Le premier ministre, Manuel Valls, en a fait un argument massue pour justifier le programme de stabilité et la réduction de 50 milliards d'euros de la dépense publique : « Depuis plus de trente ans, nous vivons au-dessus de nos moyens. » Le rapprochement qu'il effectue avec l'endettement de la France sous-entend que la dépense publique est la cause première de la dette publique.
Faux, répond le groupe d'économistes de gauche et de syndicalistes constitué au sein du Collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), qui a publié, mardi 27 mai,
une étude analysant les composantes de la dette publique.L'explication – ou plutôt les explications – réside ailleurs : des recettes dont s'est privé l'Etat « en multipliant les cadeaux fiscaux » depuis le début des années 2000 et des taux d'intérêt excessifs auxquels l'Etat s'est financé. Ces deux facteurs, à eux seuls, contribuent pour 59 % à l'actuelle dette publique.
En trente ans, ont calculé ces économistes, la part des recettes de l'Etat dans le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 5,5 points. Si cette part était restée constante, la dette publique serait inférieure à son niveau actuel de 24 points de PIB, soit 488 milliards d'euros.
Si l'Etat, parallèlement, avait emprunté au taux réel au lieu de recourir aux marchés financiers, le niveau de la dette serait inférieur de 29 points de PIB, soit 589 milliards. A cela s'ajoute celui de l'évasion fiscale, estimé à 20 % de la dette de l'Etat en 2012.
Lire notre décryptage : Dette : les choix de l'Etat sont-ils pertinents ?
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« Il faut combattre l'idée que le déficit provient des dépenses excessives, assure Michel Husson, membre du conseil scientifique d'Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), qui a coordonné ces travaux. Elles ont au contraire un peu baissé, de 2 points en trente ans, en proportion du PIB. Le problème vient des recettes. En fait, en baissant les recettes, on fabrique du déficit. »
L'étude démontre ce mécanisme d'alternance entre gonflement du déficit du fait de la baisse des recettes puis réajustement par le freinage des dépenses. « La tendance permanente au déséquilibre budgétaire est donc engendrée par les choix de politique fiscale qui, à leur tour, viennent ensuite légitimer le recul ultérieur des dépenses publiques », indique-t-elle.
Le rapport détaille les principales périodes de baisse des impôts. Les mesures Jospin (2000-2002) : –39,9 milliards entre impôts ménages (– 11,9 milliards), impôts indirects (– 10,4 milliards) et impôts entreprises (– 17,6 milliards). Les mesures Chirac (2006-2007) : –12,4 milliards, dont 6 milliards impôts ménages et 6,4 milliards impôts entreprises. Les mesures Sarkozy (2007-2012) : –22,7 milliards, dont 10,1 milliards pour les ménages et 12,6 milliards pour les entreprises. Auxquelles il faudra bientôt rajouter les mesures Hollande…
LE DÉCROCHAGE DES ANNÉES 2000
« Le principal décrochage, sur le plan des cadeaux fiscaux, se situe dans les années 2000, relève M. Husson. Notre travail rejoint les analyses développées en 2010 par Gilles Carrez et par les économistes Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis. »
Dans leur rapport sur les finances publiques remis à Nicolas Sarkozy le 20 mai 2010, ces derniers écrivaient : « Si la législation fiscale était restée celle de 1999, (…) la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'est en réalité, générant ainsi une économie annuelle de charges d'intérêt de 0,5 point de PIB. » « Nous arrivons à peu près aux mêmes résultats », note M. Husson.
Outre le déficit primaire – l'écart entre les recettes et les dépenses hors intérêts –, les intérêts de la dette sont la seconde source d'augmentation de la dette publique. De 1980 à 2013, la dette est passée de 20,7 % à 93,5 % du PIB. Pour les deux tiers (62 %), la hausse est imputable au cumul des déficits et, pour 38 %, à l'effet boule de neige déclenché à partir du moment où les taux d'intérêt auxquels l'Etat emprunte sont supérieurs au taux de croissance.
« C'est surtout dans les années 1990 que nous avons connu des taux d'intérêt très élevés, en raison du choix de n'aller que sur les marchés financiers alors que d'autres sources de financement étaient possibles, explique M. Husson. Aujourd'hui, il y a un effet d'accumulation. Une dette de l'Etat, ce n'est pas une dette d'un ménage où, au bout du crédit, on a fini de rembourser. C'est une dette perpétuelle en ce sens que, constamment, chaque année, l'Etat emprunte non seulement pour couvrir son déficit mais aussi pour rembourser. C'est une sorte de “dette revolving”. On n'élimine jamais complètement les effets du passé. »
Aujourd'hui, l'Etat continue de payer les taux exorbitants des années 1990 et les « cadeaux fiscaux » des années 2000 – baisses d'impôts et niches fiscales –, qualifiés comme tels parce que, concentrés sur les contribuables les plus aisés, ils n'ont pas eu l'impact économique escompté sur la consommation et sur la croissance. Ce qui pose la « légitimité » de la dette.
L'analyse de ces économistes met à mal le discours politique actuel s'évertuant à rabâcher qu'il n'existe pas d'autre politique économique possible. Elle invite, au contraire, à réfléchir sur les dégâts qui pourraient survenir à répéter les erreurs du passé. Et à trouver des réponses à ces deux questions : Que faire du poids accumulé de la dette passée ? Comment se financer indépendamment des marchés financiers