Huisgonde a écrit:
Vltra a écrit:
«Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. »
Jolie théorie. Mais concrètement, on fait ça comment ?
(ouais j'ai pas lu de La Boétie, m'faut un résumé de la chose)
Concrètement ? Ben on fait rien, justement. La Boétie fustige le principe de la réaction. En gros, la liberté, on ne l'obtient pas par des actes. Oui je sais, c'est assez trash comme affirmation. L'auteur de la vidéo formule une image assez marrante : "être libre ce n'est pas menacer de mettre le feu aux poubelles, puisque de toute façon les poubelles c'est nous qui allons les payer". Penser pouvoir trouver une solution dans la réaction est le début de l'erreur.
La Boétie se positionne là en conseil. Donc concrètement, il nous dirait : si on n'aime pas le méchant oppresseur Amazon, ben on n'achète pas chez Amazon. Et surtout, on ne va pas faire les ouin-ouin sur les réseaux sociaux en criant au loup et en se positionnant en acheteur victime de la distribution dérégulée. Tout simplement parce que ça lui fait de la visibilité à Amazon. Le début d'une alternative libératrice consisterait tout simplement à ignorer ce type de marchand. Parce que la capacité à dire non à quelque chose d'aliénant ne revient pas à crier dans tous les sens ou à monter des actions coup de poing (contre les chaines de distribution d'Amazon, par exemple). Combattre le pouvoir d'Amazon, c'est le servir. Prétendre être libre c'est donc désobéir à la logique hégémonique imposée par Amazon. Là aussi c'est assez simple : ne plus acheter chez Amazon, c'est cesser d'agir conformément à son plan de développement. Sans ressource, Amazon serait alors démuni.
Le tyran Amazon sait qu'il est un tyran, il n'attend pas qu'on lui signifie pour renoncer à l'être. Amazon est parfaitement conscient qu'il dérégule tout, puisque c'est son modèle sociéto-économique ! Là, on enfonce une porte ouverte qu'Amazon n'a jamais prétendu fermer.
La Boétie reste malgré tout assez bienveillant, car en effet c'est compliqué de nous opposer à un truc aussi pratique qu'Amazon. Il y a une flemme latente, alimentée par nos mauvaises habitudes de consommation, qui nous interdit de refuser ce commerce et ainsi de nous libérer de ce qui nous aliène. D'un côté, nous regrettons le conseil des libraires, mais de l'autre, nous nous adapterons toujours à l'offre d'Amazon tant qu'on aura pas le temps, la force intellectuelle et la ressource morale de nous y opposer. Et puis, faut bien l'avouer, après avoir plus ou moins ouvertement abusé des services d'Amazon, nous positionner en victime sur les réseaux c'est aussi nous rendre disponible à l'attention et à la compassion d'autrui. Ils sont à la fois pratiques et confortables nos twitts d'indignation. Le fait de faire savoir que nous sommes victime nous soulage et nous exonère de responsabilité. "Regardez comme nous sommes otages de la distribution, mais c'est pas nous le problème, c'est le modèle d'Amazon le problème". Pour La Boétie, chez "l'oppressé volontaire", la passivité critique est convertie en gratification symbolique : "Je suis l'oppressé". Et, quand nous affirmons sur les réseaux "Je suis Libraire indépendant", c'est pas uniquement par compassion pour la profession, mais c'est aussi pour s'attribuer le bon rôle : celui du gentil contre les méchants.
À l'époque de La Boétie, ne pas prêter une sur-attention aux abus de pouvoir, c'était les combattre habilement. Au fond, réagir revient paradoxalement à courber l'échine. C'est admettre qu'on est oppressé et ça valide et alimente le rapport servile. On ne se débarrasse pas d'un fardeau en le combattant, mais en le lâchant. La Boétie tente d'instaurer la révolution tranquille. En gros, le problème du quidam qui se plaint de servitude réside dans son absence de réalisme, de pragmatisme. L'idéalisme qui consiste à croire qu'il faudrait théoriser un modèle politique juste et vertueux pour qu'on se mette à l'appliquer est un aveu de naïveté. Le modèle politique théorisé, tant qu'on a pas le pouvoir, ça reste une belle théorie. Là, La Boétie redoute déjà une éventuelle enfumade révolutionnaire : le sacrifice du peuple servira uniquement les intérêts de ceux qui combattent le pouvoir pour mieux le remplacer.
En gros.