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LE MONDE | 29.06.2018 à 08h46 • Mis à jour le 29.06.2018 à 11h00 |
Par Alexandre Pedro
Paul Pogba, joueur et objet médiatique insaisissable
En club ou avec les Bleus, il attire la lumière et les critiques. Le milieu compose alors avec ce décalage entre son image et ses performances.
Sauf sur la pelouse, les choses vont très vite avec les Bleus depuis leur arrivée en Russie pour cette Coupe du monde. Les supplétifs Lucas Hernandez et Benjamin Pavard sont ainsi devenus des titulaires indiscutables, le « chouchou » Antoine Griezmann ne l’est plus trop, le loquace Kylian Mbappé boude les médias et plus personne n’ose remettre en cause le statut de Paul Pogba.
En huitième de finale contre l’Argentine (samedi à 16 heures, à Kazan), le retour du milieu de terrain – dispensé du pensum danois – est attendu pour amener un peu de vie à cette jeunesse de France qui a pris un coup de vieux. Oubliez la vox populi des matchs de préparation donnant Corentin Tolisso comme une alternative potentielle à « La Pioche », le joueur du Bayern Munich s’est heurté à la dure réalité d’un Mondial contre l’Australie. Pogba, 25 ans, est, lui, crédité au casting des trois buts des Bleus dans ce Mondial, soit dans le rôle de l’avant-dernier passeur ou de celui qui pousse un défenseur australien à marquer contre son camp. Fin de la discussion ?
Sauf que depuis ses débuts en 2013, la carrière en équipe de France de Paul Pogba a toujours été l’histoire d’un décalage entre ses performances sportives et son image. Celle du footballeur le plus cher du monde (105 millions d’euros, le prix de son transfert en 2016 à Manchester United) avant l’arrivée de Neymar au PSG ; ou encore du garçon capable de déclarer à ses débuts vouloir remporter deux Ballons d’or et modestement « devenir une légende et être le plus grand milieu de l’histoire ». Le tout avec un goût pour la troisième personne du singulier.
Un potentiel marketing qui s’effrite
Le 24 juin à Istra, Pogba l’a joué plus modeste pour une conférence de presse événement. Forcément. Depuis quatre ans et le Mondial au Brésil, le Mancunien disposait d’un mot d’excuse pour sécher l’exercice. Comme si Didier Deschamps redoutait la nature extravertie et le « mode Floyd Mayweather » revendiqué par son joueur. Mais à la différence du boxeur multimillionnaire, Pogba ne se balade pas avec des liasses de dollars sur lui. Face à des journalistes qu’il était « heureux de revoir », il a passé l’examen de séduction haut la main, à l’aise dans ses baskets, la casquette « FFF » vissée sur la tête et distillant quelques petites phrases faciles à reprendre (« Touchez pas à mon Grizou », « Je suis moi, je ne joue pas un rôle »).
Le charisme et l’aisance sont des qualités impossibles à travailler à l’entraînement. Paul Pogba brille de loin sans forcer. Adidas ne s’y est pas trompé en lui offrant un contrat record et longue durée (on parle de dix ans) à l’été 2016. Pour la marque aux trois bandes, le Français doit devenir une légende. « Comme Jordan, Beckham et Federer, ces supersportifs devenus des supermarques », note Loïc Ravenel, chercheur analyste à l’Observatoire du football de Neuchâtel. En 2017, le site américain SportsPro, spécialisé dans l’économie du sport, désigne le gamin de Torcy (Seine-et-Marne) comme le troisième sportif au potentiel marketing le plus important au monde derrière la star de la NBA Stephen Curry et le boxeur Anthony Joshua. SportPro justifie ainsi son choix : « Le football organise des auditions pour trouver le successeur de Lionel Messi et Cristiano Ronaldo, et le couronnement de Paul Pogba n’est plus très loin. »
Sauf que le compte n’y est toujours pas. L’Argentin et le Portugais sont encore irremplaçables, alors que Pogba sort d’une saison moyenne avec Manchester United. En février, José Mourinho lui réserve un passage par le banc de touche au profit d’un parfait inconnu : Scott McTominay. « Coupe de cheveux normale, pas de tatouage, pas de grosse voiture, pas de grosse montre, humble », vante le manager qui décrit surtout là le parfait négatif d’un Pogba à la versatilité capillaire assumée. La tête de gondole d’Adidas est peut-être un phénomène sur les réseaux sociaux, il arrive « toujours un moment où l’image se confronte au réel », rappelle Loïc Ravenel. Et dans son cas, « on est encore face à une mise en valeur à travers l’image, les réseaux, les contrats publicitaires et un potentiel supposé ».
« Potentiel », le mot lui colle au short depuis le centre de formation du Havre. « On a toujours parlé de Pogba comme le joueur en devenir, le diamant brut. Tout ce sur quoi repose sa valeur marketing, c’est un capital qui s’effrite. Il est de moins en moins jeune, son potentiel tarde à se confirmer », observe Boris Helleu, maître de conférences à l’université de Caen et spécialiste du marketing du sport. Pour le chercheur, Paul Pogba tient même du parfait cas d’étude. « Le marketing est un outil pour créer de la valeur. Avec lui, c’est l’inverse : on est parti de sa valeur financière – c’est-à-dire son transfert à Manchester essentiellement – pour en faire un objet marketing. On a appliqué le même pari que sur l’économie du football actuel, c’est-à-dire qu’on est resté sur la lecture du potentiel. »
L’intéressé gère plus ou moins bien ce décalage entre sa très chère image et ses performances. D’un côté, il met en scène sa vie avec la « PogSérie », programme court proposé par Canal+ ces derniers mois où le joueur reçoit dans sa « PogHouse » et se détend devant son « PogCinéma ». Le malaise est palpable. De l’autre, il réclame à être noté pour son travail, soit celui d’un milieu de terrain relayeur. « On me compare avec des 10, des attaquants… Je suis un numéro 8 et je dois être jugé comme tel », explique-t-il le 5 juin à France Football.
Voilà sans doute le cœur du malentendu. Par son poste, Pogba ne peut se réduire à des buts marqués ou des passes décisives comme les Ronaldo, Messi ou Neymar, mais il n’est pas non plus un simple travailleur de devoir. Quand il explose avec la Juventus Turin en 2013, ses frappes lointaines (pied droit, pied gauche) et ses arabesques font le bonheur des utilisateurs de Vine, éphémère application mobile de vidéos de six secondes tournant en boucle. Dans la discrète citée piémontaise, son personnage détonne. Les supporteurs l’adorent, mais son entraîneur, Massimiliano Allegri, lui supplie de ne pas « rechercher en permanence à démontrer qu’il est un phénomène ». Lui reprend la troisième personne du singulier pour dire dans son entretien à France Football que « Paul est comme ça et qu’il peut tout faire ». Pas facile à suivre.
Pogba et la « critique dominante »
Mais si, dans le fond, « Paul » défendait une vision légère du football, où ce qui se passe loin du terrain ne le concerne que lui, ses proches et ses 23,7 millions d’abonnés sur Instagram ? Pourquoi faudrait-il être sérieux comme un pape avant un match, après tout ? « Je me rappelle quand je jouais à l’US Torcy. On allait en groupe manger un grec avant le match et on battait l’équipe 6-0. » Derrière l’anecdote toute en nostalgie livrée pendant sa conférence de presse, Pogba défend l’idée que le professionnalisme, les attentes ou un salaire hebdomadaire estimé à 326 000 euros n’ont pas changé sa nature profonde. Celle d’un garçon qui prend le foot comme un jeu.
Une fraîcheur qui séduit ou irrite au moment de revêtir le maillot de l’équipe de France. Tout serait une question d’âge ou de « cible », à en croire Boris Helleu. « La critique dominante sur lui, c’est qu’il ferait mieux de se concentrer sur le terrain plutôt que de faire le malin sur Instagram, observe l’universitaire. Mais qui la construit ? Ceux qui détiennent la parole dans les médias, des hommes d’un certain âge, des “experts” du foot. Mais ils ne parlent pas au public de Pogba qui est plus jeune, surtout présent sur les réseaux sociaux et vient plutôt chercher une résonance lifestyle, une attitude avec lui. »
Pourtant, un indice laisse penser que le showman a un peu mis de côté les paillettes pendant son séjour russe. Habitué à proposer une nouvelle « #Poghair » toutes les deux semaines, Pogba arbore une coupe sage d’un brun très naturel. Une sobriété qui cache sans doute son envie d’être avant tout considéré comme un joueur essentiel des Bleus, comme ça avait été le cas lors de l’Euro 2016 à partir des matchs couperets. « Moi, je fais mon boulot sur le terrain, c’est tout ce qui compte », rappelait-t-il devant les journalistes à Istra. Simple et à la première personne du singulier.
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Tel est mon bon plaisir.
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