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En parallèle du PS, Benoît Hamon mise sur une «campagne intello» 16 mars 2017 Par Lénaïg Bredoux
Le candidat socialiste s’est entouré de nombreux chercheurs dans son équipe de campagne pour contribuer au programme présenté ce jeudi 16 mars. Une rupture de plus avec le quinquennat de François Hollande.
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La scène est peu banale, dans un monde politique où l’on se vante parfois de ne plus lire de livres. Vendredi 10 mars, Benoît Hamon présente son projet de traité budgétaire pour la zone euro à la Maison de l’Europe, à Paris. Le dossier est aride, mais crucial. Il cède finalement la parole à l’un de ses conseillers, celui qui a tenu la plume pour ce projet. Et surprise : ce n’est ni un haut fonctionnaire, ni un apparatchik socialiste. Il n’a pas été membre d’un cabinet ministériel sous Lionel Jospin, et ne figure pas sur la liste de la promotion Voltaire ou Senghor de l’ENA. Il est mondialement connu, certes, mais il est universitaire. Il s’agit de l’économiste Thomas Piketty.
Ce même jour, quand l’auteur du Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013) prend le micro pour répondre à la presse, il s’empresse de rendre hommage à d’autres universitaires. « Jamais, à ce niveau de responsabilité, un homme politique n’a présenté un projet aussi détaillé de traité, y compris sur le plan juridique », insiste Piketty, en présentant Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense, Guillaume Sacriste, maître de conférences en science politique à Paris I, et Antoine Vauchez, sociologue et directeur de recherche au CNRS. On les avait repérés dans la salle quand, au beau milieu des journalistes, ils avaient applaudi le discours de Benoît Hamon. « Interrogez-les, ils ont beaucoup travaillé », lance Piketty.
Depuis le début de sa campagne pour la primaire, le candidat socialiste a choisi de s’entourer de chercheurs, en les mettant en avant, pour incarner un des visages de son « futur désirable ». Son organigramme est depuis devenu pléthorique, mais y figure toujours en bonne place la « gouvernance citoyenne » avec, par exemple, le climatologue Jean Jouzel, les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty, la philosophe Sandra Laugier et la sociologue Dominique Méda. Plusieurs d’entre eux avaient d’ailleurs pris la parole lors de la convention d’investiture du candidat Hamon, à la Mutualité début février, contribuant (un peu) à casser les codes d’une cérémonie convenue. Ils ont aussi participé au programme qui doit être présenté ce jeudi 16 mars.
« Tout le discours de Benoît Hamon vise à montrer que nous sommes face à de nombreuses transitions, et qu’il faut penser à moyen et long termes, explique le politiste Nicolas Matyjasik, chargé de coordonner le projet du candidat avec l'eurodéputé Guillaume Balas. Comme disait Marx, s’il faut transformer le monde, il faut d’abord le comprendre. C’est ce qui manque parfois en politique. » « Le “futur désirable”, c’est une politique pour tracer des lignes d’horizon, dit encore ce spécialiste des politiques publiques, rencontré entre deux réunions au QG parisien de campagne. Les chercheurs peuvent éclairer les prises de décision, et imaginer des solutions hors des cadres traditionnels imposés par le néolibéralisme et le capitalisme traditionnel… »
3496-225x270 Nicolas Matyjasik est lui-même professeur à Sciences-Po Lille et a travaillé à l’Institut de la gestion publique et du développement économique qui dépend du ministère des finances. C’est d’ailleurs à Bercy qu’il a rencontré Benoît Hamon, ministre délégué à l’économie sociale et solidaire (ESS), de 2012 à 2014. « Il m’avait demandé d’organiser un colloque sur l’ESS », raconte Matyjasik. L’événement, organisé en 2013, a finalement fait l’objet d’un livre collectif, préfacé par le ministre de l’époque. Hamon écrit déjà : « Nous sommes dans une période de bouleversements, de grands questionnements, de flou quant au fonctionnement de l’économie et de la société. Face à un monde nouveau, rien ne serait pire que de se résigner à l’inaction ou se contenter de recettes toutes faites, d’idées éculées et de concepts vieillissants. Aujourd’hui, les cartes sont rebattues, la crise secoue les certitudes et il nous faut en tirer des leçons pour penser différemment. »
Loin de l’image qui lui colle parfois à la peau d’un apparatchik de congrès socialiste, « Hamon est très intéressé par les sciences humaines et sociales, assure Matyjasik. Il lit, il réfléchit. Entre sa carrière politique, le think tank qu’il avait créé [La Forge, aujourd’hui disparu – ndlr], l’ESS, tout cela s’est agrégé… ». Sans compter le petit groupe qui s’est appelé « Les Grecs », en opposition aux Gracques, ces hauts fonctionnaires d’inspiration libérale, et qui a « nourri la réflexion ». « Ils se sont mis en mouvement en janvier 2016, pour produire de la réflexion », rapporte Matyjasik. On retrouve deux animateurs des « Grecs » dans l’équipe de campagne, tous deux passés par le cabinet de Hamon à Bercy : Hadrien Bureau et Emma Ghariani.
« Il y a tout un écosystème autour de Benoît Hamon, qui se connaît bien », explique l’économiste Thomas Porcher, qui est passé de l’équipe de Duflot pendant la primaire écologiste à celle de Hamon. La plupart se suivent depuis l’appel à une primaire de toute la gauche, publié il y a plus d’un an dans Libération : figuraient déjà parmi les premiers signataires Thomas Piketty, Julia Cagé, Dominique Méda, Thomas Porcher, Antoine Vauchez… On retrouve aussi les économistes Aurore Lalucq, de l’Institut Veblen, ou « l’école lilloise » avec Nicolas Postel.
La plupart d’entre eux avaient déjà appelé à voter pour François Hollande en 2012, mais ils s’étaient éloignés depuis. Croisés au fil du quinquennat, plusieurs juraient même que plus jamais on ne les reprendrait à contribuer à la campagne du PS.
Extrait de l'organigramme de Benoît Hamon Extrait de l'organigramme de Benoît Hamon
L’économiste Julia Cagé a donné rendez-vous au café qui fait face au QG de Benoît Hamon, dans le centre de Paris. Elle travaille depuis plusieurs semaines sur la finalisation du revenu universel de Benoît Hamon. En 2012, elle avait la signé la tribune des économistes pour Hollande, mais sans trop de conviction. C’était, dit-elle, un « vote par défaut ». Mais elle était à la Bastille le jour de la victoire du socialiste. « J’avais ce rêve de gauche… J’ai voté pour la première fois en 2002. »
« En réalité, il y a eu une responsabilité en amont des intellectuels qui n’ont pas été assez exigeants avec François Hollande. On l’a soutenu sur un programme un peu flou. Et on s’est fait avoir. » Là, juge Cagé, « Benoît Hamon redonne de l’espoir. Car si Valls avait gagné la primaire, j’aurais voté Mélenchon ». D’ailleurs, prévient-elle, elle ne travaille pas pour le PS : « Ce n’est pas un engagement par rapport au parti. C’est derrière une personne, et des idées. »
La sociologue Dominique Méda qui, comme Piketty, avait déjà été de la campagne de Ségolène Royal en 2007, n’est pas non plus « hyper intéressée par les appareils ». Mais elle l’a soutenu à la primaire : « La candidature de Benoît Hamon me semblait symboliquement importante : il tenait ensemble la question écologique et la question sociale et il faisait donc prendre au PS un tournant écologique radical. Cela me paraît essentiel. »
« À cause de la deuxième partie du quinquennat, je m’étais dit que je ne voterais plus pour le PS, dit aussi l’économiste Thomas Porcher. Mais Hamon porte un programme de rupture, avec une vraie prise de risque. Bien sûr, il y a eu les trahisons de François Mitterrand et de François Hollande. Certains disent “jamais deux sans trois”. Mais là, j’ai le sentiment qu’on ne peut plus nous refaire le coup. Pas avec un programme aussi fort, pas après ce quinquennat. En tout cas, si Hamon gagne et qu’il trahit, je crois que je ne voterais plus jamais. En attendant, je laisse une chance supplémentaire. »
121955-couverture-hres-0 D’autres sont moins radicaux, mais tous partagent la même méfiance vis-à-vis de l’appareil socialiste. C’est pour Hamon qu’ils travaillent, même s’ils le connaissent depuis quelques mois seulement. Julia Cagé a découvert Benoît Hamon cet automne. « C’était pour parler médias », l’autre champ de compétences de l’économiste, auteure de Sauver les médias (Seuil, 2015). « C’est le seul qui a pris position sur la grève à I-télé ; ça m’a plu. Et puis c’est une personne intelligente, gentille. Il veut vraiment faire entrer des idées dans la campagne… On peut penser », vante Cagé.
Le chercheur en sciences politiques François Gemenne, chargé de l’écologie et des migrations, a rencontré Hamon par l’intermédiaire de la députée PS Barbara Romagnan. « Beaucoup de gens dans la campagne sont venus comme ça, pas parce qu’ils étaient socialistes mais par quelqu’un de leur entourage, explique-t-il. Fin novembre, on s’est vus une heure et demie, on a parlé de la crise des réfugiés et il a repris ma proposition sur les visas humanitaires. J’ai été plaisamment surpris qu’il aille écouter les chercheurs. Notamment sur l’immigration, c’est très rare. »
« Le rôle des chercheurs est avant tout de servir la société »
Sandra Laugier, professeure de philosophie à Paris I, coordonne le « forum des idées » dans la campagne et promeut la « gouvernance civile et citoyenne ». le-principe-democratie
Elle a rencontré Hamon via son conseiller Nicolas Matyjasik en octobre et a, elle aussi, accepté d’intégrer l’équipe « parce que c’est cette campagne, et parce que c’est Benoît Hamon », dit-elle. Élogieuse sur le candidat (« ultra sympa », « direct »), elle y voit « l’occasion de montrer que le fonctionnement d’une équipe de campagne peut être exemplaire de ce qu’on veut comme fonctionnement démocratique », explique la coauteure de Le Principe démocratie – Enquête sur les nouvelles formes du politique (La Découverte, 2014).
Sandra Laugier rêve ainsi de voir partout en France s’organiser des réunions pour débattre et enrichir le programme, et que chacun s’approprie la campagne dans une forme d’“empowerment” citoyen pour la présidentielle. « Ce n’est pas encore “occupy PS” mais cela devrait être ça ! » Au QG de campagne, elle organise des débats rassemblant des intellectuels et des militants – le 2 mars, c’était à propos de la taxe robots du candidat.
Une cinquantaine de personnes étaient assises en rond sur des chaises blanches, sans estrade ni prééminence trop évidente, pour contribuer à une « campagne fondée d’abord sur des idées, et sur l’intelligence collective », où l’on ferait le pari de « la conversation ». On y a parlé polysémie des robots (Raja Chatila, directeur de recherche au CNRS), des « prophètes qui annoncent n’importe quoi » (Dominique Cardon, historien), « des peurs de la société » (Laurence Devillers, auteure de Des Robots et des Hommes) et de la « transformation du contenu du travail » (Dominique Méda, philosophe et sociologue). « Est-ce vraiment des appareils ? », s’est interrogée Sandra Laugier, en modératrice. On y a débattu de la taxe – certains ont expliqué qu’il vaudrait mieux parler de taxation de la valeur ajoutée. D’autres ont lancé le débat sur les données. Ou sur la définition du travail. « Ces propositions de la campagne sont aussi des outils pour penser », a conclu Laugier devant des militants parfois déboussolés, qui manquent d’argumentaires classiques pour défendre le programme du candidat.
Dans Le Savant et le Politique en 1919, Max Weber définissait déjà « deux façons de faire de la politique » : « Ou bien on vit pour la politique ou on vit de la politique. » Mais les deux profils, intellos et apparatchiks, peuvent-ils cohabiter dans une même campagne ? Les chercheurs autour de Hamon rêvent en tout cas d’articuler leurs travaux avec la vie publique. « Comme intellectuels, cela fait partie de notre rôle de participer à la politique. On a aussi du temps pour ça », estime Julia Cagé, économiste à Sciences-Po Paris. La jeune femme a étudié Sartre. « Je suis fascinée par la figure de l’intellectuel engagé. Mais j’ai arrêté de le théoriser. » Elle dit simplement : « J’ai envie d’une gauche qui gagne et qui change le monde. C’est le pouvoir de la politique d’améliorer la vie des gens. Et c’est aussi pour ça que je fais de l’économie et de la recherche. »
« Le rôle des chercheurs est avant tout de servir la société et le bien public, estime également François Gemenne, chargé de l’écologie et des migrations dans l’équipe de campagne. Dès que je suis sollicité par un parti démocratique, nous avons le devoir de l’assister. » L’universitaire belge, qui n’a pas le droit de vote à la présidentielle, n’a pas « d’exclusive » a priori – il doit d’ailleurs participer prochainement à un débat organisé par les Jeunes avec Macron. « Benoît Hamon utilise nos noms. En échange, on peut faire exister une série d’idées qu’on trouve importantes. C’est un deal qui me va », explique Gemenne.
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« Dans cette campagne, le monde intellectuel pas médiatisé voit aussi une chance d’être visible et de mettre en œuvre ses idées », confie Sandra Laugier, très critique de la figure de l’intellectuel médiatique, « en surplomb » et donc dans un rôle « forcément de droite, qui accentue la domination masculine, et se confond avec l’image charismatique de l’homme politique ». « Ces figures sont en train d’être ébranlées », dans le champ politique comme dans celui de l’université, estime la philosophe. « Depuis les attentats notamment, de nombreux collègues qui pensaient qu’il n’était pas bien de s’engager, ont envie de faire quelque chose. L’idée revient qu’être utile, c’est normal et c’est bien », dit-elle.
Pour l’instant, les universitaires que nous avons interrogés jurent que, dans l’organisation parfois brouillonne de la campagne, ils conservent une vraie liberté et, pour certains, un accès direct au candidat ou à la direction de campagne. Ils n’ont pas l’impression d’être des alibis ou des faire-valoir, même s’ils ont commencé à se frotter aux réunions du comité politique auxquelles ils sont conviés. « C’était antipathique », dit joliment l’un d’eux. « Ce qui me refroidit par avance, c’est l’appareil du PS », avoue Julia Cagé, qui « déteste les réunions interminables qui ne décident rien ».
« Mais pour l’instant, on n’est pas contraint par l’appareil, témoigne l’économiste. Nos notes ne sont pas validées 20 fois avant d’arriver au candidat. Là, on est en direct. Il y a un vrai respect de notre travail. Ça donne envie de bosser ! » « C’est étonnamment peu organisé mais c’est un souhait que ce soit spontané, confirme François Gemenne. On m’a dit de faire ce que je voulais, et d’apporter des idées. »
la-mystique-de-la-croissance-comment-s-en-liberer « J'ai l'impression que les chercheurs retrouvent une certaine place et que, pour une fois, ils ne sont pas instrumentalisés mais ont une certaine liberté pour amener leurs idées, dit aussi Dominique Méda. C'est essentiel. Il y a une réserve immense de savoir et de connaissances dans nos universités et chez nos chercheurs. Si nous arrivons de surcroît à faire le lien avec les mouvements citoyens et avec les différents mondes du travail, ce sera un très grand progrès. »
C’est d’ailleurs la grande faille de l’organigramme de Benoît Hamon : si plusieurs figures de la société civile sont également engagées à ses côtés, comme l’ancien magistrat Éric de Montgolfier ou Salah Amokrane (ancien des Motivé-e-s), peu d’associatifs et de syndicalistes ont trouvé leur place. « On y travaille », jure Nicolas Matyjasik. Pour le reste, il assume « une organisation non directive » des groupes de travail : « On veut créer des espaces de réflexion, débattre, puis on raffine en éléments plus politiques, puis on soumet à l’arbitrage du candidat. » Avec un espoir : « L’intérêt, c’est aussi ensuite de poursuivre le mouvement. Il faudra capitaliser sur l’envie. » À moins qu’elle ne s’arrête, brutalement, le 23 avril au soir.
Message spécial pour ceux qui "ne voteront plus jamais PS" : « Benoît Hamon redonne de l’espoir. Car si Valls avait gagné la primaire, j’aurais voté Mélenchon ». D’ailleurs, prévient-elle (Julia Cagé), elle ne travaille pas pour le PS : « Ce n’est pas un engagement par rapport au parti. C’est derrière une personne, et des idées. » [...] « À cause de la deuxième partie du quinquennat, je m’étais dit que je ne voterais plus pour le PS, dit aussi l’économiste Thomas Porcher. Mais Hamon porte un programme de rupture, avec une vraie prise de risque. Bien sûr, il y a eu les trahisons de François Mitterrand et de François Hollande. Certains disent “jamais deux sans trois”. Mais là, j’ai le sentiment qu’on ne peut plus nous refaire le coup. Pas avec un programme aussi fort, pas après ce quinquennat. En tout cas, si Hamon gagne et qu’il trahit, je crois que je ne voterais plus jamais. En attendant, je laisse une chance supplémentaire. » Et encore beaucoup d'autre chercheurs "surpris" par un membre du PS si éloigné du comportement d'un "cacique" traditionnel. Franchement, j'adore ce mec et son projet. Mais je sais, je ne suis pas objectif parce que je suis un endoctriné PS (alors que ça sera la première fois que je voterai pour ce parti au premier tour). L'Richos, militant de base, endoctriné et aveugle.
_________________ [...] si j’étais médecin et que je sauve la vie à quelqu’un, et que ce quelqu’un à son réveil se mette à remercier Jésus, j’aurais envie de lui enfoncer une paire de forceps dans le cul en lui conseillant de demander à Jésus de venir les lui enlever.
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