Les mêmes qui nous expliquaient sur ces mêmes pages en 2022 que le gouvernement minoritaire de Mme Borne était malgré tout et contre l'arithmétique du programme de CE2 tout à fait majoritaire (avec ses 718 engagements de la responsabilité du gouvernement, sans doute par pur plaisir, une motion due censure rejetée de très très peu) ont oublié de venir expliquer qu'il était logique que le NFP forme le prochain gouvernement. Sans doute un problème de réseau.
On a quand même du mal à voir comment il peut être contesté que le rassemblement de la gauche est arrivé en tête de ces élections comme on a du mal à voir comment la gauche ou n'importe qui peut avoir une majorité ; c'est, ce qu'on appelle dans le milieu une "clarification" ou autrement dit "encore un succès éclatant pour le chef de l'Etat". Ce qu'on voit bien en revanche, c'est le niveau de cynisme et de défense unique de ses petits intérêts personnels (et même pas politiciens, mais psychologique, tout ceci a davantage trait au rapport à l'égo et à la lente mais inéluctable disparition du paysage du président qui se retrouve chiraquisé, hollandisé, bref cornerisé et d'ici quelques mois tout le monde, à commencer par l'international, fera comme s'il n'était déjà plus là, insupportable pour ce petit monsieur qui a encore des progrès à faire dans la gestion de la frustration).
On voit bien la stratégie : fracturer le bloc de gauche pour faire éclater le NFP, ce qui ferait que le bloc moutonnier, pardon central, (re)deviendrait le premier bloc à l'Assemblée. C'est aussi ce qu'il y a derrière toutes les prises de paroles convergeant vers l'idée que celui qui a gagné les élections l'a perdue et que ceux qui seraient arrivés quatrièmes auraient en réalité gagné. Donc on nous propose une alliance avec LR et l'exclusive contre LFI, voire contre les Verts qui seraient aussi sortis du champs républicains. D'ailleurs, si l'on omet que la solidité des convictions républicaines des macronistes peut faire débat (les sujets ne manquent pas, mais respect des institutions, des corps intermédiaires, de la laïcité...), si ces gens sont tellement attachés aux valeurs républicaines et puisqu'ils dénoncent avec autant de force les mouvements politiques qui n'en seraient plus, pourquoi LFI, EELV voire le PS sont des mouvements politiques autorisés ? Si la sécurité de la République est en jeu, Mélenchon, Tondelier, Hollande, Faure, Glucksman devraient dormir en prison, mais non. On les laisse même se présenter à des élections (et les gagner).
Sauf que ces gesticulations peuvent produire des effets là où on ne les attend pas: le bloc "central" lui-même est menacé de dislocation (33 députés enregistrés ce matin) par ces tectoniques : ces députés entendent biens 'affranchir de la tutelle macroniste pour une simple raison, c'est que si la plupart ont été élus en 2017 grâce à Macron, ils ont été réélus en 2024 malgré Macron. Ils ne lui doivent plus leurs mandats, bien au contraire. Et c'est peu dire que tous n'ont pas forcément envie de s'allier à Wauquiez. De l'autre côté, il faut la naïveté présidentielle pour croire que les LR qui sont encore là, ceux qui ont dit non depuis 7 ans pour conserver leur indépendance malgré tout les déboires que ça leur a apporté, vont accepter aujourd'hui d'embarquer à bord du Titanic élyséen dont on sait déjà qu'il va couler. Les mecs ont refusé contre vents et marées au temps de la splendeur macronienne et ils vont se saborder à dire oui aujourd'hui alors que ça ne vaut plus rien et pour une seule année qui plus est ?
Alors il y a bien des commentateurs qui disent "oui mais en Espagne, ils y arrivent...." en oubliant que les institutions ne sont pas du tout les mêmes, qu'il existe une culture parlementaire par définition dans ce royaume dont le parlementarisme à justement été sauvé par le roi et surtout, en Espagne, la tradition est que le premier mouvement parlementaire reçoive la prérogative de former une majorité et un gouvernement. S'il échoue, c'est le second et ainsi de suite, mais avec un couperet : au bout de trois mois sans majorité, l'assemblée est dissoute de plein droit et une nouvelle élection est organisée. En France aussi, il existe des outils à disposition du chef de l'Etat : le remaniement et la dissolution. Mais comme l'autre les a déjà utilisés "sans raison" et que l'assemblée est indissoluble pendant un an, il n'y a effectivement que très de peu de solutions.
Exclure LFI d'une alliance, fût-elle technique, serait une trahison et une forfaiture. Y aller avec LFI est voué à l'échec. S'appuyer sur LR n'est ni une trahison, ni une forfaiture, c'est juste drôle (de croire que c'est possible). Il n'y a aucune majorité possible sans LFI, sauf à croire que Génération.s va travailler avec Wauqiuez et que LFI va trouver ça normal. Ensuite, avec le temps et l'approche du vote du budget, les lignes peuvent bouger, les infréquentables ou prétendus tels vont redevenir courtisables. Et ça ne peut pas concerner le RN car si la droite peut avoir au bout d'un moment envie de le faire, ce une sera pas dans l'intérêt de la mafia d'extrême-droite qui en réalité a bien plus d'avantages dans la situation actuelle que s'ils avaient gagnés. Et c'est ça le vrai danger.
En 1946, le Gouvernement Provisoire de la République associait bien des options politiques extrêmement contraires, incluant ce qui était à l'époque effectivement une forme d'extrême-gauche qui n'existe politiquement plus aujourd'hui. Mais de chaque côté, personne n'y arrivera sans mettre de l'eau dans son vin. Que ce soit sur les ambitions programmatiques ou sur les lignes rouges du "avec qui". Donc, sortez-vous les doigts du cul, d'avance, merci.
_________________ Tel est mon bon plaisir.
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