http://www.infosplusgabon.com/article.php3?id_article=1374Quels sont les liens entre Nicolas Sarkozy et la Françafrique ? LIBREVILLE, 31 juillet (Infosplusgabon) - Peut-être pourrait-on commencer par faire un rapide "portrait politique" de Nicolas Sarkozy. Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa naît en 1955, d’un père immigré issu de la noblesse hongroise. Il grandit à Neuilly sur Seine. Il rate Sciences-Po Paris. Mais il devient avocat en 1981 et s’associe pour créer le cabinet parisien « Arnaud Claude et Nicolas Sarkozy », spécialisé dans le droit immobilier.
Nicolas Sarkozy n’a presque jamais plaidé mais il touche une part des profits de ce cabinet d’avocat (240 000 euros en 2002). Nicolas Sarkozy est très tôt engagé en politique. A moins de 20 ans, il rentre à l’UDR puis au RPR, parrainé par Charles Pasqua, dont il se considère le « double » à l’époque.
Il va monter progressivement dans la hiérarchie du parti : président du comité de soutien des jeunes à la candidature de Jacques Chirac en 1980, secrétaire national du RPR en 1988, etc. Son seul ’’faux pas’’ dans le soutien à Jacques Chirac survient en 1995, quand il se rallie à Edouard Balladur pour les élections présidentielles. En 2002, il soutient Jacques Chirac. En 2004, il devient le président de l’UMP.
Nicolas Sarkozy, c’est également une forte implantation politique dans les Hauts de Seine. De 1983 à 2002, il est maire de Neuilly, la ville la plus riche de France. En 2004, il devient président du Conseil général des Hauts de Seine, le département le plus riche de France, prenant la succession de Charles Pasqua.
L’expérience étatique de Nicolas Sarkozy est relativement récente. Il devient ministre du Budget en 1993, mais est ensuite écarté de l’appareil d’Etat pour sa ’’trahison’’ envers Jacques Chirac. Il est cependant nommé Ministre de l’Intérieur en 2002, puis Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie en 2004, fonction qu’il doit abandonner sur demande de Jacques Chirac qui ne souhaite pas qu’un Ministre soit également président de l’UMP.
En 2005, le même Jacques Chirac nomme cependant Nicolas Sarkozy une nouvelle fois Ministre de l’Intérieur, cumulant ce mandat avec la présidence de l’UMP. Nicolas Sarkozy, c’est enfin un réseau relationnel colossal dans l’industrie et les médias. Je ne citerai pas ici la longue liste de ses soutiens.
Citons Martin Bouygues, témoin de son mariage avec Cecilia Sarkozy et parrain d’un de ses fils. Bernard Arnault, également témoin de son mariage. Lagardère, Dassault, Véolia, Bolloré, quasiment tout le CAC 40 soutient Nicolas Sarkozy, qui déclarait d’ailleurs en 2005 : « j’ai tous les patrons de presse avec moi. »Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua Nicolas Serge Dassault Nicolas Sarkozy ministre du Budget Nicolas Sarkozy à l’université d’été MEDEF
1) Quels sont les rapports de Nicolas Sarkozy avec l’Afrique et la Françafrique ?
Nous nous sommes d’abord intéressés aux idées, aux discours et au programme de Nicolas Sarkozy concernant l’Afrique. L’Afrique n’étant pas au coeur de la campagne présidentielle (ou alors indirectement via l’immigration), les textes à notre disposition sont relativement peu nombreux.
Les textes de référence sont : un discours de Nicolas Sarkozy au Bénin en mai 2006, un interview donné au magazine Jeune Afrique en novembre 2006, le discours du meeting UMP de Toulon et un discours sur la politique internationale en février 2007.
En examinant ces discours, nous relevons des éléments de ’’rupture’’ avec la Françafrique, des éléments de ’’continuité’’, et des éléments très ’’classiques’’ que l’on retrouve en général dans les propos de tout candidat à la présidence. Le tout forme un ensemble plutôt contradictoire et soumis à différentes interprétations.
- Les éléments de ’’rupture’’ : Nicolas Sarkozy souhaite « tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguîtés » en matière de relations franco-africaines. Il déclare sa volonté de « se débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent.
Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. » Il souhaite « cesser de traiter indistinctement avec des démocraties et des dictatures » et critique en ce sens la politique africaine de Jacques Chirac.
- Les éléments ’’classiques’’ : Nicolas Sarkozy, comme la plupart des candidats gaullistes à la présidence, se présente comme un « ami des africains ». Il « aime l’Afrique » et souhaite tout faire pour son ’’développement’’, envisagé par ailleurs comme un remède à l’immigration.
- Les éléments de ’’continuité’’ : Si Nicolas Sarkozy critique les réseaux françafricains, il juge néanmoins l’action de la France en Afrique globalement positive : « Je crois pouvoir dire qu’aucun pays du Nord ne porte autant d’attention à l’Afrique que la France. Aucune nation n’a autant à coeur la stabilité, le développement, la réussite des pays du continent africain. [...] La relation entre l’Afrique et la France, l’Afrique et l’Europe doit s’affirmer comme l’un des principaux axes de stabilité de la planète et comme un exemple pour la relation Nord-Sud. »
Nicolas Sarkozy critique violemment les discours dénonçant la domination économique française sur l’Afrique : « Il faut cesser de répéter que la France est présente en Afrique pour piller ses ressources car, à tout bien peser, c’est vrai, nous n’avons pas économiquement besoin de l’Afrique - et je mets quiconque au défi de me démontrer le contraire.
La France est en Afrique avec des ambitions plus amicales. » Pourtant, certaines de ses déclarations présentent l’Afrique comme un continent à ’’conquérir’’ : « L’Amérique et la Chine ont déjà commencé la conquête de l’Afrique. Jusqu’à quand l’Europe attendra-t-elle pour construire l’Afrique de demain ? Pendant que l’Europe hésite, les autres avancent. »
Nicolas Sarkozy soutient également les multinationales françaises : « Il n’y a en réalité qu’un petit nombre de grands groupes français qui réalisent une part importante de leurs activités en Afrique. [...] Bouygues, Air France, Bolloré, n’ont pas besoin de la diplomatie française pour exister et se développer en Afrique. S’ils y sont dynamiques, c’est à l’ancienneté de leur implantation, ils ont cru à l’Afrique avant beaucoup d’autres. C’est au talent de leur management et de leurs collaborateurs qu’ils le doivent et à eux seuls ».
Nicolas Sarkozy exprime son admiration pour le « de Gaulle visionnaire » qui a su « comprendre les aspirations de l’Afrique à l’autonomie puis à l’indépendance » et à Edouard Balladur qui a su « intervenir directement », quand il était premier ministre, pour « arrêter ce crime contre l’humanité » qu’a constitué le génocide rwandais.
Enfin, Nicolas Sarkozy souligne le rôle positif de la colonisation : « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Egypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc.
Ce rêve qui ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. Cessons de noircir le passé. L’Occident longtemps pécha par arrogance et par ignorance. Beaucoup de crimes et d’injustices furent commis. Mais la plupart de ceux qui partirent vers le Sud n’étaient ni des monstres ni des exploiteurs.
Beaucoup mirent leur énergie à construire des routes, des ponts, des écoles, des hôpitaux. Beaucoup s’épuisèrent à cultiver un bout de terre ingrat que nul avant n’eux n’avait cultivé. »13 Nicolas Sarkozy a également déclaré lors du meeting de Caen, le 9 mars 2007 : « La vérité, c’est qu’il n’y a pas eu beaucoup de puissances 13Nous ne parlons pas ici des discours de Nicolas Sarkozy concernant l’immigration.
Voici cependant quelques citations : “Si certains n’aiment pas la France, qu’ils ne se gênent pas pour la quitter. [...] Au nom de quoi les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, l’Angleterre, l’Allemagne et tant d’autres choisiraient les meilleurs étudiants, les meilleurs travailleurs et nous nous n’aurions le droit de choisir personne pour subir tout le monde. Cette politique, ce n’est pas la mienne.” (Nicolas Sarkozy, cité par LCI, 22/04/2006) “Si Le Pen dit que le soleil est jaune, je ne vais pas être obligé d’arriver en prétendant qu’il est bleu. Personne n’est obligé d’habiter en France.
Quand on habite en France on respecte ses règles. C’est-à-dire qu’on n’est pas polygame, qu’on ne pratique pas l’excision sur ses filles, qu’on n’égorge pas le mouton dans son appartement, et qu’on respecte les règles républicaines.” (Nicolas Sarkozy, TF1, 5 janvier 2007) “Je ne vise pas l’électorat du FN, je l’ai déjà.” (Nicolas Sarkozy, cité par Thomas Lebegue, Libération, 1er juillet 2005)coloniales dans le monde qui aient tant oeuvré pour la civilisation et le développement et si peu pour l’exploitation.
On peut condamner le principe du système colonial et avoir l’honnêteté de reconnaître cela. " Tous ces discours sont en totale contradiction avec le début de mon exposé concernant les origines de la Françafrique, et avec les enquêtes de l’association Survie en général (en particulier concernant le génocide rwandais).
Nous ne pouvons d’ailleurs que déplorer le manque de ’’répondant’’ des journalistes interrogeant Nicolas Sarkozy sur tous ces sujets.
Pour revenir sur ses déclarations concernant ’’la France qui, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique’’, un journaliste renseigné aurait pu souligner quelques informations pourtant faciles à obtenir : selon le Ministère des Finances et de l’Industrie, en 2006, les échanges avec l’Afrique représentaient environ 5% des échanges internationaux de la France.
Le solde économique de ces échanges est positif, contrairement aux soldes de la France avec d’autres continents. Ainsi, en 2005, le solde France/Afrique était de + 3 milliards d’euros environ, soit autant que le solde France/Amérique, mais le solde France/Europe était de - 18 milliards d’euros, et le solde France/Asie - 22 milliards d’euros. En 2002, le nombre de filiales d’entreprises françaises en Afrique s’élevait à 2637, en hausse de 13% par rapport à l’année précédente.
Au Congo Brazzaville et au Gabon, le pétrole enrichit TotalFinaElf, qui affichait, en 2005, un bénéfice record de 12 milliards d’euros. Au Cameroun, au Congo Brazzaville et au Gabon, le bois fait la fortune de Bolloré (1 milliard de chiffres d’affaires en 2004) et de Rougier. Meubles en Okoumé, planchers en Azobé, escaliers et portes en Sapelli ou Moabi, toutes ces essences menacées de disparition sont largement utilisées en France, premier importateur européen de bois africain.
Au Mali, l’or est une manne pour la Somadex, une filiale de Bouygues15. Au Niger, l’uranium est exploité par la Cogema, assurant plus de 50% de l’approvisionnement des centrales françaises. Nous pourrions encore citer le commerce du diamant en Centrafrique, du gaz en Algérie16, des phosphates au Togo et au Maroc.
Mais également les produits agricoles (café, ananas, cacao, arachide, canne à sucre...) et les services (transport, eau, BTP, télécoms...). En 2004, Bouygues a réalisé 1,2 milliards de chiffres d’affaires en Afrique. Enfin, le commerce des armes est très lucratif. Entre 1996 et 2003, les exportations d’armes de la France en Afrique ont représenté 30 milliards d’euros (Dassault, Lagardère...).
2) Solde extérieur de la France par zone géographique, en milliards d’euros
(source : Ministère des Finances et de l’Industrie)
Notons cependant que nos interprétations des discours de Nicolas Sarkozy sont subjectives. D’autres interprétations de ses discours seraient possibles. C’est pourquoi il faut prendre du recul avec les mots et nous concentrer sur les faits.
Pour cela, nous nous sommes posés deux principales questions : Nicolas Sarkozy développe-t-il des relations avec des dictateurs ? Quels sont les liens entre Nicolas Sarkozy et le ’’réseau Pasqua’’ ?
Justement, tu parles de relations personnelles avec des dictateurs.Peux-tu en dire un peu plus ? Nicolas Sarkozy entretient des relations avec plusieurs dictateurs.
Selon La lettre du continent, une publication essentiellement destinée aux diplomates et aux industriels opérant en Afrique, Nicolas Sarkozy a rencontré au moins sept fois Omar Bongo depuis 2004, la plupart du temps dans l’hôtel particulier parisien du dirigeant gabonais.
Récemment, dans le Nouvel Observateur de février 2007, Omar Bongo déclarait : « Avec Nicolas Sarkozy, il y a une différence parce qu’on est amis. Si demain il me renie parce qu’il est président, je lui dirai : ’’ce n’est pas sérieux Nicolas’’. [...] Je crois que le fondement même de la Françafrique restera, quitte à l’améliorer. »
Nicolas Sarkozy est un ami de Denis Sassou N’Guesso, le chef d’Etat du Congo-Brazzaville. Il soutient la monarchie marocaine de Mohammed VI. Notons que son bras droit Brice Hortefeux soutient d’ailleurs la colonisation marocaine du Sahara Occidental. Nicolas Sarkozy est également proche du président Bouteflika et des milieux militaires algériens.
Depuis 2003, il s’est rendu une à trois fois par an en Algérie. En juillet 2004, il a signé un accord économique France/Algérie de 2 milliards d’euros, l’un des plus grands accords français avec un pays du Sud, pour développer des projets industriels algériens, au bénéfice de sociétés françaises. Cette décision est quelque peu contradictoire avec les grandes déclarations de Nicolas Sarkozy sur le rôle des multinationales en Afrique.
Ce dernier a récemment affirmé qu’il souhaitait apporter la technologie nucléaire en Algérie, en échange d’accords sur l’exploitation du gaz algérien par la France. Nicolas Sarkozy a également critiqué l’accession au Pouvoir du fils d’Eyadéma au Togo.
Cependant, en tant que Ministre de l’Intérieur, il n’a pas mis fin à l’équipement et l’encadrement de la politice togolaise par la France. Pour terminer, nous avons trouvé dans le journal La lettre du continent cette information sybilline : pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, son ami Martin Bouygues « a mis à sa disposition son conseiller Afrique, Michel Lunven, ancien ambassadeur de France au Gabon et en Centrafrique et ex-conseiller de Jacques Foccart ».
Pourquoi le patron d’une des plus grandes entreprises de BTP met-il à disposition de Nicolas Sarkozy un ancien conseiller de l’architecte de la Françafrique, pour une campagne présidentielle ? La question reste ouverte. Quels sont les liens entre Nicolas Sarkozy et le réseau Pasqua ?
D’abord, pourquoi s’intéresser à ces liens ? Parce que ce que nous appelons le ’’réseau Pasqua’’ est un acteur emblématique de la Françafrique, décrit dans de nombreux ouvrages de l’association Survie. Charles Pasqua était le bras droit de Jacques Foccart, l’architecte de la Françafrique.
Le ’’réseau Pasqua’’ désigne une nébuleuse d’acteurs industriels, militaires, politiques et barbouzards impliqués dans de nombreuses affaires de trafic d’armes, de corruption, de coups tordus en Afrique (affaire Elf, affaire Angolagate, affaire Falcone, affaire Marchiani, etc.).
Historiquement, même si Nicolas Sarkozy a pris ses distances politiques avec Charles Pasqua depuis plusieurs années, les liens entre le candidat UMP à la présidence et Charles Pasqua sont forts. Charles Pasqua était le témoin du premier mariage de Nicolas Sarkozy.
Il a joué un rôle majeur dans son éducation politique, à Neuilly sur Seine, dans les Hauts de Seine et au RPR. Nicolas Sarkozy se définissait dans les années 70 comme le « double » de Charles Pasqua et déclarait en 1983 : « C’est l’un des hommes les plus honnêtes que je connaisse ».
Il lui a certes ’’raflé’’ la mairie de Neuilly sur Seine en 1983, mais ils se sont ensuite réconciliés. Nicolas Sarkozy a par exemple vraisemblablement aidé Charles Pasqua à devenir sénateur en 2004, lui permettant de bénéficier d’une immunité parlementaire.
Certains bras droits de Nicolas Sarkozy sont des anciens bras droits de Charles Pasqua. C’est le cas de Claude Guéant, directeur de campagne de Nicolas Sarkozy pour 2007. Claude Guéant, énarque, était secrétaire général de la préfecture des Hauts de Seine, Directeur Général de la Police Nationale, nommé par Charles Pasqua.
Il assiste en général à tous les entretiens de Nicolas Sarkozy avec des dirigeants africains. Citons également Michel Gaudin, énarque, ancien directeur de cabinet de Charles Pasqua au conseil général des Hauts de Seine, actuellement Directeur Général de la Police Nationale, nommé par Nicolas Sarkozy.
Nous nous sommes également intéressés à la reprise du conseil général des Hauts de Seine par Nicolas Sarkozy : celui-ci a-t-il fait une ’’rupture’’ avec la politique de Charles Pasqua, son prédécesseur à ce poste ?
En prenant la tête du conseil général des Hauts de Seine, Nicolas Sarkozy a fait un hommage appuyé à Charles Pasqua, et le conseil général lui a fourni une voiture de fonction avec chauffeur, une secrétaire et des bureaux. Nicolas Sarkozy a lancé un audit général du conseil général, mais les conclusions de cet audit sont restées secrètes.
D’après ce que nous avons pu lire, la politique de Nicolas Sarkozy n’est pas en rupture avec celle de son prédecesseur, hormis peut-être une baisse des dépenses sociales (par exemple, suppression de 4000 logements sociaux et privatisation de crèches).
Nous nous sommes également intéressés à Coopération 92, une officine du Conseil général des Hauts de Seine créée par Charles Pasqua, citée dans de nombreux ouvrages de l’association Survie pour ses actions ’’sulfureuses’’ en Afrique.
Cette Société d’Economie Mixte a officiellement pour objectif de lutter contre les inégalités Nord/Sud. Au moment où Nicolas Sarkozy prend la tête du conseil général des Hauts de Seine, Coopération 92 était dirigée par Yan Guez, un ancien de la SOFREMI (officine de ventes d’armes), touchant 11 000 euros par mois et roulant en 4x4 de luxe de fonction.
Les activités de Coopération 92 étaient opaques, aucun rapport sur le contenu et l’évaluation des projets réalisés n’était transmis au Conseil Général. Nicolas Sarkozy a remplacé Charles Pasqua à la présidence de Coopération 92 et lancé un audit financier mettant à jour de nombreuses anomalies financières (emplois fictifs, surfacturations, etc.).
Il a cependant reconduit Yan Guez dans ses fonctions, demandant certes davantage de transparence. En juillet 2005, le parquet de Nanterre lance une enquête sur Coopération 92. Nicolas Sarkozy démissionne quelques temps après, officiellement pour des questions d’emploi du temps. L’affaire suit son cours.
Une dernière petite anecdote pour terminer : en mars 2006, Robert Feliciaggi, homme d’affaires à la tête d’un empire des jeux de hasard et des casinos en France et en Afrique, souvent cité dans les ouvrages de François-Xavier Verschave à propos de blanchiment d’argent, a été assassiné en Corse. Nicolas Sarkozy a demandé au préfet d’Ajaccio de participer en grande tenue aux obsèques de Robert Feliciaggi.
Tout à l’heure, lors de l’exposé sur Jacques Chirac, tu nous as parlé des affaires Elf, de l’affaire du financement occulte du RPR, etc.
Est-ce que Nicolas Sarkozy a quelque chose à voir là dedans ?
Attention, terrain miné ! Ce que je m’apprête à dire doit être considéré avec la plus grande prudence. Le nom de Nicolas Sarkozy apparaît dans trois affaires : l’affaire des emplois fictifs du RPR, l’affaire Schuller et l’affaire Elf. Mais aucune enquête n’a été lancée sur les liens entre Nicolas Sarkozy et ces affaires. Donc tout ce que je vais dire n’est pas validé par la Justice française, même si nous serions très curieux que des enquêtes soient menées.
-L’affaire des emplois fictifs du RPR : une permanente du RPR était rémunérée par la mairie de Neuilly sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Etait-ce un cas isolé ? Pourquoi Nicolas Sarkozy n’a-t-il jamais été entendu par la Justice sur ce sujet ?
-L’affaire Schuller : Didier Schuller était le directeur général de l’office d’HLM des Hauts de Seine, membre du RPR, accusé et condamné pour un vaste système de détournement de fonds publics, notamment à des fins politiques. Selon son bras droit Jean-Paul Schimpf, interpellé en flagrant délit alors qu’une entreprise d’assainissement lui remettait une valise de billets pour l’obtention d’un marché public, Didier Schuller finançait des campagnes politiques commes celles de Patrice Balkany, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. Là encore, aucune enquête n’a été lancée à ce sujet.
-L’affaire Elf : lorsqu’il a été convoqué par la juge Eva Joly, l’ancien PDG d’Elf Loik Le Floch-Prigent a affirmé avoir abordé le fond du dossier Elf pour préparer sa défense avec de nombreuses personnalités, dont Nicolas Sarkozy, Ministre du Budget à l’époque. Que se sont-ils dits ? Pourquoi Loik LeFloch-Prigent est-il allé rencontrer Nicolas Sarkozy ? Là encore, le mystère reste entier.
Notons pour finir que Nicolas Sarkozy soutient politiquement Alain Carignon, ancien maire de Grenoble écroué pour une vaste affaire de corruption et d’enrichissement personnel dans les années 80-90, mais qui revient sur le devant de la scène politique grenobloise.
On ne peut que déplorer ce soutien politique, surtout pour un candidat à la présidentielle qui affirmait le 3 novembre 2006 sur France Inter : « Je n’ai pas l’habitude de fréquenter des gens qui ont été condamnés par la Justice. »
http://www.icicemac.com/news/index.php3?nid=8167&pid=71&cid=1
Lettre ouverte du Dr. Daniel Mengara à Nicolas Sarkozy
[Libreville - ] Lettre ouverte du Dr. Daniel Mengara à Nicolas Sarkozy, Président de France : " Si la dictature ne peut être tolérée en France, elle ne doit pas être tolérée au Gabon ". Vous conviendrez avec nous, Monsieur le Président, qu'une situation de dictature, aussi bénigne qu'elle puisse paraître, ne pourrait être tolérée dans un pays démocratique comme le vôtre. Elle ne doit pas non plus être tolérée au Gabon.
A Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République française.
Monsieur,
Au nom du mouvement " Bongo Doit Partir - Pour la construction d'un Gabon Nouveau " (BDP-Gabon Nouveau), mouvement gabonais d'opposition en exil dont je suis le leader, je vous transmets les salutations du peuple gabonais.
Au moment où vous rendez visite à notre pays sous votre nouveau statut de Président de la république française, nous ne pouvons que féliciter non seulement le peuple français, mais également votre propre personne, pour votre élection bien méritée le 6 mai dernier après un scrutin mené selon les règles de l'art.
Nous vous félicitons, Monsieur, parce que nous croyons fermement aux valeurs inaliénables de la démocratie et de l'état de droit. Dans votre élection au poste de président de la République française, nous voyons la décision souveraine d'une France qui a décidé, librement, de vous confier la direction de sa destinée. Nous nous garderons bien alors, quelles que soient les vues politiques parfois controversées qui ont été les vôtres de par le passé, de vouloir ici remettre en cause le verdict de la démocratie tel qu'il s'est majestueusement exprimé en terre française par le biais du vote populaire libre. De quel droit nous permettrions-nous de douter de la capacité de vos compatriotes à décider pour eux-mêmes ce qui est bon pour la France ? Les Français ont choisi Nicolas Sarkozy; nous respectons le choix souverain des Français.
Donc, félicitations !
Il est cependant hautement regrettable de constater, Monsieur le Président, que la France n'ait jamais voulu rendre à l'Afrique francophone ce genre de politesse souveraine. La France a plutôt mille fois découragé, et même mille fois compromis, l'éclosion en terre africaine des valeurs cardinales de la démocratie dont la France se clame et se proclame pourtant inspiratrice depuis le 18ème siècle. Il apparaît en effet que l'action débilitante de ses dirigeants, restés fossilisés comme ils le sont de manière héréditaire dans une vieille conception du monde, ait consisté à systématiquement bafouer toute possibilité d'affirmation des droits de l'Homme en Afrique et à semer chez nous, non pas ces valeurs universelles et démocratiques qui élèvent l'Homme et le libèrent, mais celles-là même qui l'animalisent. La vieille France dont nous parlons ici est celle qui ne voit en l'Afrique nègre qu'incapacité, infantilisme et animalité. Et c'est, en dernière analyse, cette vieille France des de Gaulle, des d'Estaing, des Chirac et autres Mitterrand qui, avec sa vieille vision de l'Afrique, a fait de votre pays une terre de contradictions.
De quelles contradictions parlons-nous ? De celles-là même qui se dessinent déjà dans votre propre discours et qui rappellent aux observateurs avertis que nous sommes la vieille maxime africaine selon laquelle en France, gauche ou droite au pouvoir, c'est bonnet blanc-blanc bonnet.
Vous dites, Monsieur, représenter la jeunesse des idées françaises et une nouvelle manière de faire qui serait une cassure d'avec les paroles en l'air de vos prédécesseurs. Soit !
Expliquez-nous cependant, Monsieur le Président, pourquoi, à peine élu le 6 mai dernier, vous receviez déjà dans le sacro-saint symbole démocratique de la France libre, un dictateur de la trempe d'Omar Bongo qui, depuis 1967, c'est-à-dire, quarante longues années, tyrannise son pays ?
Expliquez-nous également pourquoi, en ce mois de juillet, vous décidez de rendre visite au même dictateur, alors même que vous savez qu'il n'hésitera pas à utiliser votre visite comme une légitimation de sa dictature et de sa gestion désastreuse du Gabon, au moment même où le rapport 2007 de l'Institut de la Banque mondiale montre l'effondrement au Gabon de toutes les valeurs qui promeuvent la bonne gouvernance.
Monsieur le Président,
Dans l'équation de drames humains qui lient historiquement la France à l'Afrique, vous nous permettrez de douter de vos bonnes intentions. Pour nous Africains en général, et Gabonais en particulier, la France s'est souvent distinguée par le verbe qui crée l'espoir et l'action qui tue immédiatement cet espoir dans l'½uf. Le Général de Gaulle donna jadis aux Africains les indépendances d'une main, mais les reprit immédiatement de l'autre en imposant aux Nègres que nous étions des dirigeants qui, avec l'appui direct de la France, semèrent au sein de leurs peuples la dictature, l'arbitraire et la pauvreté. François-Xavier Verschave, un compatriote à vous, appela " Françafrique " cette politique déshumanisante de la France vis-à-vis de l'Afrique. Quelques décennies plus tard, François Mitterrand prononça à La Baule un discours libérateur empli d'espoirs nouveaux pour le continent noir, mais quand déferla sur l'Afrique le tsunami des revendications démocratiques, la France de Mitterrand s'empressa de sauver ses marionnettes, faisant ainsi le choix des compromissions mafieuses qui meurtrissent encore aujourd'hui tout un continent. Votre prédécesseur immédiat, ci-devant Jacques Chirac, a tout simplement fini de tuer en Afrique tout espoir de renouveau, réussissant même l'exploit de s'aliéner toute l'Afrique francophone. Aujourd'hui, vous n'en douterez pas, il y a cassure irrémédiable entre l'Afrique et la France.
Pour ce qui est de l'histoire des rapports entre la France et l'Afrique, votre refus de repentance, hélas, ne peut que nous faire douter de la possible finalité humaniste de votre visite au Gabon. Qu'est-ce qui nous permettrait, en effet, de croire que votre passage dans notre pays se situerait dans une dynamique autre que celle qui consiste à apporter le soutien politique traditionnel de la France au tyran gabonais, ce qui veut dire la perpétuation des misères de notre peuple ? Savez-vous, Monsieur, que des visites comme celle que vous faites aujourd'hui au Gabon sont exactement ce qui perpétue le désillusionnement des Africains vis-à-vis de la France ? Pour les Gabonais, cette démarche semble non seulement se situer aux antipodes de vos discours de campagne, mais également prononcer le deuil d'un pays qui n'en peut plus du subir le dictat de la Françafrique depuis 47 ans.
Pourquoi la France semble-t-elle s'obstiner à être cruelle, Monsieur le Président?
Ce qui nous préoccupe, nous Gabonais, ce n'est pas votre refus d'accueillir en France tous les miséreux du monde. On peut vous concéder, sur ce point, le raisonnement selon lequel les Africains ont besoin de rester chez eux pour y contribuer au développement de leurs propres pays. Ce qui reste problématique et qui nous pousse à nous interroger, c'est le décalage notoire et historique entre le discours " humaniste " des dirigeants de France quand ils arrivent au pouvoir et la duplicité qui semble toujours caractériser leurs actes une fois bien installés au pouvoir.
A lire, par exemple, l'interprétation naïvement euphorique faite par le journal mauricien L'Express du 8 mai 2007 à propos de votre élection, on aurait en effet été tenté de croire aux vertus de vos promesses de changement d'attitude de la France vis-à-vis de l'Afrique. L'article de ce journal disait que " La France de Nicolas Sarkozy fait peur. Surtout à ses partenaires africains qui voient dans le nouveau locataire de l'Elysée une menace pour les relations confortables tissées avec ce pays au fil du temps. (...) Nicolas Sarkozy lui-même ne croit pas au "réseautage", si l'on se fie à son discours, notamment lors de sa tournée en Afrique francophone en mai 2006. On se souviendra de cette phrase assassine lâchée à Bamako (Mali) et qui lui a valu l'ire des dirigeants africains francophones : Economiquement, nous n'avons pas besoin de l'Afrique." Sarkozy prône des relations plus classiques avec les pays du continent, au même titre qu'avec les autres nations. Lors du débat télévisé à quelques jours du deuxième tour de la présidentielle, il avait insisté sur la réciprocité dans les relations futures de la France avec les autres pays. Les observateurs de la politique française décodent. En somme, Sarkozy sonne le glas pour la "Françafrique", concept cher à Jacques Chirac et qui est un mélange de paternalisme et de réseaux ".
Nous nous permettrons, pour le moment, de mettre un bémol à une telle euphorie. Pour nous, il est hautement important de se poser la question suivante: quel intérêt aurait Nicolas Sarkozy, Président de France, à chambouler l'héritage colonial de la France ? Et doit-on le croire sur parole quand il déclara, par exemple, qu'économiquement, la France n'avait pas besoin de l'Afrique ?
Il nous semble, hélas, Monsieur le Président, que par refus de mémoire ou par cécité mémorielle, vous êtes en train de vous priver de l'opportunité d'étudier un peu plus profondément l'histoire de votre propre pays. Si vous l'aviez fait, vous auriez vu qu'il existe bel et bien un lien ombilical entre la pauvreté et l'instabilité chroniques de l'Afrique aujourd'hui et le rôle hautement néfaste que les nations européennes jouèrent sur le continent noir depuis le Moyen Age. Si vous aviez vraiment été élève de l'histoire de votre propre pays, vous auriez découvert que:
- Quand un esclavage tel que celui qui fut alimenté en Afrique par les Européens depuis le 15e siècle enlève à un continent plus de 30 millions d'âmes pour les transplanter à l'autre bout du monde, c'est tout un continent qui s'en retrouve déstabilisé politiquement, culturellement et économiquement, et ceci de manière durable vu que le dépeuplement qui en a résulté a mené à un déficit humain, donc économique, conséquent.
- La France a, en réalité, toujours eu besoin de l'Afrique. C'est l'Afrique qui a fait la France au prix de son sang. Savez-vous que le commerce des esclaves et l'exploitation inhumaine des Africains comme esclaves dans les possessions antillaises de la France représenta, vers la moitié du 18ème siècle, près de 25% de l'économie française, à un moment où cette économie était secouée par des crises financières successives qui en avaient pratiquement vidé les coffres ? Savez-vous que c'est grâce à la traite négrière et à l'exploitation des colonies que la France avait pu se construire une économie capable de rattraper, tant bien que mal, le retard accusé par rapport à l'Angleterre, elle aussi engagée dans le commerce colonial ?
L'économie française, osons-nous affirmer, Monsieur le Président, s'est construite sur le sang des Africains. Nous en voulons pour preuve ces lignes tirées d'un article intitulé " Dossier : La France qui s'exporte " publié sur le site du ministère des affaires étrangères (diplomatie.gouv.fr) par votre propre gouvernement. Cet article dit : " Au début des années 60, la France n'avait pas ou peu de vocation exportatrice. Longtemps tourné vers ses anciennes colonies d'Afrique et d'Asie qui constituaient un marché captif, son commerce extérieur avec les pays industrialisés ne s'est en effet développé que progressivement avec la décolonisation, puis la suppression du protectionnisme et l'instauration du Marché commun européen. Mais cela n'a pas été sans mal. "
Comme vous le voyez, cet article reconnaît au moins que les marchés coloniaux " captifs " de votre pays furent, jusqu'aux années 1960, la principale source de richesses extérieures pour la France et que la France eut grand mal à se recentrer sur l'Europe après tant d'années de dépendance vis-à-vis des richesses tirées des " marchés captifs " coloniaux. Il n'y a aucune raison de croire que les marchés captifs que la France contrôle encore aujourd'hui en terre africaine ne continuent de contribuer à la survie économique de la France, surtout quand on considère les compagnies françaises installées en Afrique et les monopoles mafieux dont ils jouissent encore, sans compter les fuites de capitaux que la mafia françafricaine n'a cessé d'organiser et qui saignent toujours à blanc le continent noir !
Non, Monsieur Sarkozy, l'Afrique ne veut plus être " aidée ". L'Afrique n'a plus vraiment besoin ni de l'aide de la France, ni de sa présence, surtout si cette présence continue à soutenir l'animalisation du continent par dictateurs interposés. L'Afrique n'a que trop souffert de ces paternalismes qui, sous prétexte d'aide, l'ont enfoncée un peu plus. Ce qu'elle veut, c'est qu'on la laisse en paix et qu'on arrête de la prendre pour une Afrique mendiante en constante quête d'aumône. Les aumônes de l'Occident ont semé sur le continent encore plus de pauvreté que si on avait laissé ce continent se débattre dans ses propres problèmes et les résoudre par lui-même. Où en sont aujourd'hui les fameux ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale? Où en sont les exigences de démocratisation ? Tout ce qui en a résulté, finalement, c'est une dette encore plus débilitante et des sociétés encore plus pauvres.
Et vous savez pourquoi ces ajustements structurels n'ont pas marché ? C'est parce que les Occidentaux ont tendance à parler avec la langue fourchue. Ils aiment appliquer à l'Afrique des solutions au rabais qu'ils n'accepteraient jamais pour eux-mêmes. Dans leurs propres théories économiques, ils ont depuis des siècles démontré qu'aucune économie ne pouvait se développer si elle contenait en elle des vices comme la corruption, le népotisme, l'autoritarisme despotique et le manque de libertés politiques et économiques. Or, ce sont ces mêmes occidentaux qui ont voulu faire croire aux Africains que le développement pouvait se passer dans des contextes où la dictature et la corruption régnaient et annihilaient la créativité citoyenne ; ils ont voulu faire croire aux Noirs que dictature et développement pouvaient cohabiter, alors que tout le monde savait que seule la démocratie véritable pouvait créer les conditions pertinentes à un développement durable. Et aujourd'hui, il est clair que la Banque mondiale et le FMI, les porte- voix des nations qui dominent le monde, n'ont fait qu'accentuer les malheurs de l'Afrique en n'insistant pas sur l'obligation de démocratie, alors même que l'équation était simple : démocratie d'abord, développement après.
Non, Monsieur Sarkozy. L'Afrique francophone ne veut plus être aidée par la France. Ce dont cette Afrique a besoin, c'est véritablement que la France la laisse en paix pour que, toute seule, elle retrouve les équilibres politiques et économiques naturels qui lui permettraient de sortir de la pauvreté et de l'instabilité politique grâce à son propre génie. L'aide de la France, dans ce contexte, est une aide empoisonnée. Elle rappelle l'histoire de ce pompier qui provoqua volontairement lui-même un incendie qu'il s'activa par la suite à éteindre, tout cela dans le but de se faire acclamer en héros. La misère de l'Afrique francophone ayant pour cause la France, il nous apparaît contradictoire que cette France continue à vouloir jouer les pompiers sur des terres qu'elle aura elle-même calcinées.
Les exemples sont légions qui montrent, Monsieur le Président, que la France est non seulement cause de guerres civiles et d'instabilités politiques en Afrique, mais aussi source de pauvreté.
Dites-nous alors comment, dans ce cas, vous comptez être différent de Jacques Chirac et de tous vos prédécesseurs, Monsieur Sarkozy, si vous commencez votre règne par la légitimation en bonne et due forme de régimes que vous devriez plutôt aider à démanteler en demandant aux récalcitrants de laisser la démocratie suivre son libre cours sous peine de sanctions diverses ? Votre présence chez " papa Bongo " sonne déjà, hélas, comme le glas qui va sceller, sur le dos ensanglanté des Gabonais, le pacte de meurtrissures nouvelles.
Vous aviez pourtant, lors de votre campagne électorale, affirmé que vous étiez prêt à défendre les " valeurs de tolérance, de liberté, de démocratie et d'humanisme " au profit de tous ceux qui sont " persécutés par les tyrannies et par les dictatures " à travers le monde. Nous osons vouloir vous croire, Monsieur le Président, mais savez-vous au moins, ou feignez-vous d'ignorer, que vous avez déjà, après juste trois mois de pouvoir, non seulement reçu les pires dictateurs d'Afrique (Omar Bongo et Denis Sassou Nguesso), mais aussi été légitimer, sur leurs propres sols, les systèmes de mafia qu'ils ont comme gouvernements ? Il faudra donc convenir avec nous, Monsieur, que de sérieux doutes subsistent. Si pour Jacques Chirac, la démocratie fut un luxe pour les Africains, comme le montre d'ailleurs son manque d'engouement tout au long de son règne à pousser les dictateurs amis à réformer et à démocratiser, nous craignons bien que les liens qui lient déjà le nouveau président français que vous êtes à ces mêmes dictatures ne viennent contredire vos belles paroles.
La France s'est, nous le savons, historiquement sentie dotée d'une mission " civilisatrice " et paternaliste qui avait poussé l'Abbé Raboisson à écrire en 1877 que " partout où le Français a mis le pied, ne fût-ce qu'un instant, il a rendu français le sol qu'il a foulé. Partout il a laissé des sympathies obstinées qui ont résisté à toutes les destructions, celles des révolutions et des temps ". Et Jean Jaurès de renchérir en 1881 en déclarant que " Là où la France est établie, on l'aime; là où elle n'a fait que passer, on la regrette; partout où sa lumière resplendit, elle est bienfaisante; là où elle ne brille plus, elle a laissé derrière elle un long et doux crépuscule où les regards et les c½urs restent attachés ". Et Onésime Reclus de conclure: " En Afrique, nous sommes Rome par la paix française, par la langue, par l'unité des efforts contre la confusion des élans sans but, bref par une supériorité prodigieuse ".
Au vu de telles déclarations nationalistes, comment s'étonner que le virus héréditaire du paternalisme, du préjugé et du racisme ait imprégné des générations de dirigeants français qui n'arrêtent point de proclamer, sans mentionner le crime de l'esclavage et du colonialisme, que la France ne fit que du bien aux Africains, et que ces Africains en seraient donc, à leurs yeux, éternellement reconnaissants?
Non, Monsieur Sarkozy.
L'Afrique en a assez d'être aidée. De l'aide de la France, elle ne veut plus. Il n'y a plus aucun pays en Afrique francophone aujourd'hui qui n'ait assez d'intellectuels ou de cadres qui ne soient capables de maîtriser les rouages des économies modernes. Il n'y a aucun pays en Afrique francophone où les citoyens ne veuillent d'une démocratie où l'on respecte les institutions et la voix du peuple. Il n'y a aucun pays en Afrique francophone où l'on ne souhaite la fin de l'hégémonie économique et politique de la France. Ce n'est donc pas de l'aide de la France dont l'Afrique a besoin aujourd'hui, mais de son désengagement.
La solution aux problèmes politiques et économiques de l'Afrique passe nécessairement par un désengagement politique de la France, afin de permettre, à terme, l'émergence de vrais partenariats bénéfiques à tous. Mais pour qu'un tel partenariat puisse s'instaurer, les conditions suivantes doivent être remplies :
1) Consignation à bases de l'armée française, de manière à ne plus en faire un instrument de protection et de restauration des régimes dictatoriaux qui seraient mis en difficulté par des révoltes citoyennes; ceci suppose la cessation immédiate de tout soutien politique, économique et militaire aux dictateurs africains ;
2) Laisser les Africains, par des soulèvements populaires ou autres, défaire eux- mêmes les dictatures réfractaires et ériger, à leur place, des institutions plus adaptées aux besoins démocratiques de chacun de nos pays selon un esprit bien africain ;
3) Respecter la souveraineté des peuples, leur droit inaliénable à désigner leurs propres dirigeants et leur capacité à décider pour eux-mêmes de la destinée de leurs pays.
4) Ne plus apporter de soutien politique aux hommes politiques africains en période électorale. La France est connue pour déclarer, et donc, valider, la victoire des dictateurs africains après des élections truquées alors même que de tels résultats ne passeraient pas le test de la démocratie en France. Pourquoi accepter pour l'Afrique ce que la France serait incapable d'accepter pour elle-même?
5) Déclarer la suspension des relations diplomatiques et économiques avec tout pays africain qui aurait à sa tête un président élu dans des conditions douteuses et qui se refuserait à la transparence électorale. Vous en avez une pléthore: Gabon, Togo, Cameroun, Congo Brazza, etc.
6) Déclarer un embargo économique immédiat contre tout pays avec un président ayant passé plus de 15 ans au pouvoir qui se refuserait à le quitter immédiatement et sans conditions. Ceci impose de faire une liste exhaustive de tous les pays incriminés. Nous pourrions vous aider à faire une telle liste si vous le désirez. Mais quoique vous fassiez, commencez par le Gabon où " papa Bongo " est aujourd'hui détenteur du honteux palmarès de plus ancien président du monde (40 ans au pouvoir !).
7) Geler les fonds et investissements que les dictateurs ont détournés de leur pays et déposés dans des banques françaises et étrangères. Cet argent appartient aux Africains et il doit être retourné aux gouvernements respectifs de ces pays dès lors que l'alternance démocratique aura été avérée.
Voilà, Monsieur, le type d'aide que l'Afrique attend de la France, c'est-à-dire un désengagement clair et net des affaires africaines tant sur le plan politique qu'économique. Nous en avons assez de voir le continent décrit comme un continent mendiant alors que l'Afrique est tout sauf pauvre. La pauvreté africaine est systémique et non systématique. Elle est conjoncturelle et non structurelle. Tout ce dont l'Afrique a besoin, c'est de démocratie et d'état de droit. Et ceci n'est pas possible tant que la France télécommandera de Paris les affaires africaines.
Vous conviendrez avec nous, Monsieur le Président, qu'une situation de dictature, aussi bénigne qu'elle puisse paraître, ne pourrait être tolérée dans un pays démocratique comme le vôtre. Elle ne doit pas non plus être tolérée au Gabon. Autrement dit, la mesure de l'engagement de votre pays dans le cadre de la protection et de la promotion des droits humains au Gabon se doit d'être faite sur la base d'une seule considération : si le peuple français que vous représentez trouverait inacceptable, voire intolérable, de vivre sous les mêmes conditions de privations politiques et/ou économiques que le peuple gabonais, alors votre choix est simple, vous devez, comme nous, exiger d'Omar Bongo qu'il démocratise ou qu'il parte. On ne peut ni contorsionner la démocratie ni la calculer, ni même la négocier. Elle doit s'imposer à tous comme la seule voie vers la paix et la prospérité pour le Gabon.
Autrement dit, il est temps que la France accepte la nature incontournable des aspirations démocratiques des peuples africains. Il est temps qu'elle accepte les vertus de la démocratie qu'elle-même dit avoir inspirées au monde civilisé. La démocratie, Monsieur, n'est pas un vain mot. Parce que c'est le seul système politique qui, tout en garantissant et protégeant les droits des citoyens, galvanise les énergies qui travaillent et le génie qui innove, la démocratie ne peut que transformer positivement l'Afrique. En 10 ans, l'Afrique sera capable, si démocratisée, d'éliminer par ses propres forces la corruption, le militarisme, la dictature, les détournements, le sectarisme, le tribalisme, et poser les jalons qui diminueront les misères, la maladie et la pauvreté, donc réduiront les émigrations en terre française qui vous irritent tant.
Monsieur Sarkozy, cette Afrique peut éclore sous vos propres yeux, avant la fin de votre présidence. Et alors que vous ne voyez rien de positif aujourd'hui dans ce que l'Afrique peut apporter à la France, vous seriez surpris de découvrir que le seul capital humain de l'Afrique francophone est en fait, pour la France, la plus grosse ressource qui soit, celle-là même qui n'a jamais été réellement vue à sa juste valeur et qui pourtant demain pourrait sauver la France.
Monsieur, les économistes vous diront que les 300 millions de personnes qui vivent dans l'aire francophone aujourd'hui, une aire dont l'Afrique représente le plus gros morceau, sont une mine d'or inexploitée pour l'économie française. Au jour d'aujourd'hui, l'Afrique francophone n'est pas solvable, donc elle est en effet économiquement inutile à la France non pas parce qu'elle ne lui apporte rien (ce qui est faux), mais parce qu'elle est incapable de consommer français.
Imaginez pourtant demain une Afrique francophone débarrassée de ses dictateurs, grisée par ses nouvelles libertés et lancée à la conquête des nouvelles opportunités nationales et internationales qui en découleraient; imaginez demain cette Afrique devenir solvable, réduire ses dettes et commencer à consommer les productions françaises à des niveaux non seulement individuels, mais aussi industriels; imaginez demain ses économies grandir, devenir soutenables et porter une Afrique francophone économiquement forte vers une mondialisation dont elle saura, comme d'autres, tirer les dividendes. Monsieur, cette Afrique libre qui se lèverait pour devenir un partenaire valable est celle qui enrichira la France car il y a un marché de 300 millions de francophones à développer.
Oubliez, Monsieur Sarkozy, l'Europe dans laquelle la France se débat péniblement aujourd'hui. C'est dans une Afrique libre et rénovée que se trouve le salut économique de la France, pas ailleurs. Mais pour parvenir à créer cette Afrique des renouveaux et des espoirs, il n'y a qu'une seule chose à faire, Monsieur Sarkozy: Lâchez les dictateurs et les faux démocrates que la France a contribué à fabriquer un peu partout dans son ancienne chasse gardée et n'intervenez plus dans les affaires africaines, ni pour apporter de l'aide, ni pour vous impliquer dans ses affaires politiques.
Au Gabon, les patriotes s'apprêtent à lancer l'assaut révolutionnaire contre les courants anti-démocratiques qui maintiennent le Gabon sous dictature depuis 40 ans. Et comme l'implication démesurée de la France dans la politique gabonaise crée chez nous une situation où s'attaquer au régime Bongo devient obligatoirement synonyme de s'attaquer à la France et à ses intérêts au Gabon, une seule question reste posée: la France saura-t-elle se désengager de son soutien inconditionnel à la dictature d'Omar Bongo pour laisser les Gabonais reconquérir librement leurs libertés confisquées, sans craindre une intervention militaire française? La France se gardera-t-elle, comme elle le fait souvent, de mettre son armée dans les rues du Gabon pour prévenir la chute du régime et ainsi compromettre l'accès des Gabonais à une démocratie similaire à celle que vit la France?
Nous voulons des garanties, Monsieur Sarkozy, pas des mots. Ce n'est pas à la France que les Gabonais veulent faire la guerre, mais au régime Bongo. La France est-elle prête, à cause de son entêtement auprès des dictateurs, à porter sur elle la responsabilité d'un Gabon instable et ensanglanté par la guerre, comme en Côte d'Ivoire? Combien de Côte d'Ivoires la France est-elle prête à voir exploser en Afrique avant de comprendre qu'il est temps désormais de se plier aux exigences démocratiques des jeunes africains déroutés par les misères politiques et économiques qui paralysent leurs pays, une paralysie dont une part de responsabilité incombe à la France des racismes fossilisés? Le crime commis par vos prédécesseurs, Monsieur Sarkozy, fut de croire que parce qu'elle est noire, l'Afrique n'a pas droit à la démocratie, démocratie qui serait ainsi la seule prérogative, et le seul luxe, des nations blanches d'Europe. Cette vision de l'Afrique doit cesser.
Nous savons l'Afrique capable de se prendre elle-même en charge. Il y a aujourd'hui en Afrique des richesses économiques et humaines qui pourraient lui assurer, dès les premières dix années d'autonomie et de démocratie réelles, la stabilité et les transformations nécessaires à sa brave évolution vers le développement durable. Bref, Monsieur le Président Sarkozy, nous sommes optimistes pour l'Afrique. Mais pour que la nouvelle Afrique voulue par les jeunes francophones puisse éclore, elle a besoin que la France la laisse en paix.
Serez-vous alors, Monsieur, le premier président français à réellement sortir des discours creux sur la France des droits de l'homme, pour enfin, par de vrais actes et des paroles claires, mener le combat qui s'impose auprès des forces réformatrices qui aujourd'hui sont persécutées un peu partout sur le continent africain par l'action conjuguée des forces anti-démocratiques occidentales et celles qui, en Afrique, leur servent de relais.
Que ferez-vous demain si nous, Gabonais, décidions de faire nôtres les articles 11 et 35 de la Déclaration française des Droits de l'homme et du citoyen de 1793 qui stipulent que " Tout acte exercé contre un homme hors des cas et sans les formes que la loi détermine, est arbitraire et tyrannique ; celui contre lequel on voudrait l'exécuter par la violence a le droit de le repousser par la force " (Article 11) et que " Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré et le plus indispensable des devoirs " (Article 35) ? Oseriez-vous, Monsieur, vous opposer à un tel élan légitimé à une époque où la France avait elle-même dû reconquérir sa dignité humaine face aux despotismes de ses monarchies ?
C'est donc au mot que l'Afrique vous prendra, Monsieur Sarkozy. La France vient de connaître son renouveau démocratique, l'Afrique a désormais droit au sien. Nous saluons votre élection à la présidence de la république française parce que nous reconnaissons le droit des Français à vous choisir comme président de la république.
Mais accordez-nous que nous voulions aussi pour le Gabon et les autres pays d'Afrique ce que la France vous a permis, c'est-à-dire votre élection sans ambiguïté dans un contexte démocratique avéré. En Afrique francophone, des régimes soutenus par la France bafouent chaque jour les droits les plus élémentaires de leurs citoyens et pervertissent l'esprit démocratique au profit d'intérêts machiavéliques. Ne nous dites donc plus que nous n'avons droit qu'à des simulacres de démocratie parce que la démocratie est incompatible avec l'Afrique. Ce serait une insulte que les jeunes africains ne peuvent plus, ne veulent plus accepter.
Si nous avions été Français, Monsieur, nous Gabonais aurions sans doute voté pour Nicolas Sarkozy car nous aimons les valeurs de réforme, de travail, de mérite, de libéralisme économique, d'honneur citoyen et de nationalisme patriotique que vous défendez au nom des Français. Ce sont ces mêmes valeurs que, demain, nous voudrions voir s'instaurer dans un Gabon démocratisé et rénové. Ces valeurs, nous les voulons aussi pour le Gabon.
Monsieur le Président, l'Afrique est prête pour un nouveau partenariat que vos prédécesseurs n'ont ni su ni voulu respecter. La France que vous allez désormais incarner en sera-t-elle capable?