Inscription: 09 Juil 2007 11:54 Messages: 16378 Localisation: Paris
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Peut-on parler de racisme d’Etat ? L’avis d’un sociologueJean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, a annoncé qu’il déposerait une plainte en diffamation contre le syndicat SUD Education 93, qui a utilisé, en présentant une formation destinée aux enseignants, l’expression « racisme d’Etat ». Que désigne cette expression en sciences sociales ? - Cliquez ici pour faire apparaître le contenu caché
Le sociologue Fabrice Dhume-Sonzogni est enseignant-chercheur à l’université Paris-Diderot. Il a notamment publié Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français (Demopolis, 2016).
En sciences sociales, que désigne l’expression « racisme d’Etat » ?
En 1976, dans un cours au Collège de France, l’expression « racisme d’Etat » est utilisée par Michel Foucault, qui étudie la construction politique, à partir du XVIe-XVIIe siècle, de la question dite de la « race ». On retrouve également ce mot dans les travaux sur l’histoire de la colonisation : il désigne la responsabilité de l’Etat dans l’organisation d’un ordre colonial fondé sur des catégories raciales. Aujourd’hui, certains chercheurs utilisent les expressions « racisme d’Etat », « racisme institutionnel » ou « discriminations systémiques » – c’est cette dernière que je reprends dans mes travaux – pour aller au-delà de la représentation antiraciste courante.
Souvent, on croit en effet que le racisme est une affaire d’individus ou de groupes qui adhèrent à des idéologies, méconnaissent les cultures des autres ou redoutent la confrontation avec la différence, ce qui engendre, à rebours, un antiracisme visant à développer la connaissance des cultures, à combattre des idéologies ou à changer les mentalités. Il y a, bien sûr, des individus qui adhèrent à des idéologies racistes. Mais le racisme, c’est d’abord des mécanismes de hiérarchisation raciale structurellement intégrés au fonctionnement des institutions. C’est ce qu’on appelle le racisme d’Etat, le racisme institutionnel ou les discriminations systémiques.
Comment se manifeste ce racisme d’Etat ?
Il s’exprime, par exemple, dans le fait que les institutions d’Etat ont construit, pour les populations dites « Roms », un statut d’exception lié à un imaginaire racial, comme si ces populations étaient d’une « nature » particulière. Ce racisme institutionnel, je l’ai également vu à l’œuvre dans une école de police, où je menais avec de futurs gardiens de la paix un travail expérimental sur la discrimination : dans la salle de formation, le dessin d’une carte de France montrait les banlieues de la région parisienne, où une grande partie des futurs policiers allaient probablement exercer leur métier, comme un zoo. Même si cette carte avait été dessinée par un individu, elle reprenait un discours normatif largement partagé par le corps professionnel, avec une animalisation des publics qui est typique de l’imaginaire raciste.
Pour les populations visées, le racisme s’exprime dans la répétition quotidienne de micro-agressions (regards de travers, blagues racistes, discriminations…) qui transforment la représentation de soi : en faisant l’expérience banale des discriminations à l’école ou celle des contrôles policiers au faciès, les gens apprennent dans le regard des autres qu’ils sont avant tout considérés comme des « Noirs » ou des « Arabes ». Le travail du sociologue Fabien Jobard, réalisé dans cinq lieux parisiens en 2007-2008, montre ainsi que les hommes vus comme Noirs ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être visés par un contrôle d’identité que ceux perçus comme Blancs, et ceux vus comme Maghrébins entre 1,8 et 14,8 plus. A l’école, les discriminations se manifestent de manière souvent plus subtile, mais potentiellement dans tous les domaines : interactions avec les parents, notation, orientation des élèves, etc..
Le racisme d’Etat peut-il donc exister dans des démocraties ?
Dire qu’il existe un racisme d’Etat, un racisme institutionnel ou des discriminations systémiques ne signifie pas que l’Etat a inscrit dans la loi deux catégories juridiques de citoyens ou qu’il est, en lui-même, porteur d’une idéologie intrinsèquement raciste. Cela veut donc dire que le racisme fonctionne en utilisant les ressorts, les ressources et les modes d’organisation de l’Etat, et produit de fait des catégories différenciées de citoyens.
Cet ordre social qui produit une hiérarchisation des individus selon des logiques ethnoraciales n’est ni intentionnel ni systématique. Il est donc très difficile à combattre, notamment les microsituations de discriminations, car elles échappent au regard des acteurs qui les produisent : à l’école, par exemple, les enseignants n’ont pas conscience de recourir parfois à une lecture raciale de la réalité.
_________________ « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons. »Влади́мир Ильи́ч Улья́нов This is such a mind fuck.
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