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Molko a écrit: Luc Borrelli: 20 ans aujourd'hui.  20 ans de la mort de Luc Borrelli. Ils sont les gardiens du souvenir- Cliquez ici pour faire apparaître le contenu caché
Hommage. Vingt ans après la disparition de Luc Borrelli, gardien qui a marqué l’histoire du SM Caen, Sandro, son fils, a accepté de revisiter ses souvenirs et d’évoquer la personnalité à part de son père.
Sandro, entre 1995 et 1998, votre père a enchanté d’Ornano. Avec vos yeux d’enfant, qu’aviez-vous perçu ?
J’avais entre 3 et 5 ans et pour moi, il exerçait un métier tout à fait lambda. C’est comme s’il était boulanger ou banquier. Quand j’allais voir les matches, ce qui m’intéressait le plus, c’était de courir dans les gradins. J’avais conscience qu’il était gardien de but, mais je ne soupçonnais pas l’aura qu’il pouvait avoir. Je trouvais ça bizarre que les gens le reconnaissent dans la rue et lui demandent un autographe. Il y avait des petites choses qui m’interpellaient mais à cet âge, on ne pousse pas la réflexion plus loin. À l’école maternelle de Bénouville, il était trop tôt pour que vos camarades vous parlent de lui ?
À cet âge-là, on discute de dessins animés et on joue à des jeux bizarres dans la cour. On ne demande pas à son camarade ce que fait son papa. Dans notre tête, on pense juste que c’est le meilleur des papas. J’ai quand même une anecdote amusante de cette époque. Un été, j’appréhendais énormément la rentrée scolaire et ma mère avait tout entrepris pour me rassurer. Elle s’était renseignée auprès de l’école et m’avait rassuré en me disant que j’allais avoir une maîtresse très gentille. Le jour de la rentrée, je tombe sur un maître, immense. J’ai fondu en larmes, je n’étais pas serein. Le maître en question aimait le foot et m’a dit très vite qu’il connaissait mon père. D’un coup, je me suis libéré.
En quoi était-il le meilleur des papas ?
Une carrière de footballeur est faite de mises au vert, de déplacements, de sollicitations extérieures. Il n’était pas souvent à la maison, alors chaque instant passé avec lui était encore plus intense, plus festif. Quand on le retrouvait avec ma sœur, c’était la récréation. C’était un père exceptionnel mais n’importe quel enfant de 5 ans pense cela de son père. Il adorait nous faire des surprises, souvent contre l’avis de ma mère (Solange) qui ne voulait pas qu’on soit des enfants pourris gâtés. Les souvenirs que ma sœur et moi avons de notre père, on les garde comme de précieux trésors.
En novembre 1996, vous vous baladez le long du canal lorsque votre père se jette à l’eau pour sauver un homme de la noyade (1)…
Mon père avait ce côté imprévisible, « fou furieux » dans le bon sens du terme. Il avait un humour fabuleux et, dans un délire ou pour un pari, il aurait pu sauter dans l’eau. Avec ma sœur, on ne savait pas ce qu’était un suicide. On n’avait pas pris la mesure de cet acte. Ce jour-là, il avait juste eu le temps de demander à ma sœur de me surveiller et il avait tenté de sauver la vie de cet homme. Le docteur qui l’avait examiné ensuite lui avait dit : « Si vous n’aviez pas été sportif de haut niveau, vous y seriez passé aussi ». Face à une situation comme celle-là, à l’approche de l’hiver, est-ce que beaucoup de personnes se seraient jetées à l’eau comme il l’a fait ?
Dans quelle mesure son passage à Caen l’avait-il marqué ?
Je ne dis pas ça parce que c’est Ouest-France qui m’interroge, mais aussi bien sûr l’aspect footballistique que familial, c’est ici que mon père s’est senti le mieux. À Caen, personne ne le dérangeait, personne n’avait de mots méchants après une contre-performance. Les vrais supporters rendent aux joueurs ce qu’ils leur donnent. Et mon père donnait beaucoup. Au sens propre, avec des autographes, des paires de gants. Il donnait surtout des instants de vie, délivrait un mot gentil, une blague. Il ne faisait pas ça pour se faire bien voir. Simplement parce qu’il aimait les gens. C’était de la sincérité à l’état pur.
« Notre plus belle richesse ? Le témoignage des personnes que l’on croise » Jean-François Péron dit de Luc « qu’il faisait rêver les gens »…
C’est ce que disent les supporters, les stadiers, les coéquipiers ou dirigeants qui ont côtoyé Luc. Mon père aimait aller vers les autres pour partager un bon moment. C’était un « fou furieux », une personne capable de vous faire rêver sans jamais chercher à vous en mettre plein la vue. Il avait le don de transformer un moment banal en un souvenir inoubliable pour quiconque le partageait avec lui. Le don de vouloir briser la carapace des gens introvertis, de rendre agréables les gens un peu abruptes.
Quelle place ont eu ces nombreux témoignages d’affection dans votre construction de vie d’homme ?
Avec ma sœur Célia, vingt ans après, c’est de cela que l’on se nourrit. Au-delà de tous les maillots et les photos que l’on a conservés de notre père, ce sont les témoignages des personnes que l’on croise qui sont notre plus belle richesse. Le plus beau cadeau que l’on peut recevoir, c’est d’entendre à quel point notre papa était exceptionnel. Ces témoignages viennent corroborer la vision que l’on avait de lui en tant qu’enfants. On a fait du chemin depuis 20 ans et j’espère qu’il est fier de ça. Ce qui est certain, c’est qu’il nous accompagne tous les jours, on le sent. Avec ma sœur, on ne croit en rien. Comment croire en quoi que ce soit quand il vous arrive un tel drame à 5 et 9 ans ? Malgré tout, on sent qu’il n’est pas loin et qu’il nous aide à avancer.
Avez-vous enfilé les gants et tenté de suivre ses traces ?
Quand je jouais avec lui dans le jardin de Bénouville, mon père se mettait tout le temps dans les buts. Dès que je tentais de prendre le ballon à la main, il me disait : « Pas les mains, pas les mains. » Il racontait à ma mère qu’il ne voulait pas que je devienne gardien parce que ça implique une responsabilité bien plus importante que pour les joueurs de champ. Quand un gardien fait une erreur, c’est toujours de sa faute. Il a probablement dû en souffrir, mais il assumait son rôle. J’ai commencé le foot en tant qu’attaquant, à 6 ans à l’ASPTT Marseille, le même club que mon père. Et j’ai arrêté 10 ans plus tard parce que les mentalités commençaient à m’agacer. À l’adolescence, les gens deviennent plus individualistes et je ne me retrouvais pas dans ces valeurs. Quand tu commences à traîner des pieds pour aller au foot, mieux vaut arrêter. Je n’avais ni le talent ni l’envie de faire de cette activité un métier.
Votre parcours professionnel vous a ramené à Caen, en 2016…
Ma sœur est avocate, moi j’ai un Master Droit des affaires et un Master Droit du sport. La fierté que l’on a au fond de nous, c’est que l’on s’est débrouillé seuls pour réussir dans un domaine où on ne connaissait personne. À la fin de mon Master 2 Droit du Sport, j’avais un stage de trois mois à réaliser et je ne voulais pas être pistonné. J’ai envoyé mon CV dans des fédérations, dans des clubs de Ligue 1 et Ligue 2. Un jour, Alain Cavéglia (directeur sportif du SM Caen et ancien coéquipier de Luc à Lyon) m’a appelé. Dans la vie, on est toujours rattrapé par un clin d’œil du destin. Je devais rester trois mois au SM Caen et je suis finalement resté deux ans (entre 2016 et 2018), au service juridique. J’ai pu prendre conscience de la trace indélébile que mon père avait laissé à Caen.
Depuis 2003, la tribune Populaire B du stade Michel-d’Ornano porte le nom de votre père.
Derrière la cage qu’il a préservée pendant trois ans, mon père continue à faire du bruit et à supporter le Stade Malherbe. C’est un cadeau extraordinaire, un magnifique hommage. Qu’est-ce qu’il y a de plus beau qu’une tribune qui porte son nom à d’Ornano ? Surtout quand c’est la tribune la plus populaire, la plus festive, la plus bruyante. Je viens de passer deux saisons à Caen et j’ai découvert un public ultra-respectueux, fidèle à son équipe. Des valeurs que mon père aimait véhiculer.
(1). L’homme n’avait pas survécu mais Luc Borrelli, en présence de tous les joueurs du SM Caen, avait reçu des mains du préfet une médaille pour acte de courage et de dévouement.
_________________ Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin.
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