Pour avoir une petite idée de la difficulté de la course.
Michel Desjoyeaux dit souvent que la Solitaire du Figaro est la course la plus dure. À lire Pierre Quiroga, Xavier Macaire et Alan Roberts, joints en mer ce jeudi matin, on est tenté de confirmer dans les grandes largeurs. La flotte est dans le dur. Les marins en ont marre. Ils doutent de tout, malmenés par un vent incroyablement instable, le stress du trafic des cargos en Manche, un manque de visibilité persistant, des vivres qui viennent à manquer, la lassitude. La flotte est dans le dur, le chemin n’est pas bonhomme
On est loin, très loin de ce qu’on pourrait conclure en regardant simplement la cartographie de la course qui indique que Pierre Quiroga, déjà leader au classement général, est aussi en tête de cette étape et que tout le monde fait son bonhomme de chemin. Visiblement le chemin n’est pas bonhomme. Et on ne peut que féliciter l’équipe presse de La Solitaire du Figaro d’être allé chercher ces réactions-là pour nous permettre de mesurer le grand écart entre le virtuel et le réel, là-bas sur l’eau, 30 milles dans le Nord de Roscoff. Où l’on peut être leader de la course et se sentir seul. Mais alors très seul.
Je me sens tout seul au milieu de l’eau. J’ai beaucoup veillé pour pas grand-chose. J’ai des alarmes pour les cargos, c’est un environnement stressant
Pierre Quiroga (Skipper Macif 2019) : « C’est le remonte-pente, c’est la souffrance. Tout ce qu’il y a de pire, tu le réunis… C’est pluvieux, il fait froid, il n’y a pas beaucoup de vent, c’est aléatoire en force et en direction. On prend des gauches et des droites sans logique. Je n’arrive pas à voir le haut de ma voile à cause de la brume, bref c’est le tableau idéal ! La bascule, je l’attends avec impatience. Ça commence à être inquiétant. Roscoff est encore loin : 43 milles. Et si c’est du près, avec des bascules de vent et de courants, on n’y est pas avant demain soir. Le temps commence à être long, je n’ai quasiment plus de bouffe, plus d’eau et j’en ai marre. »
Ça fait un peu film d’horreur
Pierre Quiroga poursuit : « Je ne sais pas où sont les autres, je suis toujours premier au classement, mais je ne comprends pas où est parti le groupe avec Tom Laperche. Je n’ai qu’Alexis Loison et Alan Roberts à l’AIS, que je contrôle. Ce sera surprise-surprise à l’arrivée à Roscoff ! Je n’ai pas réussi à dormir, c’est rageant. Hier soir, je me disais que j’irais au dodo avec la bascule d’Ouest. Et le temps passe, toujours pas de bascule, toujours pas de dodo. Je me sens tout seul au milieu de l’eau. J’ai beaucoup veillé pour pas grand-chose. J’ai des alarmes sur Adrena pour les cargos, c’est un environnement stressant. Ils font sonner leur corne de brume, tu as l’impression que c’est juste à côté, tu flippes un peu, c’est la nuit noire, les dauphins viennent souffler à côté du bateau. Ça fait un peu film d’horreur ! »
Je n’ai plus beaucoup de nourriture : 3 compotes, une barre de céréales et un lyophilisé. Ça fait bizarre de voir les stocks se vider
Xavier Macaire (Groupe SNEF) : « Le tableau n’est pas enchantant : il pleut, il y a de la brume, il n’y a pas de vent. D’ailleurs, le vent n’est pas du tout dans la direction que l’on imaginait. Nous l’avons en plein dans la gueule, alors on tire des bords et ce n’est pas le kiff ! Je vois Région Normandie, Mutuelle Bleue… Par rapport à hier, je suis dans le bon paquet, mais ce n’est pas clair. L’étape est plus longue que prévu, c’est une étape à rallonge, c’est un élastique ! Je n’ai plus beaucoup de nourriture : 3 compotes, une barre de céréales et un lyophilisé. Ça fait bizarre de voir les stocks se vider, d’habitude il m’en reste pas mal. Les conditions, c’est du petit temps, le vent à bien molli pour 5 nœuds de Sud. Enfin, il vient du Sud ! Dans cette nuit noire, on a aucun repère, c’est impossible de barrer, alors c’est le pilote qui fait le job. On attend un vent qui devrait remonter en force et prendre de la droite donc si tout va bien, on arrivera en un seul bord. J’essaye de bien placer les virements de bord, car on a beaucoup de courant. C’est un courant traversier, très puissant car le coefficient est de 100. Il n’est jamais favorable car il nous traverse. Il ne nous emmène jamais vers le but, on se fait ballotter comme un bouchon dans une baignoire ! »
Il y a un clapot merdique qui nous empêche d’avancer
Alan Roberts (Seacat Services) : « Les conditions sur le plan d’eau ne sont pas faciles, entre le courant fort et le vent faible. Je suis arrivé à dormir en début de nuit, mais je surveille le trafic car il y a beaucoup de cargos et le vent molli. Il y a aussi beaucoup d’algues en arrivant sur la Bretagne. Je vois les autres à l’AIS mais rien en visuel. Il y a un clapot merdique qui nous empêche d’avancer et on a le droit à des petites douches régulières. Il faut changer sans cesse les réglages des voiles et s’adapter à la situation. On attend cette bascule depuis plus de 5 heures, je ne sais pas quand elle va arriver. On attend Sud-Sud-Ouest, ça serait bien de tirer un seul bord jusqu’à la fin. Il fait froid, j’ai mis plusieurs couches, j’ai pris mon petit-déjeuner, je me réchauffe. Il me reste un peu de chocolat, tout va bien de ce côté-là. Je me sens plutôt bien pour cette fin d’étape. »
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