE) et chercheur au laboratoire Recherches interdisciplinaires ville, espace, société (RIVES).
Clairement ciblé anti-beaufs et un poil condescendant, mais plutôt bien senti. Bah oui mais faut bien trouver des coupables.
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