11 novembre 2008 à 13:37
Rapport Besson : “Accroître la compétitivité des clubs de football professionnels français”, épisode 1
Avouons-le, depuis que le 14 avril 2008 François Fillon a confié à l’ancien conseiller de Ségolène Royal la « mission d’engager une étude complète sur la compétitivité du football français de haut niveau », on attendait avec impatience le rapport définitif d’Eric Besson dont la date initiale de remise avait été fixée au 31 octobre 2008.
Depuis la présentation officielle le 5 novembre 2008 en présence du secrétaire d’Etat aux sports, on a trouvé de quoi alimenter des colères hivernales.
Avec pour la période 2008/2009 un montant de 680 247 706 euros de recettes au titre des droits audiovisuels, la ligue 1 et la ligue 2 ont à l’évidence besoin d’être plus compétitives car la taxe « Buffet » de 5% qui va à l’Etat, les 21 millions d’euros qui vont à la F.F.F au titre du fonds d’aide à l’investissement, les 8 millions qui sont octroyés aux « familles du foot », sans compter le coût de l’organisation des matchs de ligue 1 et de ligue 2, ne laissent plus que 503 035 389 euros à la ligue 1 et 90 899 932 euros à la ligue 2 par saison (page 32 du rapport). L’argument pourrait prêter à sourire mais c’est pourtant l’un des nombreux constats qui motive le rapport Besson pour agir en faveur de plus de compétitivité en faveur des clubs professionnels et donc plus d’argent.
Bien qu’aucune révolution n’apparaisse à la lecture du rapport, quelques rappels permettent de constater la conception schizophrénique de l’analyse.
Tout d’abord, la clé de l’analyse repose quant à la question de savoir s’il faut répartir la manne des droits audiovisuels selon un logique sportive et/ou solidaire ou en retenant des critères fondés sur l’élitisme ou la notoriété. La seconde hypothèse a les faveurs du rapport. Ceci posé, le rapport s’attarde quant à la comparaison des recettes des grands championnats européens (F.A Premier League, Bundesliga, Liga et Serie A) de laquelle on apprend que la répartition des droits audiovisuels est moins égalitaire en France qu’en Angleterre ou en Allemagne. Concrètement, le football français est solidaire avec les plus faibles. Mais ce qui intéresse le rapport parmi de nombreux sujets, c’est l’examen des contraintes qui empêchent les clubs de devenir « des entreprises de spectacle sportif », soit, à défaut d’une nouveauté, l’inscription assumée du vocable « entreprise de spectacle sportif ».
Mais revenons aux contraintes du football français qui pèsent sur la compétitivité dans le marché domestique (précisons que lorsqu’on est libéral, on ne parle pas de gouvernement mais de « gouvernance », et l’on évite d’évoquer le marché intérieur pour la formulation anglo-saxonne et inadéquate de « marché domestique », ce qui d’un point de vue sémiologique laisse penser que les Etats sont les valets, les domestiques, du capital).
La première des raisons tient au fait que le public français est moins fervent supporter que le citoyen britannique et que la réussite sportive d’un club de football passe par la capacité d’un pays à avoir de grandes villes. En effet, il existe une corrélation entre la taille d’une ville et la réussite d’un club de foot. Le rapport ne s’attarde finalement pas quant au fait de savoir pourquoi, selon le rapport, Paris qui a « la plus grande agglomération européenne avec 11 millions d’habitants, n’a qu’un seul club parmi l’élite » ; pourquoi la ville et son agglomération qui constituent une si belle « zone de chalandise » ne disposent que d’un club, le P.S.G, qui offre par ailleurs de si faibles résultats ! Preuve encore que l’économie n’explique pas tout…
La deuxième contrainte qui pèserait sur les clubs français tiendrait à la vétusté des stades, pour ainsi dire « l’obsolescence des stades français principal frein à la compétitivité des clubs » (page 41 du rapport). Depuis 1998, rien n’aurait été fait, et la France, avec les dix stades rénovés pour la coupe du monde 1998, n’aurait qu’une capacité moyenne de 45 480 places. Pourquoi pas mais cela serait en rapport avec l’engouement modéré du public français, stigmatisé par le rapport, puisque la France n’a eu en 2006-2007 qu’une affluence moyenne de 21 200 spectateurs (page 42 du rapport). L’exemple allemand démontre que la Bundesliga ne compte qu’une capacité moyenne de 52 730 places pour les douze stades rénovés lors la coupe du monde 2006. Mais de cela le rapport Besson n’en n’a cure puisqu’il enfonce le clou et évoque péremptoirement que la faiblesse du nombre de spectateurs a un coût. La présence relative du public a pour effet que les clubs ont une recette moyenne de 6,6 millions d’euros en France alors qu’en Angleterre, en Espagne ou en Italie la recette moyenne est de 18 millions d’euros, le différentiel se retrouvant à la billetterie. Le spectateur français qui va modérément au stade, habite des petites agglomérations, ne rapporte que 17,30 euros en moyenne alors que son homologue étranger dépense 32 euros (page 43 du rapport). Bref, comme disent les supporters à propos des autres spectateurs : un public de merde.
Enfin, le football français serait marqué par le statut trop spécifique des clubs de football les éloigne des modèles propres aux entreprises, et surtout par une législation trop contraignante, décourageant les investisseurs encadrés par des règles qui interdisent la publicité pour les boissons alcoolisées et les paris en ligne. En Allemagne dix clubs ont un sponsor « alcool ». En Angleterre, huit clubs ont un sponsor « paris en ligne ». Mais surtout, la fiscalité française serait pénalisante bien que le législateur ait mis en place une exonération des charges pour les rémunérations liées au droit à l’image (jusqu’à 30% de la rémunération globale) et qu’il existe depuis 2007 la règle du bouclier fiscal.
Ainsi donc, le football français ne serait pas compétitif parce que les spectateurs ne vont pas assez au stade. Lorsqu’ils s’y rendent, ils dépensent trop peu. Par ailleurs, la faible compétitivité serait renforcée par des prélèvements sociaux trop douloureux qui empêchent de faire venir les meilleurs joueurs. Les solutions sont pourtant simples : imaginer un meilleur taux de remplissage des stades qui passerait de 75% à 90%, augmenter le prix des places, réduire les charges sociales des footballeurs, libéraliser la législation sur les paris en ligne et l’alcool, et le tour sera joué. Bien évidemment, nous ne sommes plus des enfants, la beauté du geste, l’attrait sportif, l’accès du plus grand nombre, l’équité, la solidarité n’ont pas leur place.
Nous demandons à voir. Des parlementaires chagrins ont relevé que la législation relative au droit à l’image est une dépense dans le budget de l’Etat, donc des contribuables, et que la dépense « n’est pas maîtrisable, car elle dépend de l’évolution de la masse salariale des sportifs professionnels bénéficiaires ; qu’elle pèse, au fil des années de plus en plus lourdement sur le budget du programme “Sport”, qui doit rembourser l’ACOSS. Ainsi, pour 2008, 32 millions d’euros ont été budgétés à ce titre sur un programme dont les crédits ne s’élèvent qu’à 207 millions d’euros. Enfin, l’efficacité de cette dépense mérite d’être sérieusement relativisée. Le rapport d’information a montré qu’elle représente pour les clubs un avantage de l’ordre de 3% de leur budget, ce qui ne comble pas l’écart entre les clubs français et leurs concurrents européens quand il s’agit d’attirer ou de retenir des joueurs. Il ne revient d’ailleurs pas aux finances publiques de combler un tel écart » (rapport n°255 du Sénat par M. Sergent, sénateur, session 2007/2008).
De la même façon, il serait instructif de s’interroger quant au parrainage sportif par des sociétés de paris lorsque le public n’a pas assez d’argent pour se rendre au stade et par ricochet serait tenté de jouer l’argent qu’il comptait investir dans une place au stade, ou encore quant à la publicité pour des boissons alcooliques quand dans le même temps le rapport Besson décrit les stades de ligue 1 comme pas assez sécuritaires. On serait aussi assez curieux de savoir ce qui motiverait le public à se rendre en masse au stade (pour faire passer le taux de remplissage de 75% à 90%), payer plus cher la place, et devoir subir l’exposition obsédante de la marchandise dans les galeries commerciales entourant des stades neufs.
La récente intervention du Président de la République, Nicolas Sarkozy, présentant ses priorités au Parlement européen dans le cadre de la Présidence Française de l’Union européenne (de juillet à décembre 2008), le 10 juillet 2008, mettait en lumière le point suivant : « Et sur le sport qui est un élément qui transcende les clivages politiques, qu’il me soit permis de dire que j’aimerais qu’il y ait en Europe une exception sportive comme il y a une exception culturelle ». On ne dira rien à propos de la fameuse exception culturelle qui martèle que la culture n’est pas une marchandise et qui justifie des poursuites contre les auteurs de téléchargements illégaux d’œuvres musicales et audiovisuelles, ce qui tend à prouver que le bien culturel est finalement une marchandise. Il semble que la même logique investit le sport qui n’est pas une marchandise, doit faire l’objet d’une exception sportive, mais doit être traité comme un spectacle, soit un bien culturel marchand.
Tout ce qui brille n’est pas or écrivait William Shakespeare dans “Le marchand de Venise”. On aimerait bien qu’Eric Besson revienne à cet adage plutôt que de s’acharner à vouloir devenir le roi Midas du football français. Frédéric Thiriez, le président de la L.F.P, tient déjà parfaitement le rôle.
Jean-François BORNE
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