L'Équipe Patrice Garande, concessions infimes Publié le samedi 7 avril 2018 à 00:10 En fin de contrat à Caen, où il est contesté par une partie des supporters, l'entraîneur normand arrive probablement à la fin d'un cycle qu'il aura marqué par ses résultats et son caractère.
L'enveloppe, trompeuse, et son visage, fermé, ne disent rien de sa personnalité ni des fêlures de sa vie. De loin, comme ça, on peut le trouver bourru, bourrin même, mais Guy Roux, qui a eu Patrice Garande sous ses ordres à Auxerre (1981-1986), garde plutôt le souvenir « d'un garçon très intelligent dans sa facilité d'analyser et de comprendre les choses ». Joueur, plus léger - dans tous les sens du terme -, l'actuel technicien caennais (57 ans) avait probablement une insouciance et une jovialité que la fonction a fini par éroder, brouillant son image, selon Pierre Mankowski, qui l'a choisi comme adjoint à Caen en 1995 : « Patrice est un personnage qu'on ne connaît pas trop, avec différents visages. Il peut être virulent, agressif mais dans l'intimité, quand il n'est pas dans la fonction, il est marrant, très agréable. » Même son ami, Gérard Gohel, président de Cherbourg, où Garande a débuté sur le banc (1999-2004), bute sur les mots : « Il a un caractère comment dire... C'est un meneur qui en impose. Les chiens ne font pas des chats. » Roger Garande, son père, gérait en effet avec autorité l'entreprise familiale de plomberie dans le Rhône et le destin du fils était tout tracé, jusqu'à ce que ses premiers exploits au Cascol Oullins attirent l'oeil de Saint-Étienne. « J'avais quatorze ans et mon père me dit : "Je te donne deux ans pour réussir dans le foot. Et je ne veux jamais entendre dans un stade que tu es un fainéant." J'ai été élevé comme ça, je n'avais pas beaucoup le droit à l'erreur mais mon père m'a permis de vivre mes rêves », observe-t-il. Chez les Verts, il fait ses classes, séduit, mais la concurrence du duo Paganelli-Roussey lui barre le chemin de l'équipe première où il débute pourtant à dix-sept ans. Il s'exile alors en Suisse, au CS Chênois, et devient un homme plus rapidement que prévu quand sa maman, Marie, se donne la mort, la veille d'un match. Il a dix-huit ans et le lendemain des obsèques, il débute une rencontre de D 1 suisse, « car mon père me l'a demandé. J'ai joué pour lui car il avait besoin de quelqu'un qui ne lâche pas ». De cette douleur est peut-être née son intransigeance. « Il est hyper exigeant avec lui-même, ça se voit dans ses préparations de match. Mais cette exigence, il fallait la lui rendre, se rappelle Mickaël Barré, son capitaine à Cherbourg. Pendant une mi-temps, il avait passé sa colère sur un joueur qui avait d'énormes qualités techniques inexploitées. Patrice avait les yeux rouges de colère, il tapait sur les murs. Nous, on ne bougeait pas (rire). » « Ce qui m'horripile le plus, ce sont les gens qui ne travaillent pas, assume-t-il. J'adore le mot "travail" alors je ne veux pas qu'ils viennent m'emmerder avec leurs bagnoles et tout le reste. » Des paperboards ont volé, les bons mots aussi comme le jour où, s'adressant à son gardien visiblement pas au mieux de sa forme, il lança : « C'était Jamel Debbouze dans les buts ! » Il blesse, aussi, et, en fin de saison dernière, sa sortie dans Ouest Francea laissé des traces dans le vestiaire normand, malgré ses excuses. Alaeddine Yahia, aujourd'hui à Nancy (L 2), fut une des cibles : « Sur le fond, il n'est pas méchant, mais dans la forme, c'est parfois mal dit. Si on n'est pas bons, il nous dit : "Vous êtes bidon." Parfois, ça pique, tu rentres chez toi et tu prends un Doliprane. » L'ancien international (une sélection en 1988) aime ses joueurs, ses coups de sang (« Si je commence à les raconter... Je n'ai pas le temps, j'ai entraînement tout à l'heure », sourit Yahia) en seraient une forme (maladroite) d'expression. « C'est un passionné, qui vit vraiment foot, se souvient Yoann Gambillon, qui a joué sous ses ordres à Cherbourg. Si vous n'étiez pas comme lui, cela pouvait être compliqué, il n'acceptait pas l'échec. » L'homme est « cash » (Yahia), on l'a compris, et cela ne dérange pas Guy Roux : « Il était un peu bougon parfois mais ce n'est pas un défaut (rire). C'est un type de la montagne, un taiseux qui ne va pas chercher à montrer qu'il est content quand il est en colère. » Il acquiesce : « Du caractère, il faut en avoir dans la vie comme dans le foot, sinon vous vous faites manger. Je n'aime pas le conflit mais le métier nous y oblige parfois. C'est ce que j'adore dans ce métier, c'est la complexité des relations humaines. » «Certains ont envie de voir une autre tronche. Au bout d'un moment, on ne voit plus que les défauts, c'est humain»
À Cherbourg, son exigence permit au club de passer du CFA au National (en 2002), selon Gérard Gohel : « Il demandait que le club soit irréprochable. Tout le monde s'est mis au diapason. Même moi qui en suis à trente ans de présidence, cela m'a été bénéfique. Il nous a mis sur la rampe de lancement mais au bout de cinq ans, il fallait qu'il voie autre chose, à l'échelon supérieur. » Une lassitude commune qui l'a mené à Caen et qui, aujourd'hui, semble le rattraper, six ans après avoir succédé à Franck Dumas sur le banc. Il l'entend : « Certains ont envie de voir une autre tronche. Au bout d'un moment, on ne voit plus que les défauts, c'est humain. » En fin de contrat en juin, il laisse glisser l'idée qu'il pourrait faire ses valises : « Je suis à l'écoute de mon club, où il y a encore de très belles choses à faire, mais aussi des offres extérieures. » Guy Roux, Pierre Mankowski, Gérard Gohel, tous l'incitent insidieusement à aller voir ailleurs. Après le maintien miraculeux la saison dernière, avec 37 points et, surtout, un nul à Paris dans les arrêts de jeu (1-1), il ne sauvera pas toujours le coup ni sa tête. Même une demi-finale de Coupe de France contre le PSG (le mercredi 18 avril) ne suffit plus à séduire les foules, Caen (seizième budget de L 1 à égalité avec Dijon, 32 M€) flottant à la quatorzième place en L 1 (35 points) et restant sur une série de trois défaites de suite. Le week-end dernier, contre Montpellier (1-3) une partie du kop a encore demandé sa démission. Un traitement « injuste » pour Gohel, rejoint par Yahia, pas rancunier : « Il connaît le ballon, il est compétent. Avec lui, Caen est remonté en L 1 (2014) et n'est pas descendu... » L'an passé, déjà, les échanges furent très vifs avec les supporters, le bouillant technicien balançant à l'un d'entre eux un « bouffon » qui n'est pas passé : « Ils ont le droit d'exprimer leur mécontentement comme leur joie dans un stade mais les menaces, je ne peux pas les accepter. » Ni les rumeurs comme celle qui, depuis vingt ans, fait de lui le gendre de Jean-François Fortin (*). Pour info, le président caennais a deux garçons. « Ça me gonfle ! », tonne l'entraîneur caennais. Il aura mis trente-cinq minutes avant de s'énerver. (*) Contacté, Jean-François Fortin n'a pu être joint.
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