Un article publié par Le Monde le 26 novembre 1991 :
FOOTBALL : le championnat de France " Malherbe " en crise de croissance
Le Stade Malherbe de Caen occupe la deuxième place du championnat de France de première division après son match nul contre Sochaux (1-1), samedi 23 novembre, en Normandie. En marge de ses bonnes performances sportives, le club normand connaît de sérieuses difficultés financières qui ont obligé la municipalité, le conseil général et le conseil régional à accorder des subventions exceptionelles. Le président actuel, dont la gestion est mise en cause, sera remplacé au mois de décembre.
C'est un stade à la mode d'antan, tribunes basses et places debout. Les soirs de match, il fleure le football de carte postale, gazon humide et merguez grillées. Le stade de Venoix, dans les faubourgs de Caen, est de ces bastions minuscules et désuets dont raffole le football français, toujours prompt à célébrer la bravoure des lilliputiens face à l'arrogance des géants.
Le club de Caen présente le curriculum vitae parfait du " petit " trouble-fête. Après son match nul contre Sochaux (1-1), samedi 23 novembre, il occupe la deuxième place du championnat, à égalité de points avec l'AS Monaco et le Paris SG, les autres " dauphins " de l'Olympique de Marseille. Même si Sochaux faillit bien l'emporter (le Caennais Stéphane Paille n'égalisa qu'à la 83 minute de jeu), le Stade Malherbe de Caen, qui restait sur cinq victoires consécutives, traverse une période d'euphorie comme il n'en a pas connu depuis son arrivée en première division, en 1988.
Tout irait pour le mieux dans le plus petit stade de l'élite (11 000 places) si _ comble du paradoxe _ le club ne traversait pas, au même moment, la plus grave crise financière de son histoire. Alors que son budget s'élève cette saison à 47 millions de francs, le déficit devrait atteindre 23 millions en fin d'année et 32 en fin de saison, des chiffres que réfute le président du club, M. Jean-Jacques Fiolet, un chef d'entreprise âgé de trente-huit ans. Il évoque un " trou " de 17 millions de francs à l'issue du dernier exercice. Quelles qu'elles soient, ces difficultés n'ont été rendues publiques qu'après bien des atermoiements, au début de l'été, alors que la municipalité exigeait du club qu'il l'informe sur l'état de ses finances. " Responsable mais pas coupable "
En fait, ce déficit serait surtout dû à des dépenses excessives en 1990, lorsque les joueurs bordelais Jesper Olsen et Piet Den Boer ont été enrôlés. M. Fiolet en assume la responsabilité : " Nous les avions engagés pour 7 millions de francs avec la promesse qu'un an plus tard les Girondins prendraient notre avant-centre, Fabrice Divert, pour 17 millions. Nous avions tablé sur cette entrée d'argent. En raison de la crise au sein club bordelais, cette promesse n'a pu être tenue et cela a été catastrophique pour nous. En fait, je suis responsable, mais pas coupable. Mon ambition et mon enthousiasme m'ont simplement amené à prendre des risques... Comment faire autrement dans le football ? Nous ne sommes pas un club riche : nous avons la dix-huitième masse salariale de France et nous sommes seizièmes sur vingt pour ce qui est des subventions. "
Il reste que la situation était assez préoccupante pour que la municipalité intervienne. " Malherbe ", comme on l'appelle en Normandie, pouvait mourir et connaître ainsi le destin, classique dans le football, du petit club trop pressé de grandir. Or, abandonner ce club très populaire (9 000 spectateurs de moyenne), profondément enraciné dans la vie locale depuis sa création en 1913, n'était pas envisageable. Surtout à quelques mois des élections régionales. Il pouvait d'autant moins disparaître qu'un stade de 25 000 places verra le jour en 1993, près de Venoix. Compte tenu du coût de l'opération (145 millions de francs), mieux vaudrait qu'il accueille une équipe de haut niveau plutôt qu'une formation amateur. " Nous ne pouvions pas laisser tomber Malherbe ", certifie le maire, M. Jean-Marie Girault (UDF-PR), avant d'analyser la crise : " M. Fiolet vivait sur un nuage. Nous ne connaissions pas l'ampleur des problèmes. Nous lui faisions d'autant plus confiance qu'il tenait souvent, devant les journalistes ou les dirigeants du football français, un discours moralisateur, citant son club comme un modèle de sagesse et de rigueur. "
M. Girault s'est personnellement occupé de ce dossier, qui a au moins autant agité la classe politique locale que celui de la fermeture, d'ici à 1994, de l'usine de la Société métallurgique de Normandie, une filiale d'Usinor-Sacilor (le Monde du 21 novembre).
La région, pourtant touchée par la crise économique, s'est donc démenée pour le club porte-drapeau. En plus de sa subvention annuelle de 6,5 millions de francs, la mairie a accordé une " enveloppe " de 7,5 millions. Le Conseil général a versé 4 millions de francs et le Conseil régional 2 millions . Par ailleurs, les entreprises ont été mises à contribution (13 millions).
Tendance à l'accalmie
Mais c'est surtout du terrain que sont venus les sauveurs. En obtenant de bons résultats, l'équipe caennaise, composée à la fois de joueurs formés au club et d'éléments d'expérience, a condamné les " bailleurs de fonds " à agir.
L'entraîneur suisse Daniel Jeandupeux, techicien intelligent, réputé pour son amour du beau jeu et ses qualités de meneur d'hommes, s'est efforcé de préserver la sérénité des jeunes quand bien même étaient-ils payés avec retard (les salaires du mois d'octobre n'ont pas encore été versés) : " Les difficultés extra-sportives, nous ont amené à réagir, comme par instinct de survie. D'ailleurs, si l'équipe n'avait pas obtenu ces résultats, le sauvetage n'aurait pu être mené de la sorte. L'attitude des joueurs a été déterminante. "
Le club n'est pas pour autant à l'abri d'ultimes soubresauts. Certes, la tendance est à l'accalmie. Mais le président Fiolet fait encore l'objet de bien des critiques. Outre sa gestion parfois très floue, il lui est reproché de s'être laissé griser par ce milieu du football qui lui a valu une soudaine " célébrité ". Plus grave : il pourrait avoir à s'expliquer prochainement devant la justice au sujet d'opérations financières entre le club et sa société, spécialisée dans la construction de maisons individuelles.
Il pourrait également avoir à justifier des prêts accordés à plusieurs joueurs. Des prêts dont il ne nie pas l'existence, mais qu'il assure parfaitement légaux : " Le club a prêté de l'argent comme n'importe quel employeur. Il s'agissait de petites sommes, pas plus de 150 000 francs, qui devaient les aider à faire construire leur maison. Nous n'avons pas eu recours à des prêts fictifs pour verser des salaires déguisés. "
M. Fiolet se qualifie volontiers de " bouc-émissaire ". Mais il admet devoir s'éclipser sans éclat, au moment où le club qu'il a contribué à bâtir connaît son heure de gloire. Il cédera sa place au mois de décembre. Une société à objet sportif (SOS) sera créée. Le futur président devrait être M. Guy Chambily, directeur d'une entreprise de transports et ancien président du club de basket-ball. Un terme devraitdonc être mis à ce que M. Girault qualifie de " crise de croissance ". Il restera alors aux autorités du football français, qui se targuent d'avoir mis en place une institution chargée de vérifier la gestion des clubs (la direction nationale de contrôle de gestion), à se demander comment un déficit si important a pu échapper à leur sagacité.
_________________ Tel est mon bon plaisir.
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