Neuf mois après son limogeage du SM Caen, le Bayeusain, personnage emblématique de l’ère moderne malherbiste, revient pour la première fois à d’Ornano. Sur le banc visiteur, en tant que manager général d'Arles-Avignon. Entre passé, présent et avenir, Franck Dumas s'est longuement confié.
Entretien
Comment appréhendez-vous ce retour à d’Ornano ?
Mais ce ne sera pas le Stade Malherbe contre Franck Dumas ! Je ne vais pas commencer à tout mélanger, ce serait la pire erreur. Le sportif se suffit déjà largement à lui-même, pour Caen comme pour nous. L’émotion, elle durera peut-être quelques secondes au départ, et puis ça va partir très vite...
Vous n’avez pas préparé un petit plan spécial pour battre votre ancienne équipe ?
Encore une fois, je ne vais pas me tromper d’objectif ! Et puis à vrai dire, j’ai vu jouer Caen pour la 1re fois contre Istres seulement dimanche... Bon, depuis je me suis rattrapé, j’ai visionné 4 vidéos de leurs matches (rire) ! Que ce soit face Caen, Monaco ou une autre équipe, la stratégie sera la même, sauf que là ce sera le 3e en face, chez lui où il est performant. De toute façon, on est dans une situation où on doit déclencher des choses pour prendre des points.
Que retenez-vous de ces 16 saisons à Malherbe, dont 7 en tant que coach ?
J’ai envie de relier deux choses. 1992, quand on m’a demandé de partir parce que le club avait besoin du transfert à Monaco pour se stabiliser financièrement. Et puis 2005, quand on a m’a demandé de reprendre l’équipe alors que je n’étais pas très chaud. Je pense avoir agi selon mes principes, par rapport au respect d’une institution que j’aime, et cela m’a permis aussi de connaître les deux côtés de la barrière. Avec le recul, c’est une chance que je souhaite à tous les anciens joueurs.
« J'ai vécu beaucoup d'extrêmes »
Donc vous avez changé d’avis, c’est un métier où vous espérez durer désormais ?
Oui, c’est prenant, grisant parfois, et les 6 mois au chômage ont été longs. J’y ai pris goût, et je n’ai que 45 ans ! J’ai appris dans ce métier, reçu des coups, je m’en suis relevé et je pense avoir les épaules assez larges pour tout prendre dans la tronche s’il le faut. C’est même presque le but du jeu, par rapport aux joueurs notamment.
Quelle trace pensez-vous avoir laissé au SM Caen ?
J’ai essayé de faire avec nos moyens, imprimer une identité de jeu, des convictions. J’ai vécu beaucoup d’extrêmes, fait des bons et des mauvais choix. Cela n’a pas toujours été le pied, mais c’est surtout dans les moments difficiles qu’il y a des choses à puiser, et aujourd’hui c’est de tout ça dont je me sers pour essayer de mettre en place un projet à Arles-Avignon. C’est à moi aussi de m’adapter à un autre environnement, à la réaction des mecs que je dirige. Ils sont très demandeurs sur le jeu, la stratégie, ça me plaît bien, et vous savez que j’accorde énormément d’importance à l’affectif, aux relations humaines. Ici il y a de quoi faire, je suis quelque part dans mon élément !
C’est un groupe à votre image ?
Je suis venu pour sauver le club de la relégation, je compte bien le faire, et ça travaille, ça progresse… On reste sur 3 matches sans défaite et 8 buts marqués, alors que l’équipe avait du mal jusqu’ici à se montrer dangereuse offensivement. Il y a une qualité et une énergie dans ce groupe que je n’avais franchement pas imaginé en signant ici. Le problème, c’est juste de canaliser tout ça, mais je sens une vrai prise de conscience, une certaine adhésion.
« C'était peut-être l'année de trop »
Avec l’usure du pouvoir, votre départ du Stade Malherbe n’était-il pas devenu inévitable ?
Dès l’été 2011, j’avais dit à Jean-François (Fortin) que c’était peut-être l’année de trop, et il était plutôt d’accord avec moi... Mais tout était déjà lancé, le recrutement, j’étais engagé auprès de beaucoup de joueurs et finalement prêt à accepter le risque, même s’il était grand. Les gens, les médias, sont focalisés sur les résultats immédiats, on sait que l’on fait un métier où la durée n’est pas vraiment admise. Mais on arrivait aussi en fin de cycle et il fallait forcément changer des choses.
Si vous pouviez revenir en arrière, que changeriez-vous en premier ?
J’essayerais déjà de garder un peu plus longtemps des joueurs qui sont partis trop vite de Caen, les Gouffran, Gomis, El-Arabi… Mais on en revient toujours au même problème financier, ce qui fait toute la difficulté dans un club comme Caen et s’oppose forcément à un moment à la stratégie sportive qu’on aimerait mettre en place. Chaque année, il faut toujours repartir de zéro sans tes meilleurs éléments, espérer juste que ceux qui les remplacent pour le même prix de départ apportent la même chose, sans que ce soit jamais garanti. Et cela aurait été encore pareil cette saison, même si le club s’était maintenu en L1, puisque Heurtaux ou Hamouma n’auraient de toute façon plus été là.
Vous avez des regrets ?
Sûrement de ne pas avoir tranché assez vite dans ma gestion, et cela ne concerne pas que la dernière saison. Après, c’est un peu dommage que dans la communication globale au club, ça ait tourné un peu trop autour de l’anti Dumas, alors que je pense être parti dignement.
« Il n'y a pas de rancoeur »
On a cherché à vous opposer avec Patrice Garande, votre successeur ?
Chacun a sa méthode, sa personnalité, et heureusement ! Je rappelle juste que j’ai fait partie de ceux qui se sont battus pour que Pat’ reste, quand certains m’ont posé des questions à son sujet. Il connaît parfaitement la structure, les salariés, les jeunes. C’était la meilleure solution, et aujourd’hui les résultats plaident pour lui. Je pense d’ailleurs que Caen va remonter en mai. Contre Istres dimanche dernier (1-0 à la 93e minute), c’était un signe.
Caen possède la meilleure défense de L2, et seulement la 9e attaque : par rapport aux profils des équipes caennaises que vous avez dirigées, cela vous surprend ?
C’est toujours la même chose à haut niveau, il y a d’abord la nécessité de prendre des points d’abord, de se rassurer pour ça... Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise stratégie, il y a juste celle qui fait gagner les matches, et là Malherbe est dans la course.
Quel accueil pensez-vous recevoir du public ?
Si on m’applaudit, forcément ça fera plaisir, si on me siffle, tant pis. Je n’ai rien imaginé à l’avance et peu importe. La page est tournée, il n’y a pas de rancœur ni de revanche, et ne pas faire l’unanimité fait partie de ce métier, de ce que je suis aussi. C’est une belle histoire, Malherbe, et je ne veux en garder que le positif.
Recueilli par
Guillaume LAINÉ.
_________________ 28 mai - 4 juin - 10 juin
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