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Les nouveaux convertis du macronisme.Par Mediapart qu'on peut difficilement accuser d'être macrolatre. - Cliquez ici pour faire apparaître le contenu caché
« On va gagner ! » Sous un escalier du Zénith de Lille (Nord), un cri de guerre sonore retentit. C'est la « team ambiance » (sic) qui s'échauffe. Dans deux heures, ces filles et ces garçons, tous très jeunes, lanceront des « Macron président ! » avant que leur candidat n'entre en scène. Les dizaines de bénévoles – les « helpers » en jargon Macron, reconnaissables à leurs tee-shirts blancs siglés au nom du mouvement – organisent l'accueil des invités et préparent les formulaires de don. Devant une pancarte du célèbre hypnotiseur Messmer, une grande bannière blanche fait la pub de Révolution, le livre du candidat à la présidentielle sorti avant Noël.
À l'extérieur, la file s'étire déjà. Ceux qui n'ont pas réservé leur place en ligne tentent de négocier un strapontin avant le show. C'est ainsi depuis des semaines : à Paris – où il a réuni 10 000 personnes porte de Versailles le 10 décembre –, à Nevers, à Clermont-Ferrand, et ce samedi 13 janvier à Lille, Macron remplit les salles. Quelques jours avant, Manuel Valls a péniblement réuni 200 personnes à Liévin (Pas-de-Calais). Avec Jean-Luc Mélenchon, le leader de la France insoumise, tribun couru lui aussi, l'ancien ministre de l'économie Macron est le phénomène de ce début d'année.
Avant que les portes ne s'ouvrent, ça s'agite dans tous les sens. Tout le monde a une tâche bien précise. Planté au milieu du passage avec sa compagne Stéphanie, Jean-Claude, salarié d'un grand opérateur téléphonique, semble un peu intimidé. Aujourd'hui, c'est sa grande première de militant. Il a « toujours aimé la politique, mais pas de façon engagée ». Il était « plutôt PS », mais ça c'était « avant », avant « les chicaneries internes, les flous artistiques réglés sur la place publique », avant ce quinquennat « qui a remis la droite sur pied ». Jean-Claude a « peur du deuxième tour prévu entre Fillon et Le Pen ». En décembre, il a sauté le pas et adhéré à En Marche ! : en avril, il votera Macron au premier tour. On lui a dit de passer avant le meeting, pour aider au cas où. Mais il n'a rien eu à faire : il y a assez de bras. À 17 heures, Emmanuel Macron prend la parole devant 4 000 personnes – « plus que le record de Martine Aubry », glisse son équipe. Dans l'assistance, des vieux et des jeunes et toutes les couleurs de peau mélangées : pas si fréquent dans les meetings.
À cent jours de la présidentielle, l'ancien ministre de l'économie pouponné par François Hollande à l'Élysée joue à guichets fermés. La campagne va connaître bien des péripéties. Rien ne dit que cet engouement se traduira en succès dans les urnes. Beaucoup viennent encore en curieux, mais un bon nombre sont déjà convertis, comme le prouvent une trentaine d'entretiens réalisés depuis cet automne dans les files d'attente des réunions publiques de Macron à Strasbourg, au Mans, à Nevers et à Lille.
Catherine Gasq a une coiffure rock’n’ roll et son mari paie l’impôt sur la fortune. On l’a rencontrée début octobre à Strasbourg (Bas-Rhin), à la sortie du premier meeting régional de Macron. Elle cherchait en catastrophe un hôtel pour la nuit et s’amusait de se retrouver en galère. Ce soir-là, cette sage-femme parisienne avait fait le déplacement pour écouter celui qui « a réveillé » ses « neurones ». Une semaine plus tard, on la retrouvera, toujours aussi accro, dans la file d’attente du meeting du Mans (Sarthe). Catherine est une socialiste pur jus. Elle a voté Hollande en 2012, famille très PS, un de ses oncles a même été député, mais là elle veut « tourner la page ». « Dans ce quinquennat, il n'y a rien à quoi se raccrocher. J'en ai assez de voter contre, marre des politiciens qui en font une profession. » Elle apprécie que Macron cherche à « rassembler sur des idées et pas des étiquettes ». « Le personnage ne me fascine pas, dit-elle, d'ailleurs je n'arrive pas à le cerner. Mais je vote pour une idée, pour un concept : son côté civil. » Autrement dit : il paraît neuf, vient du privé, n'a pas besoin de la politique pour vivre. Que l'ancien énarque et banquier d'affaires chez Rothschild soit aussi une incarnation du « système » qu'il pourfend ne la trouble guère.
Croisée elle aussi à Strasbourg, Geneviève Humbert, qui « gère des contrats dans une entreprise privée », dit la même chose. « Il n'est pas du sérail, il est à l'écoute et n'a pas vécu aux crochets du système. À force de ne plus savoir pour qui on va voter, quand on entend un peu de renouveau et d'énergie, on a besoin de s'y raccrocher. » Plus enthousiaste encore, Valérie Alsat, cheffe d'entreprise au Mans (Sarthe), couvre son mur Facebook de messages de soutien, diversement appréciés par ses amis. Elle a voté « Mitterrand en 1981, Sarkozy en 2007 ». « Je suis transgenre et j'aime bien les gens différents, dit-elle. Macron n'a pas beaucoup d'expérience mais il est extrêmement brillant. »
Bien en avance un vendredi soir de janvier dans l'auditorium de la maison de la culture de Nevers (Nièvre), l'élue municipale Florence Vard, professeure dans un lycée catholique, salue « sa nouveauté, son dynamisme, ses idées ». Figure de la droite locale et « candidate à toutes les élections pendant trente ans », Isabel Gaudin est l'ancienne directrice de la radio catholique RCF. Cette « vieille gaulliste » a voté Juppé et « hésite entre Macron et Fillon » – dont le programme, dit-elle, est « un peu trop dur ». Elle n'a que des compliments à adresser à l’ancien ministre de 39 ans : « Macron connaît l'économie, il a une culture philosophique, une dialectique appropriée, un sens de la communication et de l'argumentation. Il sait s'adresser aux gens calmement. On dirait un héros de Stendhal au XXIe siècle. » Un autre Neversois, Stéphane Monteiro, jeune visiteur médical au chômage, voit carrément en lui le « Kennedy français ». Macron a visiblement le don de faire tomber en pâmoison.
« Les trois quarts n'ont jamais fait de politique »
Dans les files d'attente, costards-cravates et chaussures vernies d'une journée au bureau côtoient les tenues plus décontractées. Le public est plutôt urbain, plutôt classes moyennes supérieures et CSP + : cela reste la sociologie du mouvement, 143 000 adhérents revendiqués à ce jour – l'inscription est gratuite, un simple clic en ligne suffit. Chaque réunion publique attire les notables. À Strasbourg, on le fait saluer l'ancien président de la chambre des experts-comptables, un très vieux monsieur qui l'encourage. Au Mans, Michel, un retraité de la Poste, veste pied-de-poule et cravate sur son tee-shirt En Marche !, reconnaît dans l'assistance le patron du Leclerc et un ancien dirigeant du club de foot reconverti dans les affaires. À Lille, Macron fait applaudir Jackie Lebrun, dirigeant de la chambre de commerce et d'industrie de Picardie qu'il a rencontré lorsqu' il était stagiaire de l'ENA à la préfecture de l'Oise. À Nevers, Isabel Gaudin scanne la salle et distingue « toute la bonne bourgeoisie de Nevers qui vote à droite ».
On croise aussi des gens plus modestes, comme Franck Nicolas, un chauffeur routier de Besançon, rencontré à Strasbourg. Il est « au chômage, le dos foutu », « marcheur » depuis cet été. Un très ancien électeur de gauche. « Ce gars-là, il m'a raccroché à la politique, ça faisait quinze ans que je ne votais pas. La politique française, je pensais qu'il fallait tout détruire, il m'a prouvé le contraire. » Il aime la façon dont Macron « est structuré, limite mécanique ». Il apprécie la démarche – un « diagnostic » des attentes des électeurs puis un programme, annoncé pour fin février. « D'habitude, tu prends un politique, tu le mets en tête d'affiche et tu lui colles un programme. Lui, on comprend son cheminement. Quand il parle, on voit qu'il est dans le vrai. » Les « adhérents » d'En Marche ! sont souvent « intéressés par la politique », explique Emmanuel Constantin, jeune haut fonctionnaire en costume et référent du mouvement dans le Loiret. « Ils sont de gauche ou de droite, les trois quarts n'ont jamais fait de politique. » Comme lui, « affectivement de gauche » mais qui n'avait pas jusqu'ici « une âme de militant ».
6 janvier dernier, à Nevers (Nièvre). Ce vendredi soir, Emmanuel Macron fait sa rentrée. Dans un froid glacial, des dizaines de personnes font la queue en espérant une place. Ça pousse, ça râle, on dirait un matin de soldes dans les grands magasins. La salle de la maison de la culture est pleine, plus de 1 000 personnes. Adhérent d'En Marche !, Pascal Morel, un retraité « de la logistique », s'extasie. « On est dans le fief à Tonton et à Bérégovoy et je n'avais jamais vu autant de monde à un meeting. » Nevers, ancien bastion du socialisme français, est dirigé depuis les dernières élections municipales par un maire sans étiquette, un ancien socialiste élu avec les voix de la droite. Avant que Macron n'entre en scène, l'édile, Denis Thuriot, rend public son soutien : « Il est grand temps, dit-il, de rassembler au-delà des partis. Tout est question de mentalité et de vision, et plus de convictions politiques, qu'elles soient de gauche ou de droite. »
Au pupitre un quart d'heure plus tard, Macron appelle au « rassemblement des bonnes volontés ». Il se présente en homme consensuel qui ouvre les bras, abolit les clivages. « Il se passe quelque chose, dit-il, lorsque des femmes et des hommes, qui s’étaient parfois combattus ou qui ne croyaient plus dans l’action publique se retrouvent dans une même salle, pour penser, partager, vouloir agir ensemble et transformer le pays. »
À Lille ce week-end, Macron a redit la même chose. Il a promis de ne pas s’arrêter « aux clivages, à tout ce qui jusqu'ici bloquait le pays, aux vieilles habitudes, aux corporatismes » : « Ça ne veut pas dire que nous pensons la même chose sur tout, mais ça veut dire que nous sommes las d'entendre les chicayas, d'être pris ensemble dans cette comédie humaine des petits jeux. Ce qui nous rassemble, c'est de faire, de faire ensemble, de faire entrer la France dans ce siècle nouveau, de donner à chacune et à chacun sa place. » Dans le même discours, il a réussi le tour de force de rendre à la fois hommage à Martine Aubry et à Roger Salengro – maire socialiste de Lille, qui s’est donné la mort en 1936 après une campagne calomnieuse de la presse d'extrême droite –, mais aussi au général de Gaulle, au président de la région Xavier Bertrand, ou à l’ancien ministre et maire de Valenciennes Jean-Louis Borloo.
Syncrétisme des références, syncrétisme des propositions. Macron pioche des idées de-ci, de-là. Il parle d’« émancipation » des individus, veut « libérer » mais aussi « protéger ». Il fait huer le Front national. Il fait applaudir l'Europe et les patrons qui prennent des risques. En attendant son programme, il occupe le terrain avec quelques idées simples, toujours très applaudies : réduire « l'incontinence normative », rembourser les lunettes et les prothèses dentaires à 100 %, supprimer le RSI honni par nombre d'indépendants, donner la possibilité de toucher le chômage après une démission, etc.
« Il est tout neuf, on ne peut pas savoir »
Sa « révolution » esquisse un projet très libéral où un chômeur (mieux formé, promet-il) devra accepter l'offre d'emploi proposée et où le code du travail sera intégralement négocié dans les branches et les entreprises. Ce cocktail lui vaut dans une partie de la gauche une image de grand casseur. Mais c'est exactement ce que son public lui demande. Il faut « rendre un peu plus souples les choses, libéraliser le travail, rendre possible le droit à l’échec pour ceux qui entreprennent », souffle Stéphane Monteiro, le visiteur médical de Nevers qui a toujours voté à gauche. « S'il est élu, c'est clair que tout ne sera pas tout rose », dit Catherine Priez, assistante de direction retraitée qui vit « dans un hameau » de la Nièvre. « Les adhérents le savent : il sera obligé de prendre des décisions difficiles mais incontournables. Et en même temps, dans son discours, il y a de l'espoir. Il est où, l'espoir, chez les autres ? »
Pour ses aficionados, Macron représente une promesse encore vague : une sorte de modernité libérale à la sauce française, un remède magique qui jetterait par-dessus bord les vieilles lunes réactionnaires de la droite, couperait les ponts avec la tradition marxiste d'une partie de la gauche, éloignerait les angoisses identitaires, conjurerait la menace du Front national. La promesse, aussi, de sortir ces visages de politiciens vus et revus. Mais sans renverser la table, avec ce Macron si bon élève et propre sur lui. « Il dit aux Français mécontents : vous avez la possibilité de reprendre la maison », s'enthousiasme Pascal Morel, le retraité de Nevers bénévole d'En Marche !. Lui aussi, c’est son premier engagement.
Dans ses meetings, Macron lance à la foule « nous sommes des rêveurs ». Mais il parle d'abord aux réalistes, « culturellement » de gauche pour la justice et la solidarité mais rebutés par les positions d'un Mélenchon, voire d'un Montebourg. Comme Valérie Alsat, la patronne trans croisée au Mans, qui veut surtout de l'efficacité économique et une « écologie rationnelle » ne bazardant pas trop vite le nucléaire. Comme Magali Touvron, « fille de gauche déboussolée par ce quinquennat », rencontrée au même meeting. Elle avait voté Sarkozy en 2007, cette fois elle veut « donner un coup de pied dans la fourmilière ». Elle dit : « On est au bout du système, je ne suis pas révolutionnaire mais j'ai envie que les choses bougent. Il a allumé un petit truc chez moi, reste à savoir si ça va s'embraser. »
Macron séduit les anciens de Désirs d'Avenir, ces « ségogols » moqués par les caciques du PS qui constituaient la base militante de Ségolène Royal en 2007 – celle-ci ne cache plus son soutien à l'ex-secrétaire général adjoint de l'Élysée. Il attire des centristes et une partie de cette droite modérée, européenne et libérale qui a largué les amarres avec le sarkozysme et se méfie du conservatisme de Fillon. Un pied dans le plâtre, Jean-Michel, commercial gouailleur, a parlementé comme un marchand de tapis pour entrer au meeting de Strasbourg. « Ce mec, je le trouve extra, c'est un visionnaire », dit cet ancien conseiller municipal UDF d'une petite ville des environs, dégoûté par « les attributions de marché locaux pipées d'avance » et ces « politiques qui se lancent des noms d'oiseau ».
Macron, c’est un de ses atouts, plaît aussi aux jeunes. En tout cas à certains jeunes, pas les plus modestes ni les plus déconnectés de la politique, qui ont envie de s'engager et sont moins attachés à un camp que leurs parents. À Strasbourg, avant le meeting, on a rencontré Quentin Hellec, 21 ans, tee-shirt En Marche ! sur le dos. Étudiant « en éco », enfant de la classe moyenne (père ingénieur, mère infirmière scolaire), il se dit « de gauche » – pour le « social, le respect et la tolérance » – mais juge le PS « enfermé dans des questions pas toujours pertinentes » et tance les « écolos bobos ». On a croisé aussi Samuel Boggio, 19 ans, en première année de sciences politiques à Strasbourg, dont le compte Twitter est orné d’une photo… de Raymond Barre. « Ça fait des années qu'on nous bassine avec l'insécurité mais l'économie, le numérique, l'innovation, c'est plus important, dit-il. Ce qui m'a plu chez lui, c'est l'Europe, son idée que le système bipartisan est dépassé. » « Plus à droite » sur les questions économiques que ses parents, il s'écharpe avec son père qui, lui, tient au code du travail. Socialement, il est « ultralibéral : pour la gestation pour autrui, pour le droit de porter le voile ».
Salah Matoussi, lui, n'est pas diplômé mais il est de tous les meetings. Il vient de fêter ses 18 ans, a arrêté le lycée l'an dernier, veut être « autodidacte », peut-être lancer « un service de création de mobilier sur mesure en impression 3D ». En avril, il va voter pour la première fois. En Macron, il apprécie la « capacité à apprendre d'un monde qui change : il n'a pas des idées qui datent de quarante ans ». « De confession musulmane », Salah trouve aussi que son champion a « redonné un sens à ce qu'est la laïcité » : « Il est rassembleur, pas dans la crispation ni la confrontation. » Depuis l'automne, il est devenu référent des « Jeunes avec Macron » en Essonne et passe trois jours par semaine au « QG » de Macron dans le XVe arrondissement de Paris. « On est en train de créer un “bot” [logiciel de conversation automatisé – ndlr] pour répondre automatiquement en ligne aux questions que les gens se poseront sur le programme. On travaille avec un codeur de malade ! », dit-il, enthousiaste.
Salah est à fond. Comme beaucoup d’autres, il a envie de croire à l’histoire que raconte Macron : un « outsider » du « système » qui, tel l’homme providentiel, va réconcilier les Français et relancer l’économie. Macron brille. Macron attire. Il est le réceptacle d’attentes parfois contradictoires. À Nevers, la professeure Florence Vard a bien résumé la situation : « Va-t-il retourner sa veste comme beaucoup d’autres ? Il est tout neuf, on ne peut pas savoir. »
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