Mais "valeurs", c'est exactement le mot, bien évidement.
Sinon, puisqu'on en parle, Jérôme Latta revient là-dessus dans sa chronique, comme quoi, peut-être qu'on raconte pas non plus n'importe quoi :
« La multipropriété des clubs de football, un fléau autorisé »
Les consortiums de clubs compromettent l'équité sportive et nuisent à de nombreuses équipes, mais se développent impunément, dénonce Jérôme Latta dans sa chronique.
Dans le football, les résultats sportifs ne présagent pas forcément de la bonne ou mauvaise santé d'un club, mais tout de même. Troyes est au bord de la relégation en National (troisième division) ; Lorient, d'une descente en Ligue 2, avec laquelle Strasbourg aura aussi flirté. Le point commun de ces clubs ? Leur actionnaire majoritaire, ou principal, contrôle d'autres équipes. La « multipropriété des clubs » connaît une expansion fulgurante, qui marque le dernier stade - en date - de la financiarisation du ballon rond. Le fonds d'investissement états-unien 777 Partners, propriétaire du Red Star - qui retrouve la Ligue 2 la saison prochaine -, du Genoa, du Hertha Berlin, de Vasco de Gama et du Standard de Liège, fait l'objet de plaintes pour des fraudes qui s'élèveraient à plusieurs centaines de millions de dollars. Sa mise en faillite serait envisagée, menaçant l'existence de ces clubs.
Ce phénomène de « multi-club ownership » concernerait 340 équipes dans le monde à la fin de 2023, selon le Centre international d'économie du sport. Parmi celles-ci, huit pensionnaires de Ligue 1 sur dix-huit. Sous l'effet de la crise du Covia-19 et de la défection de son diffuseur Mediapro, le football français offre des proies bon marché et présente l'atout de centres de formation performants. En 2023, le RC Strasbourg est ainsi entré dans le giron de BlueCo, propriétaire de Chelsea, trois ans après que Troyes fut passé sous le pavillon émirati du City Football Group, qui détient Manchester City et contrôle treize clubs au total. Les avantages de tels consortiums sont multiples pour les investisseurs : la réduction de l'aléa sportif (donc, financier) avec des placements dans plusieurs équipes, divisions et pays, la mutualisation des ressources, etc. En France, les désastres de Bordeaux, Nancy, Sochaux ou Valenciennes rappellent pourtant quels risques font régulièrement courir les repreneurs étrangers, avec un management hors-sol, un projet sportif incohérent et des abandons inopinés.
Cheptel de joueurs La seule certitude est celle de devenir un club satellite gravitant autour d'un club majeur, avec pour fonction première de lui servir de vivier de footballeurs. En les formant ou en les accueillant pour les valoriser, afin de réaliser des plus-values sur leur transfert ou de renforcer l'équipe qui se situe en haut de la pyramide. Conséquences pour les clubs subordonnés : un turnover important, le parachutage de joueurs inexpérimentés, des départs précipités, comme celui du gardien belge Matz Sels de Strasbourg vers Nottingham Forest lors de l'hiver, ou d'acrobatiques opérations de transferts. Au cours de l'été 2023, l'Olympique lyonnais parvenait ainsi, malgré des restrictions de recrutement, à se faire prêter le Ghanéen Ernest Nuamah par le RWD Molenbeek, autre actif du groupe Eagle Football, lequel a réglé un transfert de 25 millions d'euros. Une somme normalement hors de portée du club belge. Autre exemple, le Brésilien Savio, recrue la plus chère de l'histoire de Troyes, prêté en Espagne à Gérone, n'a pas évolué une minute dans l'Aube.
Cartellisation du football Le club filiale devient le maillon d'une chaîne de valeur qui l'assigne à sa place dans la hiérarchie. Dans le portefeuille de Jim Ratcliffe, propriétaire du groupe Ineos, l'OGC Nice a ainsi rétrogradé derrière Manchester United, dont le milliardaire britannique détient un quart du capital depuis décembre 2023. Les supporteurs sont bien seuls à dénoncer ce destin d'équipe réserve et la perte d'identité de leur club, ainsi gouverné par des intérêts qui lui sont largement étrangers. Bien que la cartellisation du football pose également des conflits d'intérêts évidents et compromette l'équité des compétitions, l'Union européenne des associations de football, l'UEFA, a choisi de la tolérer en invalidant ses propres règlements. Cette saison, le Toulouse FC et l'AC Milan, détenus par le fonds RedBird, ont pu participer aux coupes d'Europe : un changement cosmétique d'organigramme a suffi pour obtenir l'aval de l'instance, car deux clubs ayant le même propriétaire n'ont théoriquement pas le droit de disputer la même compétition. La même complaisance avait déjà valu pour Leipzig et Salzbourg, de l'écurie Red Bull.
La possession d'un cheptel de footballeurs par un cartel de clubs illustre à la fois la spéculation sur la valeur des joueurs et la poursuite de la concentration des ressources sportives et financières au sein d'une élite. La multipropriété des clubs de football est donc un fléau autorisé au nom de la quête effrénée d'investisseurs et de croissance, et un énième facteur d'accentuation des écarts de puissance entre clubs. Le tout dans une indifférence qui ne sera rompue, peut-être, que lorsque l'évolution sera devenue irréversible.
_________________ Tel est mon bon plaisir.
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